A quel registre appartient selon vous cette pièce qui emprunte aux codes du boulevard tout en s’avérant plus profonde ?
L’auteur, Alan Ayckbourn, est considéré comme l’équivalent de Sacha Guitry. De ce dernier, j’avais d’ailleurs joué Faisons un rêve, avec Pierre Arditi et Martin Lamotte. Et si sir Ayckbourn n’est pas autant reconnu en France, il est régulièrement joué au Royal National Theatre. Trois films d’Alain Resnais, dont Smoking/No Smoking, sont d’ailleurs des adaptations de ses pièces.
Qu’est-ce qui vous a plu dans son écriture ?
Cette pièce est formidable. Intelligence. La situation de quiproquo excellente. Il analyse avec finesse la dynamique du rapport entre les hommes et les femmes ainsi que les codes du milieu bourgeois. J’ai pensé qu’il était temps pour moi d’aller vers un texte lumineux comme celui-là. Cela faisait longtemps que je n’avais pas joué au théâtre et après cette longue période marquée par les confinements – nous n’avions pas encore basculé dans les événements internationaux de ces derniers jours –, cela m’est apparu comme une nécessité.
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Comment avez-vous abordé ce personnage de Marianne ?
Je me suis fait ma petite histoire en me référant à des interprètes majeures : Jacqueline Maillan, faussement écervelée et qui savait insuffler un troisième degré aux personnages de la bourgeoisie, Maria Pacôme qui possédait un talent semblable, un peu de Delphine Seyrig qui m’est chère, d’Arletty pour son côté parisien et de Katharine Hepburn dont j’admire la dextérité à moduler les émotions. Car il fallait qu’à certains moments, je montre les petites blessures de mon personnage, ces sensations très fugaces qui donnent au vaudeville ce rythme si rapide.
Comment se sont passés vos premiers contacts avec vos partenaires ?
J’ai eu le sentiment que notre connivence a été immédiate. C’est un grand bonheur de travailler avec Gérard Darmon, qui excelle dans son personnage d’homme d’une mauvaise foi absolue, mais aussi avec Max Boublil, que je trouve touchant, et Élodie Navarre, qui est une partenaire charmante.
Le public réagit beaucoup...
Oui, c’est incroyable. Je ne pense pas avoir connu cela à ce point, ou peut-être avec Irma la douce, mis en scène par Jérôme Savary, dont le succès nous avait dépassés. Cela nous porte vraiment. Et je ne savais pas que je pouvais autant faire rire. Cela me donne l’occasion d’exploiter mon sens de la comédie.
Dans quel état d’esprit êtes-vous au moment de monter sur scène ?
Je suis chez moi. Et ce, dès les premières répliques. Lorsque le personnage de Max me dit : "quelle chance de s’épanouir dans un environnement pareil", je regarde le public et je réponds "oh oui".
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Vous n’avez pas le trac ?
C’est plus complexe. Mes appréhensions sont plus sournoises. Cela peut se traduire par une fatigue intense avant de jouer, qui disparaît naturellement une fois sur scène. Plus jeune, le trac m’a tellement paralysée que j’ai décidé de le tuer une fois pour toutes. C’était ça ou j’arrêtais.
Quel souvenir avez-vous gardé de vos années à l’école de la rue Blanche ?
Il m’en reste quelques images. Mais surtout le souvenir de la volonté qui me portait. J’étais une acharnée. Des camarades qui m’ont connue à cette époque-là m’ont rappelé mon caractère, ma soif d’absolu. C’était un feu. À 20 ans, je n’avais pas les mots. Je débordais, et tout ce qui n’était pas dit se concentrait dans la fougue que je mettais à jouer Antigone. J’ai l’impression de l’avoir un peu perdue. On ne me donnait pas de Feydeau. Les textes c’étaient Brecht, ou Jeanne d’Arc de Péguy. Mais l’âge a du bon, avec lui la maîtrise du jeu grandit. Aujourd’hui, je suis capable de jouer Marianne, et c’est formidable.
Ce fut une période déterminante ?
Elle a été fondamentale. Comme je vous le disais, les souvenirs sont un peu vagues, mais lorsqu’en 1988 je travaille avec Michel Bouquet, je suis tellement jeune que c’est comme s’il me formait. Il m’a dit cette phrase : "Formation égale déformation" ; phrase qu’à 19 ans, je n’ai absolument pas comprise. J’ai mis des années à saisir qu’il évoquait ma nature très brute, cette tendance à "brûler" sur scène. Ses mots signifiaient qu’il ne fallait pas perdre ces aspérités qui me définissaient et qu’une formation trop académique aurait pu lisser. Je suis heureusement tombée sur de très bons professeurs.
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Vos filles Vittoria et Luisa ont-elles manifesté l’envie de marcher dans vos pas ?
Pas pour le moment. Elles sont encore un peu jeunes. Ma vocation s’est révélée entre 17 et 18 ans. Mais la situation est différente, elles font des études alors que j’avais arrêté assez tôt.
Quel regard portent-elles sur vos rôles ?
Elles sont bien sûr venues me voir jouer. Elles réalisent la complexité de ce métier qui est fait de glamour mais aussi d’une extrême rigueur. Elles m’ont témoigné leur fierté, mais elles n’éprouvent pas encore le besoin d’en discuter. Cela arrivera plus tard. Pour le moment, je ne pense pas que ce soit à moi de provoquer la discussion. La mère que je suis n’est pas l’actrice. Je ne ramène pas mon travail à la maison.
Elles poursuivent actuellement leurs études en Angleterre. Comment abordent-elles cette expérience ?
Cela se passe bien. Je trouve que c’est une chance de pouvoir étudier à l’étranger. Elles sont heureuses. Elles s’épanouissent. Petit à petit, elles trouvent leur propre voie. Je ne leur souhaite que cela. Trouver leur passion, peu importe le domaine.
Et que leur dites-vous pour les encourager ?
Je leur dis que la formation ne se limite pas aux heures de cours. Elle passe aussi par d’autres domaines – dont je me sers moi-même pour mon travail afin de densifier mes personnages – comme la lecture, les expositions, la peinture, la photo, l’art contemporain, la sociologie, les documentaires ou la musique... Cela nourrit. Je le rappelle en permanence à mes enfants et cela reste valable peu importe le métier qu’elles voudront faire. Cette nouvelle génération vit dans un monde difficile, mais dont la déconstruction sociétale permet une plus grande ouverture. Cela s’observe justement dans la formation. On peut commencer un cursus d’études puis bifurquer vers un autre. Personne n’en sera stigmatisé pour autant. C’est la même chose pour un comédien. Enchaîner une série, un drame, puis un vaudeville est aujourd’hui possible.
Voir cette publication sur InstagramQu’aimeriez-vous leur transmettre ?
Le sens de l’effort. Le sens de l’engagement. Être engagée est une forme de résistance, le seul moyen aujourd’hui de surmonter les épreuves que nous traversons. Que je sois en scène ou que je collabore avec une association comme la Fondation pour la recherche médicale, qui organise fin mars sa semaine de la recherche en santé mentale, cela m’apporte tant d’énergie. J’aimerais transmettre à mes filles que tout est possible et que rien n’est insurmontable.
Une situation délicate, mise en scène par Ladislas Chollat, avec Clotilde Courau, Gérard Darmon, Élodie Navarre et...
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