En 1959, le roi des Hellènes Paul Ier, son épouse Frederika et leur fils, le diadoque Constantin, héritier du trône, se rendent en visite d’État à Copenhague. Il s’agit aussi d’une visite de famille, puisque c’est une branche cadette des Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg, la maison royale de Danemark, qui règne en Grèce.
Or, le roi Frédéric IX et la reine Ingrid ont trois filles. La plus jeune, Anne-Marie, n’a encore que 13 ans, mais elle tombe sous le charme de l’héritier de la couronne, son cousin de 19 ans. Lui-même ne reste pas insensible à la beauté juvénile d’Anne-Marie, et lorsqu’ils se revoient, en 1961, c’est le coup de foudre.
"Tino" – comme on le surnomme – annonce aussitôt à ses parents sa ferme intention de l’épouser. Le projet conviendrait à tout le monde, si la loi danoise n’interdisait de convoler en justes noces avant l’âge de 18 ans. Sagement, le roi Frédéric demande donc aux tourtereaux de patienter. En attendant, Anne-Marie ira parfaire son éducation de future souveraine à l’école du Châtelard, une pension suisse pour demoiselles de bonne famille.
Son mariage est l'un des plus prestigieux du XXe siècle
Au mariage de Sophie de Grèce et de Juan Carlos d’Espagne, le 14 mai 1962 à Athènes, Constantin ne veut danser avec personne d’autre qu’Anne-Marie. Le couple se revoit encore au cours de l’été, durant un championnat de voile en Norvège. Enfin, les fiançailles sont officiellement célébrées à Copenhague, en janvier 1963. Et lorsqu’un an plus tard, le 6 mars 1964, Paul Ier meurt en laissant à son fils un trône vacillant, c’est Anne-Marie qui remet le sceptre à son fiancé, au palais royal, devant les ministres et le primat de Grèce.

Pour la première fois depuis le début de la dynastie, un roi va se marier sur le sol national. Après d’émouvants adieux à Copenhague, Anne-Marie rejoint Brindisi en avion, avant de s’embarquer avec sa famille à bord du yacht Dannebrog, à destination de Phalère, l’un des ports d’Athènes.

Plus de sept cents invitations ont été lancées pour ce qui promet d’être l’un des mariages les plus prestigieux du XXe siècle. Tout le gotha est présent pour bénir cette union des plus jeunes souverains du monde. Il y aura neuf rois et reines, quarante-trois princes, quarante-quatre princesses… Le vendredi 18 septembre 1964, les noces de Constantin et d’Anne-Marie rendent à Athènes toute sa gaieté et son exubérance méditerranéenne. À 18 ans et 18 jours, la princesse danoise devient la "Basilissa", lointaine héritière des impératrices d’Orient. L’avenir le plus radieux semble s’ouvrir devant elle. Sans doute Anne-Marie et Constantin se laisseront-ils étourdir par cette popularité un peu factice…

La démocratie grecque, objet de toute la sollicitude du roi Paul Ier, demeure pourtant fragile. En un siècle de présence discontinue, la dynastie des Glücksbourg est-elle réellement parvenue à faire oublier ses origines étrangères ? Avant de quitter le Danemark, la reine Ingrid avait confié à sa fille : "La vie est toujours supportable, lorsqu’on est avec la personne que l’on aime réellement." Avertissement prémonitoire, car l’avenir d’Anne-Marie, aux teintes d’un perpétuel exil, ne va pas tarder à s’assombrir.
L'armée grecque s'empare du pouvoir
Courageusement, la petite reine danoise s’applique à adopter les coutumes de sa patrie d’adoption. Après 37 jours d’une lune de miel passée à explorer les provinces reculées du royaume, Anne-Marie offrira une grande partie de son temps à la continuation de l’œuvre du Fonds de Sa Majesté, inaugurée par sa belle-mère, la reine Frederika, au bénéfice des populations rurales défavorisées.
Dix mois après son mariage, le 10 juillet 1965, elle met au monde une princesse, Alexia, à la villa Mon Repos de Corfou où, en 1921, avait vu le jour le futur duc d’Édimbourg. Si Constantin est fou de bonheur, il ne peut oublier longtemps la crise qui oblige, cinq jours plus tard, le Premier ministre Georgios Papandréou, à démissionner. Lorsque le 20 mai 1967, naît enfin le diadoque Paul, l’héritier tant espéré, l’armée a déjà pris le pouvoir depuis presque un mois, abolissant les libertés publiques et déportant des milliers de personnes sur l’île de Yaros.

