Frederika de Grèce, l'autre Dame de fer

Dans la nuit du 6 au 7 février 1981, s’éteignait à Madrid, à l’âge de 63 ans, Frederika de Hanovre, veuve du roi Paul de Grèce. Intrépide et courageuse pour ses partisans, orgueilleuse et despotique pour ses détracteurs, "la reine de fer", fière petite-fille du kaiser Guillaume II, ne laissait personne indifférent.

Par Gabriel de Penchenade - 05 février 2021, 08h08

 En 1961, la souveraine, à l’apogée de sa gloire, visite New York. Mais l’omniprésence de "la reine de fer", tant sur la scène nationale qu’internationale, irrite les politiciens grecs.
En 1961, la souveraine, à l’apogée de sa gloire, visite New York. Mais l’omniprésence de "la reine de fer", tant sur la scène nationale qu’internationale, irrite les politiciens grecs. © Getty Images

Dans une chambre de la clinique La Paloma de Madrid, ce matin du 7 février 1981, repose le corps d’une reine. Nul n’est encore au courant mais Frederika de Grèce y est entrée la veille, "incognito" et sur ses deux pieds, pour une opération esthétique aux paupières.

En raison de problèmes cardiaques, son médecin britannique, consulté quelques semaines auparavant, avait refusé de l’opérer. Alors, de passage à Madrid, l’ancienne souveraine, entêtée, a convaincu le docteur Carlos Zurita, beau-frère de son gendre, le roi Juan Carlos, et sa fille, la reine d’Espagne, de pratiquer l’intervention. Sous le sceau du secret bien sûr. Personne, même de la famille, ne devant être informé.

Frederika de Grèce en 1969. © Getty ImagesFrederika de Grèce en 1969. © Getty Images

Seulement voilà, victime d’un infarctus du myocarde, la reine douairière ne s’est pas relevée de l’anesthésie. Avant que la nouvelle se répande, la dépouille royale est rapatriée au palais de la Zarzuela, où Frederika était supposée séjourner. La reine Sophie et le roi Juan Carlos, en vacances avec les infants dans la station de sports d’hiver de Baqueira-Beret, sautent dans un hélicoptère pour regagner Madrid. L’ex-roi Constantin de Grèce débarque du premier vol en provenance de Londres, où il vit alors en exil. Et la princesse Irène, leur sœur cadette, arrive un peu plus tard de Bombay.

Trois jours de deuil sont décrétés en Espagne et une première messe de funérailles est célébrée par le métropolite orthodoxe. Tandis que les enfants se recueillent sur le cercueil de leur mère, Juan Carlos use de diplomatie pour convaincre le président Konstantínos Karamanlís et le gouvernement grec, plus que réticents, d’autoriser l’inhumation de l’ancienne souveraine auprès de son mari, le roi Paul, dans la nécropole de Tatoï.

Les obstacles soulevés sont tels que le roi d’Espagne aurait même envisagé, pour sa belle-mère, une sépulture au monastère royal de l’Escurial. Finalement, Juan Carlos va même obtenir, pour 24 heures, la levée de la loi d’exil interdisant le territoire national à l’ancienne famille royale grecque. Frederika, décidément, n’a pas laissé que de bons souvenirs…

Princesse de Hanovre sur le trône de Grèce

Et pourtant, elle a passionnément aimé son royaume. Son roman d’amour tourmenté avec la Grèce a commencé en 1937, à Hubertihaus, en Autriche, le jour de ses fiançailles avec le diadoque Paul, héritier de son frère aîné le roi Georges II.

Le mariage célébré en grande pompe à Athènes, quelques mois plus tard, le 9 janvier 1938, divise pourtant déjà l’opinion. Nombre d’officiels grecs s’inquiètent des relations ambiguës que le prince Ernst August III de Hanovre et son épouse Viktoria-Luise de Prusse, la fille cadette du kaiser Guillaume II, entretiennent avec le parti nazi.

Autour de Paul et Frederika, le jour de leur mariage à Athènes, en 1938, Hélène de Grèce, reine de Roumanie, Ernst August de Hanovre, duc de Brunswick, Viktoria-Luise, duchesse de Brunswick, et le roi Georges II de Grèce. © Getty ImagesAutour de Paul et Frederika, le jour de leur mariage à Athènes, en 1938, Hélène de Grèce, reine de Roumanie, Ernst August de Hanovre, duc de Brunswick, Viktoria-Luise, duchesse de Brunswick, et le roi Georges II de Grèce. © Getty Images

Leur fille Frederika refuse en outre obstinément, comme le voudrait la tradition, d’adopter un prénom à consonance grecque, lors de sa conversion à la foi orthodoxe. Mais la vie "bourgeoise" que mènent les princes héritiers dans leur villa de Psychiko, en banlieue d’Athènes, et la naissance de deux premiers enfants, Sophie, en 1938, et Constantin, en juin 1940, finissent par gagner le cœur de leurs compatriotes.

