Entretien exclusif avec Clotilde Courau : la passion de l'engagement

Cinéma, télévision, théâtre, lectures, performances… La princesse de Savoie, épouse du prince Emanuele Filiberto depuis dix-huit ans, n’a jamais cessé d’explorer toutes les facettes de son art. L’actrice nous a reçus sur le tournage de la série L’Absente, pour évoquer ses prochains rôles, ses engagements, et son vif attachement à la défense de la culture dans un monde en pleine (r)évolution.

Par Emmanuel Cirodde - 17 février 2021, 07h30

 La princesse de Venise inscrit sa carrière artistique dans un éclectisme total. Fidèle aux grands auteurs comme Philippe Garrel, Guillaume Nicloux ou Marie-Castille MentionSchaar, elle apparaît aussi à la télévision et au théâtre.
La princesse de Venise inscrit sa carrière artistique dans un éclectisme total. Fidèle aux grands auteurs comme Philippe Garrel, Guillaume Nicloux ou Marie-Castille MentionSchaar, elle apparaît aussi à la télévision et au théâtre. Courtesy of Philippe Quaisse/Pasco

Héroïne de cette série créée par Delinda Jacobs pour France 3, Clotilde Courau nous accueille sur le tournage qui s’est poursuivi cette semaine à Béthune dans le Pas-de-Calais. Devant nous, elle se métamorphose en Hélène, une femme accablée de chagrin et de questions sans réponses. Sur le plateau, l’atmosphère est concentrée, le réalisateur Karim Ouaret cueille les regards de l’actrice dont le visage se découpe dans un rai de lumière. Dans les loges, elle croise Olivier Rabourdin, avec qui elle a aussi partagé le tournage du film Benedetta de Paul Verhoeven qui devrait faire sensation à Cannes.

En ce début d’année, la princesse de Venise a également dû prendre acte de l’annulation des dates de son spectacle dédié à Édith Piaf et des Justes de Camus au Châtelet. Des projets aussi passionnants que variés. Car au-delà de l’éclectisme apparent de ses choix artistiques, on devine vite que, du film d’auteur à la fiction populaire, tous suivent le fil rouge de la quête de l’excellence. Rencontre.

Que pouvez-vous nous dire de cette série, L’Absente, que vous tournez actuellement ?

C’est un thriller psychologique teinté de fantastique. J’y incarne Hélène, une femme détruite par la disparition de sa fille quand elle avait 8 ans. Apparaît un jour une adolescente, dont on se demande si elle ne serait pas cette enfant disparue. La série retrace le cheminement intérieur de tous les personnages de cette famille, autant celui d’Hélène que de son mari Laurent, qu’incarne Thibault de Montalembert. Cette affaire mystérieuse va les dévaster mais aussi leur donner l’occasion de se révéler.

Qu’est-ce qui caractérise l’écriture de Delinda Jacobs ?

Delinda est une auteure précise qui a le goût du suspens, des personnages complexes et attache une importance particulière au monde invisible. Le réalisateur Karim Ouaret se nourrit de son univers. Sa mise en scène attache de l’importance aux silences, aux regards. Il fait exister nos personnages ainsi. Pour lui, il est essentiel que nous soyons incarnés. C’est un jeune metteur en scène très attentif.

La princesse de Savoie lors de la cérémonie de clôture de la 12e édition du Festival du film Lumière à Lyon en octobre 2020. © Stephane Cardinale - Corbis/Corbis via Getty ImagesLa princesse de Savoie lors de la cérémonie de clôture de la 12e édition du Festival du film Lumière à Lyon en octobre 2020. © Stephane Cardinale - Corbis/Corbis via Getty Images

Hormis les tournages, certains de vos projets en salle ou sur scène ont été annulés ou reportés. Comment vivez-vous cette période de perpétuelle incertitude ?

Notre métier est déjà fait de cette incertitude. Je m’adapte, nous n’avons pas tellement le choix. Je ne sais pas comment les choses vont se passer concernant la sortie des films et l’embouteillage consécutif au report de ceux de 2020 sur cette année. Comment vont s’en sortir les distributeurs et les exploitants ? Je pense aussi aux jeunes réalisateurs, dont certains sont mes amis. Ils sont parvenus à tourner leur premier film, ont été remarqués dans les festivals à Cannes ou à Angoulême, mais ignorent quand leur travail sera visible en salle. Je devais être à l’affiche de quatre films. Peut-être que deux seulement sortiront. J’essaie de vivre cette période au présent, de prendre ce qu’il y a de plus positif dans ce qui m’est offert. Et d’avancer, tout en étant lucide sur les catastrophes qui nous entourent. Le souci est que les projets de petite échelle risquent de disparaître, et avec eux une forme de diversité.

