"Altacomba !" En cet après-midi du 18 mars 2023, un morceau d’Italie semble s’être détaché de la Péninsule pour venir s’échouer sur les rives du lac du Bourget, au pied de l’abbaye de Hautecombe. Dans la langue de Dante, une effervescence inhabituelle règne aux alentours de ce lieu de prière érigé au XIIe siècle sur les terres offertes aux moines par le comte Amédée III de Savoie. Neuf cents ans plus tard, c’est aujourd’hui la dernière représentante de l’illustre famille dont l’arrivée est guettée par tous. Vittoria de Savoie, princesse de Carignan et marquise d’Ivrée, fille du prince Emanuele Filiberto et de la princesse Clotilde.

À 19 ans, elle accomplit son premier engagement officiel. Depuis l’abrogation de la loi salique en 2020 par son grand-père adoré, le prince Victor-Emmanuel, elle est l’héritière désignée de la dynastie. Et lorsqu’elle fait son apparition, auprès de son père, le brouhaha des préparatifs fait place à un silence soudain, à peine troublé par le chant des oiseaux.
Le roi de mai
Dames et chevaliers des ordres des Saints-Maurice-et-Lazare sont reconnaissables à leur manteau rouge vif. D’autres ont revêtu d’anciens uniformes de carabiniers. Et partout surgissent des oriflammes bleues portant l’inscription "Istituto Nazionale per la Guardia d’Onore alle reali tombe del Pantheon", suivi du lieu de provenance de chaque délégation – Padoue, Milan, Bergame, Turin... À la suite de Vittoria et d’Emanuele Filiberto, deux voitures noires déposent leurs passagers au pied de l’abbatiale. Les Italiens reconnaissent avec émotion le prince Victor-Emmanuel, son épouse la princesse Marina, mais aussi la princesse Maria-Pia de Savoie, fille aînée du roi Umberto II et de la reine Marie-José.

Accueillis par monseigneur Gianfranco Troya, les membres de la famille de Savoie gagnent aussitôt la petite chapelle protégée par une grille, où reposent "le roi et la reine de mai". Lors de ce moment de recueillement réservé aux membres de la dynastie, le célébrant échange avec le prince Victor-Emmanuel. Les deux hommes se connaissent si bien. Ordonné prêtre en 1968, monsignore Troya est devenu en 1973 le recteur du sanctuaire royal de Racconigi, ville de naissance d’Umberto II. Le 24 mars 1983, c’est encore lui qui dit la messe de funérailles du dernier roi d’Italie.
La fierté d'un père
Et alors que l’évocation de nombreux souvenirs les anime, l’église se remplit pour recevoir la princesse Vittoria. Au son des chants de la chorale Les Hirondelles d’Aoste, la jeune femme prend la tête du cortège remontant l’allée centrale. Avec son père, elle échange de nombreux regards complices. On devine la fierté immense du prince, présentant pour la première fois sa fille en ce jour historique.

Les cheveux tirés, arborant un long manteau noir, un col haut et un pantalon de tailleur, elle écoute avec attention la prière des ordres dynastiques : "Seigneur Jésus-Christ, faites qu’à l’exemple de la Bienheureuse Vierge Marie, et avec l’intercession de saint Maurice martyr, de saint Lazare évêque et de la bienheureuse et vénérable Maison royale de Savoie, nous soyons de fidèles témoins des vertus chrétiennes, exerçant la charité envers notre prochain et spécialement envers les malades et les pauvres."
Ruban bleu
Dans cette église ayant abandonné en 1831 la sobriété cistercienne pour un extravagant décor de style gothique troubadour, tous les regards se portent à présent vers le chœur. Au premier rang, s’alignent les profils de Vittoria, son père, ses grands-parents, ainsi que sa grand-tante la princesse Maria-Pia. Les trois fils de cette dernière, les princes Dimitri, Michel et Serge de Yougoslavie occupent le second rang, aux côtés de Marie Elisabeth de Balkany, fille de la princesse Marie-Gabrielle de Savoie, et son jeune fils Victor.

Après la communion, la cérémonie se poursuit par un acte hautement symbolique. La présentation à la princesse Vittoria par des carabiniers d’un drapeau aux couleurs de l’Italie et de la maison de Savoie, auquel elle noue un ruban bleu portant son nom brodé de fil blanc. Devant l’assemblée de ses fidèles soutiens, elle attache à cet instant son destin à celui de son pays, inscrivant ses pas dans ceux des héritiers de la maison royale. Puis, à l’issue de cette messe dite en italien et ponctuée de quelques chants en français, monsignore Toya réconcilie les deux langues en usant du latin pour prononcer la traditionnelle formule "Ite missa est".
"Une grande responsabilité"
La journée se poursuit par une réception dans la grange batelière, en contrebas de l’abbatiale. Alors que ses admirateurs jouent des coudes pour présenter leurs hommages à la princesse, le prince Emanuele Filiberto bat le rappel pour une photo de famille devant les eaux calmes du lac. En cette fin d’après-midi, chacun a une pensée pour le destin du dernier roi d’Italie et de son épouse la reine Marie- José, contraints à un exil qui ne finira jamais. À commencer par la princesse Vittoria qui nous glisse quelques mots.

"C’est la première fois que je viens à l’abbaye de Hautecombe, nous confie-t-elle. Je suis très heureuse et très émue de venir à la rencontre de tous ces gens attachés à notre famille, mais aussi de devenir la marraine des carabiniers." "C’est un beau symbole", poursuit son père qui nous a rejoints. "Il est touchant de voir toutes ces personnes venir des quatre coins de l’Italie pour célébrer le roi Umberto II et la reine Marie-José. J’ai été ému de toute l’affection qu’elles leur ont témoignée. Et plus personnellement, j’ai été ému de vivre ce moment auprès de Vittoria, dont c’est la première sortie officielle. Nous avons choisi cette occasion pour la présenter aux Italiens, car c’est un moment historique, sa portée dépasse le cercle des ordres dynastiques, dont elle fait par ailleurs partie. Après s’être rendue en Ukraine pour y représenter les ordres, elle devrait partir prochainement en Afghanistan, avec une délégation du Parlement européen. Aujourd’hui, nous célébrons la mémoire de son arrière-grand-père, mais elle se concentre avant tout sur ses études. Comme la cérémonie se tenait un...
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