Basil Zaharoff, l'extraordinaire destin du plus romanesque marchand d'armes

Gamin de Constantinople aux ambitions irrépressibles, il tient le monde entre ses mains en devenant un puissant marchand d’armes. La romancière Jennifer Richard lui consacre un livre remarquable*. Des hautes sphères de la société aux conciliabules où chacun se dispute sa part de marché, en passant par les alcôves où s’effeuillent les rêves les plus secrets, retour sur une vie d’aventures... 

Par Fanny del Volta - 28 janvier 2021, 08h30

 Une histoire époustouflante, digne d’un roman.
Une histoire époustouflante, digne d’un roman. © akg-images / Interfoto

De Basil Zaharoff, il a été possible de compter la fortune, ses dons aux œuvres caritatives, le nombre d’armes ou de sous-marins qu’il a vendus et surtout les morts liés à son activité autour de la guerre. Mais nul ne peut dire encore aujourd’hui combien de vies il s’est inventées pour nourrir ses ambitions, satisfaire sa mégalomanie ou encore apaiser sa conscience.

Né en 1849, à Constantinople, il voit le monde s’ouvrir à lui à 25 ans, en devenant représentant dans l’armement. L’Europe, à l’orée du XXe siècle, voit prospérer les géants du marché : Krupp, Thyssen ou Schneider. Ces industriels sont issus de dynasties prestigieuses mais aucun marchand d’armes ne possède l’ingéniosité d’un Zaharoff. L’homme a construit son empire comme on écrit une symphonie, dans le respect parfait des rythmes.

Un magnat de la presse, de la finance et du pétrole

Au sommet de sa gloire, dans les années 1920, le magnat a pour dernière ambition de racheter Monaco. Un tel coup consacrerait sa toute-puissance et verrait surtout son épouse, Maria del Pilar, devenir princesse. Les premières affaires de Basil Zaharoff sur le Rocher remontent à sa rencontre avec Albert Ier de Monaco à la toute fin du XIXe siècle.

Le prince règne sur ce petit territoire de Méditerranée depuis 1889. Il tire ses principaux revenus de la redevance versée par la Société des bains de mer pour l’exploitation du casino et des hôtels de la principauté et demande à Zaharoff d’en devenir l’actionnaire majoritaire. La manœuvre lui permet de se débarrasser du directeur de la SBM, Camille Blanc, et de faire renflouer les caisses de la Société en un temps record.

Dans son roman, Jennifer Richard dresse le portrait de ce magnat, ami et complice de tous les chefs d’Etat. © Service de presse Albin Michel
Dans son roman, Jennifer Richard dresse le portrait de ce magnat, ami et complice de tous les chefs d’Etat. © Service de presse Albin Michel

À cette époque, celui que le monde entier surnomme Zed est un homme d’affaires reconnu. S’il a diversifié ses activités, il reste maître sur le marché de l’armement. Le Suédois Nordenfelt et le Britannique Vickers lui ont voué une reconnaissance sonnante et trébuchante pour avoir vendu de façon remarquable leur arsenal de guerre. Zaharoff doit sa réussite fulgurante à cette idée machiavélique : faire signer le même contrat d’armement aux adversaires d’un même conflit. C’est ainsi qu’en vue de la guerre de Trente jours, en 1897, les Grecs puis les Turcs dotent leur armée d’un modèle identique de sous-marin à vapeur.

Pendant la guerre des Boers, on tue d’un côté comme de l’autre avec des armes conçues par Vickers. Lors de la première guerre des Balkans (1912-1913), Zaharoff arme la Grèce contre la Turquie, la Turquie contre la Serbie et la Serbie contre l’Autriche.

À la veille de la Première Guerre mondiale, il réussit à fournir les armées britanniques, allemandes, russes et françaises. En outre, pour faciliter ses transactions, Zed n’hésite pas à distribuer des pots-de-vin colossaux : des bijoux pour les épouses ou maîtresses de ses interlocuteurs et des yachts pour ses partenaires commerciaux. Et tous ses clients ont droit à un crédit, remboursable sur plusieurs années. Une première dans l’histoire de l’armement.

Un marchand aux manières soignées

En moins de trente ans, Zaharoff finit par posséder plus de trois cents participations dans diverses entreprises, dont l’Union parisienne des banques ou encore le journal Excelsior. Passé l’horreur de la Première Guerre, il devine même avant l’heure les futurs enjeux de la planète et s’attelle à la fondation de ce qui deviendra plus tard la British Petroleum Company.