L’invasion de la Grèce continentale par l’armée allemande, en avril 1941, fait voler en éclats cette paisible existence. La princesse héritière et ses enfants se réfugient en Crète, où Paul et le roi Georges II sont à leur tour contraints de se replier. La résistance sera brève.

Un mois plus tard, tandis que le souverain, son héritier et le gouvernement s’installent à Londres, la princesse et le reste de la famille royale, déjà partis en Égypte, rejoignent l’Afrique du Sud. C’est dans ce pays que naîtra, en 1942, Irène, troisième enfant du couple.

Si le royaume est libéré dès la fin du mois de novembre 1944, la famille royale, qui doit affronter un fort sentiment républicain des élites, reste en exil jusqu’au référendum de septembre 1946 qui conforte la monarchie. Sept mois seulement après son retour, Georges II s’éteint. Paul et Frederika, roi et reine des Hellènes, le 1er avril 1947, entament une longue et énergique campagne de reconquête de popularité.

Au palais royal d’Athènes, désormais réservé aux cérémonies officielles, ils préfèrent Tatoï, une imposante villa, construite en 1872 pour le roi Georges Ier.

La situation politique est toujours instable et, à l’automne, Paul est terrassé durant plusieurs semaines par la typhoïde. La guérilla communiste, qui sévit aux frontières nord, tente de profiter de la situation pour s’emparer d’une ville où proclamer la république populaire.

Sans hésiter, Frederika se précipite sur le front et sillonne jusqu’aux villages de montagne les plus reculés, à dos d’âne quand il le faut, pour galvaniser l’armée régulière. Courageuse et déterminée, la reine y gagne la considération de ses sujets. Même si quelques politiques, plus misogynes, se plaignent de son omniprésence.

La reine inspecte un régiment sur le frond albanais, en 1948. © AKG-imagesLa reine inspecte un régiment sur le frond albanais, en 1948. © AKG-images

Si l’on en croit la confidence d’un diplomate français, un ministre en audience avec le roi, s’agaçant de l’entendre donner son avis à tout propos, lui aurait lancé : "Femme, ta place est à la cuisine !" Pas de quoi impressionner la petite-fille du kaiser qui œuvre, à grand renfort de visites officielles, à replacer la Grèce sur la scène internationale et développe le tourisme, une manne pour le pays, en organisant, à deux reprises, la très médiatique "croisière des rois" à bord du yacht l’Agamemnon.

"Les rois de Grèce reviennent toujours !"

Dans le milieu de ces années 1950, la reine est satisfaite, jamais avant elle la famille royale grecque n’avait atteint de tels sommets de popularité. De "belles années" pour Frederika que couronnent, en 1962, les noces de sa fille Sophie avec Juan Carlos, le futur roi d’Espagne.

Mais l’exigence d’une dot, qu’elle finira par obtenir, comme ses demandes réitérées d’augmentation de la liste civile, pour assurer le train de la maison royale, aggravent les tensions entre la "reine de fer" et le Parlement.

Les souverains sont de plus en plus vivement critiqués. Ni la mort du roi Paul, en mars 1964, ni le fastueux mariage du jeune roi Constantin II avec sa belle cousine Anne-Marie de Danemark, en septembre de la même année, n’apaisent la situation. D’autant que le "retrait de la vie publique" ostensiblement orchestré par Frederika ne trompe personne. On l’accuse d’agir dans l’ombre.

Le roi Constantin II et son épouse Anne-Marie, leur fille la princesse Alexia, le roi et la reine de Danemark et la reine Frederika. © Getty ImagesLe roi Constantin II et son épouse Anne-Marie, leur fille la princesse Alexia, le roi et la reine de Danemark et la reine Frederika. © Getty Images

Quand Constantin s’affronte à son Premier ministre Géorgios Papandréou, en 1965, les manifestants descendent dans la rue et brandissent des pancartes : "Roi, nous ne voulons plus de vous. Prenez votre mère et partez!" La reine douairière sera même soupçonnée, en avril 1967, d’avoir poussé son fils à entériner le putsch des colonels.

Le contre-coup d’État maladroit tenté par Constantin II, neuf mois plus tard, contraint la famille royale à une nouvelle fuite. Dans un ultime geste de panache, Frederika, pressée par un officier de boucler ses valises, l’aurait pointé du doigt et menacé d’un péremptoire : "Les rois de Grèce reviennent toujours !" 

Dès les premières semaines d’exil, à Rome, la reine ploie sous le poids des critiques. Même le dictateur espagnol Franco la trouve trop intrigante pour accepter qu’elle réside auprès de Sophie...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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