Le baptême de Paul, titré duc de Sparte, se déroule dans un apparat qui dissimule mal l’extrême tension régnant en Grèce. Les souverains danois, ne voulant pas paraître cautionner la dictature des colonels, n’assistent pas à la cérémonie. Constantin lui-même n’accepte qu’à contrecœur d’officialiser le coup d’État, en reconnaissant le gouvernement militaire pour "éviter un bain de sang". En secret, il prépare une riposte afin de restaurer la démocratie.

En décembre 1967, le roi tente de rallier Salonique où le commandant de la IIIe Armée, le général Teridis, est tout dévoué à sa cause. C’est un échec et la famille royale est contrainte de s’enfuir à bord d’un avion qui, à court de carburant, se pose sur l’aérodrome militaire de Rome. Pour Anne-Marie, le rêve s’achève après 1093 jours de règne. L’équipée tourne à la tragédie lorsque, contrecoup des événements, elle perd, deux jours plus tard, l’enfant qu’elle portait… À Athènes, le colonel Georgios Papadhópoulos s’est proclamé Premier ministre et le général Georgios Zoitakis, régent.

Constantin II, désormais monarque sans couronne, trouve refuge, avec sa femme et ses enfants, à Rome, dans la villa Polysena, propriété de son cousin, le prince Henri de Hesse. C’est sur le sol italien, dans ces premières années d’exil où subsiste l’espoir d’un prompt retour, que naît un deuxième fils, le prince Nicolas, en 1969. Pendant ce temps, en Grèce, la dictature promulgue une nouvelle Constitution puis, le 1er juin 1973, proclame la République. Constantin est déposé, mais il n’abdique pas.
Un retour tant espéré en Grèce
L’année suivante, la guerre de Chypre entraîne le retour au pouvoir des civils. La liberté d’expression est rétablie, les partis sortent de la clandestinité. Constantinos Caramanlis, le grand vainqueur des élections, organise un référendum sur la nature du nouveau régime. Le 8 décembre 1974, 68 % des électeurs disent non à une restauration.

En mai 1976, Constantin et Anne-Marie font l’acquisition d’un petit manoir sur Linnell Drive, à Hampstead, dans les environs chics de Londres, près de leurs cousins, Élisabeth II et Philip, né prince de Grèce et de Danemark. De ce foyer de perpétuel exil, la reine parlera comme de sa "maison loin de la maison". Le couple décide néanmoins de tourner la page, d’échapper à la désespérance, et veut avoir d’autres enfants. Hélas, par trois fois, de 1977 à 1981, Anne-Marie ne peut achever ses grossesses. Traitée efficacement, grâce à du repos et beaucoup de volonté, elle donne le jour, en 1983, à une petite Théodora et, en 1986, à un garçon, Philippos, vingt ans après Alexia.

Entre-temps, le 12 février 1981, Constantin a pu retrouver Athènes, pour quelques heures seulement et dans de bien pénibles circonstances, puisqu’il s’agissait des obsèques de sa mère, la reine Frederika. À son arrivée à l’aéroport, il s’est agenouillé pour embrasser le sol grec, acclamé par de fidèles royalistes.
Depuis lors, les années ont passé et la Grèce s’est réconciliée avec son passé. En 2003, le monarque détrôné a récupéré une partie de ses propriétés. L’année suivante, Anne-Marie et Constantin ont été les invités du président Costis Stephanopoulos, dans leur ancien palais d’Athènes. Quant aux sommes d’argent restituées en dédommagement, elles ont servi à créer une Fondation Anne-Marie, basée au Liechtenstein, pour aider les victimes de catastrophes naturelles en Grèce, en particulier les tremblements de terre et les inondations.

Après avoir loué une villa dans la localité de Porto Heli, sur le golfe Argolique, dans le Péloponnèse, Anne-Marie et Constantin décideront en 2013 de vendre leur résidence d’Angleterre et rentrer définitivement en Grèce, sans pour autant retrouver leur nationalité. Le couple fait alors construire une vaste villa, toujours à Porto Heli, où tous deux mènent depuis lors une existence relativement discrète, entourés de leur nombreuse famille, à l'écart du débat politique. Une ancienne maxime ne prétend-elle pas que "les rois de Grèce reviennent toujours" ?