Milliardaire et mécène, il a gagné sa place auprès des plus grands. Ses accointances et son goût du secret font même de lui le diplomate parfait. Mille et une thèses circulent sur ses origines. On le dit juif de naissance, puis orthodoxe. Pour les uns, il a vécu une enfance misérable dans les bas-fonds de Constantinople, devenant tour à tour rabatteur puis usurier. Pour d’autres, il est passé par les plus grandes écoles européennes, dont Eton.

Marchand d'armes et éminence grise des grandes puissances du XXe siècle, il est l'homme le plus influent de son époque dont il reçoit tous les honneurs. © akg-images / Imagno / Austrian Archives
Marchand d'armes et éminence grise des grandes puissances du XXe siècle, il est l'homme le plus influent de son époque dont il reçoit tous les honneurs.© akg-images / Imagno / Austrian Archives

En Amérique, on retrouve sa trace sous l’identité de "Comte Zaharoff". En Grande-Bretagne, où il est l’âme damnée du Premier ministre Lloyd George, il est fait grand-croix de l’ordre du Bain puis chevalier grand-croix de l’ordre de l’Empire britannique.

En Grèce, sir Basil use de son influence pour que le royaume se range du côté des alliés. La manœuvre aboutit à la destitution de Constantin Ier, beau-frère du Kaiser Guillaume II.

Il tente de racheter la principauté de Monaco

Grand ami de la France, il entretient une complicité évidente avec Georges Clemenceau, qui le fait grand-croix de la Légion d’honneur le jour de l’assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914. En retour, Basil Zaharoff sait se montrer généreux avec le "Tigre". Il lui offre une Rolls Royce et fait employer son fils, Michel Clemenceau, chez Vickers. Après-guerre, le président du Conseil rend souvent visite au marchand d’armes, dans son hôtel particulier de l’avenue Hoche. C’est là qu’il aurait mis au point le fameux "Traité d’amitié protectrice" qui accorde à Monaco une protection limitée de la France contre un alignement des intérêts militaires et économiques de la Principauté sur ceux de l’Hexagone.

Entériné dans le cadre du traité de Versailles, le texte prévoit aussi que pour être prince de Monaco, il faut être français ou monégasque. La France redoute en effet de voir la principauté tomber sous le joug allemand. Le duc Guillaume d’Urach, petit-fils du prince Florestan de Monaco, est deuxième dans la ligne de succession au trône après Louis II. Afin d’écarter toute menace, le gouvernement français aurait mandaté Zaharoff pour favoriser l’adoption par Louis II de sa fille naturelle Charlotte, qui devient dynaste en 1919. Dès les années 1920, plusieurs gros titres surnomment Basil Zaharoff "le Prince de Monaco".

Albert Ier est mort mais son fils, Louis II, n’entretient pas la même amitié avec l’actionnaire majoritaire de la SBM. Les deux hommes semblent même régler leurs comptes par voie de presse. L’Impartial, dont Zaharoff est propriétaire, dénonce le "déchaînement d’appétit d’argent" de la famille princière. En retour, le journal monégasque Tout va... critique Zaharoff, "vautour né bulgare sous le nom de Zacharie Zacharias, juif évidemment", "un gros requin à la détestable réputation d’insatiable". En cause, la dernière ambition de l’homme d’affaires. Persuadé du désintérêt de Louis II pour les affaires de la principauté, il aurait tenté de la racheter, en vain.

Amoureux fou d’une duchesse espagnole

Depuis son mariage avec Maria del Pilar, en 1924, Zed rêve pour elle d’un royaume. De dix-neuf ans sa cadette, Maria del Pilar est la seule femme que Zaharoff ait véritablement aimée. Lors de leur rencontre, en 1889, elle vient tout juste d’épouser Francisco María de Borbón, duc de Marchena, grand d’Espagne et cousin du roi Alphonse XIII. Le coup de foudre est pourtant immédiat. La jeune femme ne peut alors envisager le divorce mais, installée en France avec un époux atteint de démence, elle vit en toute liberté son histoire d’amour avec le magnat des armes. Leur relation se nourrit des mêmes ambitions. Elle-même fille d’un homme d’affaires et politicien, Maria del Pilar favorise les activités de son amant en Espagne et en Amérique du Sud.

À 40 ans, il rencontre l’amour de sa vie, Maria del Pilar, duchesse de Marchena. Ci-contre, le couple vers 1924. Maria décédera brutalement en 1926. © akg-images / ullstein bild
À 40 ans, il rencontre l’amour de sa vie, Maria del Pilar, duchesse de Marchena....

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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