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Votre spectacle Piaf, l’être intime, dont les représentations en ce début d’année ont été annulées, appartient justement à cette catégorie…

Oui, et je le joue partout en France dans de petites structures tenues par des programmateurs qui font un travail fantastique. Des gens incroyables, qui font beaucoup avec peu de moyens. Je ne sais pas dans quel état nous allons retrouver ces lieux, existeront-ils encore?

Quelle Piaf souhaitiez-vous montrer sur scène ?

Moins la chanteuse que la femme. La puissance d’âme de la grande amoureuse, qui incarne l’ambivalence humaine… J’ai aussi aimé monter un spectacle conforme à ma conception du métier. Nourrie par le TNP de Jean Vilar et par ces grands hommes qui ont célébré la noblesse de la culture populaire, je tenais avec ce petit format à aller vers ces lieux loin de Paris. Cet engagement, je le prolonge à travers mes séances de lectures. Lire le discours historique de Simone Veil devant un public à Toulouse, ou dire la poésie de Christian Bobin dans le musée Soulages de Rodez, avoir le bonheur de partager l’intelligence de ces textes et de les rendre vivants est une chance. La culture est à mes yeux ce qui permet de s’élever, d’"aller vers". Je n’arrive pas à faire mon métier si je ne ressens pas cet engagement.

C’est la raison pour laquelle vous avez fait partie des cosignataires de la lettre ouverte à Roselyne Bachelot à l’automne dernier, qui alertait sur la situation de la culture en France ?

Oui. La culture ne peut pas être qu’une industrie, elle est le lieu d’expression du sens critique, des interrogations, des émotions, de la réflexion sur le monde, qu’il s’agisse du cinéma, du théâtre, de la danse ou de la littérature… Mon parcours a fait que je suis devenue comédienne. Mais ce qui m’intéresse au fond, c’est le devenir du monde. Ce questionnement qui m’intéresse tant peut prendre toutes les formes, y compris celle du divertissement.

À Strasbourg, en 2017, lors d’un spectacle autour d’Albert Camus avec Abd al Malik qu’elle a retrouvé en 2020 pour Les Justes au Châtelet. © Badias/ANDBZ/ABACAÀ Strasbourg, en 2017, lors d’un spectacle autour d’Albert Camus avec Abd al Malik qu’elle a retrouvé en 2020 pour Les Justes au Châtelet. © Badias/ANDBZ/ABACA

Parmi vos autres projets devait avoir lieu la reprise des Justes de Camus mis en scène au Châtelet par Abd al Malik. Ce dernier affirme d’ailleurs que Camus fait partie de ces auteurs donnant des clés pour décrypter le monde…

Je partage bien sûr son avis. Homme de théâtre, Camus est l’incarnation même de ces questions, de cette lecture politique et engagée de la culture. Abd al Malik ne parle aujourd’hui que de réconciliation. De nouer des liens par-delà les différences. Il a d’ailleurs créé le personnage de "L’âme russe", interprété par Camille Jouannest, qui relie justement ces humanités entre elles.

Vous serez également au générique de l’un des films les plus attendus de ces dernières années, Benedetta de Paul Verhoeven, qui devrait être présenté à Cannes…

J’y incarne Midea Carlini, la mère de Benedetta, cette religieuse italienne du XVIIe siècle jouée par Virginie Efira. Mère et fille ont été sauvées lors de l’accouchement alors qu’on les disait perdues. Benedetta est devenue l’enfant des dieux, donnée au monastère en reconnaissance de son salut. Midea va ressentir la douleur de quitter son trésor de fille promise par son père au couvent. J’ai beaucoup aimé travailler avec Paul Verhoeven. Il est un grand metteur en scène, exigeant, pointu. Tous les matins, nous recevions le story-board des scènes du jour, entièrement dessiné de sa main. L’observer était fascinant, la puissance des images qu’il créait sous nos yeux était époustouflante. On aurait dit des peintures de Breughel.

Autre forme d’engagement, vous êtes devenue ambassadrice auprès de la Fondation pour la recherche médicale...

Lorsque la Fondation m’a contactée, j’ai précisé que j’avais à cœur d’évoquer en particulier le domaine des maladies psychiatriques. La recherche qui est pourtant fondamentale en ce domaine accuse du retard. La vie m’a fait rencontrer des gens malheureusement touchés, ayant éprouvé de très grandes souffrances et de graves dépressions. J’ai eu envie de prendre la parole sur cette cause touchant à un domaine tabou. Il est nécessaire d’avancer. Le confinement est un traumatisme qui a eu cependant le mérite de faire resurgir des sujets comme celui-là. Il a ouvert un espace...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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