Le destin de Louis Vuitton, l’homme derrière la malle

La maison de maroquinerie de luxe fête cette année le bicentenaire de la naissance de son fondateur. L’occasion pour l’écrivaine et scénariste Caroline Bongrand de revenir sur la fascinante ascension d’un personnage encore mystérieux, dont le nom est pourtant connu dans le monde entier.

Par Estelle Lenartowicz - 09 novembre 2021, 17h27

 Portrait de Louis Vuitton (1821-1892), fondateur de la Maison Vuitton, années 1884
Portrait de Louis Vuitton (1821-1892), fondateur de la Maison Vuitton, années 1884 © Archives Louis Vuitton Malletier

Le plus célèbre malletier du monde est né il y a deux siècles dans un petit village du Jura. Que sait-on des premières années de la vie de Louis Vuitton ? 

Il grandit dans un climat hostile et des conditions de vie rudimentaires, mais auprès d’une famille aimante, du moins la première partie de son enfance… Son père, meunier, lui inculque la valeur du travail. À la mort de son épouse, ce dernier se remarie très vite avec une femme qui n’apprécie pas les enfants du précédent lit. Devenu la bête noire de la marâtre, Louis décide de s’enfuir. Comme dans un conte, il prend la route, chaussé de simples sabots de bois. Pendant deux ans, il va parcourir à pied les quatre cents kilomètres qui le séparent de Paris. Il a faim, froid, traverse des forêts, se nourrit de ce qu’il peut, loge sur son chemin chez des artisans qui l’initient à leur métier et lui offrent une sorte de compagnonnage. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire ce livre : l’image de ce môme courageux de 13 ans et demi, qui s’arrache à une vie triste et tend vers quelque chose de plus joyeux. Il me semble qu’il faut être sacrément malheureux pour prendre une telle décision. Et surtout, croire en sa bonne étoile.

En 1837, il arrive à Paris en haillons, sans un sou, dans une ville insalubre et dangereuse. Comment réussit-il à se faire embaucher comme emballeur ? 

Un cousin qui l’héberge lui apprend d’abord à faire des coffrages et des emballages en bois. Puis il frappe à la porte de plusieurs emballeurs coffretiers. Ces artisans, très nombreux à l’époque, s’occupent d’emballer les objets de toutes sortes, vendus par les commerçants, du pharmacien au couturier. Louis repère la boutique de Romain Maréchal, l’un des emballeurs les plus courus de la ville. Il convainc le patron de le prendre à l’essai pour une semaine. Ses talents manuels et son habileté impressionnent. Il restera dix-sept ans, et deviendra le bras droit de Maréchal. 

Louis Vuitton
Peinte ici dans la forêt de Compiègne avec ses demoiselles d’honneur, l’impératrice Eugénie a beaucoup soutenu le créateur de malles. Ci-contre, l’atelier d’Asnières, qui sera en partie brûlé à l’arrivée des Prussiens sur Paris en 1870.© COMPIEGNE, CHATEAU DE COMPIEGNE (c) THE BRIDGEMAN ART LIBRARY/GIRAUDON / LAUROS

C’est là qu’il rencontre une certaine Eugénie de Montijo, qui jouera dans sa vie un rôle considérable… 

Tout à fait. La future impératrice est alors une jeune aristocrate espagnole qui mène à Paris une intense vie mondaine avec sa mère et sa sœur. Elle se rend régulièrement chez Maréchal pour faire emballer ses robes. Louis, de quatre ans et demi son aîné, l’accueille et la conseille, dans le culte du client que lui a inculqué Maréchal. Au fil du temps, il crée avec elle un lien de confiance et d’amitié. Joyeuse et virevoltante, Eugénie a un vrai sens de l’autre et une forte conscience politique et sociale. Elle a lu des ouvrages sur l’émancipation des ouvriers et, sensible au talent de Louis, l’encourage à se mettre à son compte. Lui ne l’envisage pas, par loyauté envers son employeur. Le déclic a lieu lorsqu’Eugénie devient l’épouse de Napoléon III. Elle lui dit qu’elle fera de lui l’emballeur de l’impératrice, et le fera savoir… 

Mais il ne s’établit toujours pas… 

Pas encore. Il tombe amoureux de Clémence-Émilie Parriaux, une jeune femme originaire du Jura dont le père entrepreneur fournit du papier aux emballeurs. Dotée d’un grand sens des affaires et du service, Émilie va lui apporter la confiance dont il manquait, et devenir une partenaire de vie essentielle sur le plan privé et professionnel. On dit que derrière tout homme important, il y a une femme extraordinaire dont on ne parle pas… La voilà ! 

Elle tient boutique pendant que Louis développe de nouvelles créations. D’un point de vue technique, comment innove-t-il ?

Grâce à Eugénie, il est aux premières loges du second Empire et observe très tôt l’importance grandissante du vêtement et l’évolution des volumes dans l’habillement et les accessoires. Comprenant que l’emballage de mode est en passe de se généraliser, il en fait son activité phare à la création de sa maison, en 1854. La qualité du service est vite au rendez-vous : les robes emballées par Vuitton ressortent sans un pli ! Mais surtout, Eugénie le tient au courant de tous les projets du baron Haussmann. Il comprend que la ville va être complètement redessinée, que des hôtels vont ouvrir, que les grandes innovations techniques et l’essor des moyens de transport, notamment le chemin de fer, vont favoriser le voyage et les déplacements, la curiosité de Paris et de l’ailleurs. Il décide alors de passer à la fabrication de malles. De là, il ne cesse plus d’innover. Il invente une malle bombée qui chasse la pluie et protège les objets des chocs de la route. Puis une malle plate, révolutionnaire car empilable et offrant un gain de place considérable. Rappelons qu’à l’époque, les dames de la haute société voyagent avec au moins dix malles, certaines avec vingt-quatre… Eugénie assure sa promotion : tout le monde veut les malles de l’impératrice !

Louis Vuitton
Magasin Louis Vuitton 1, rue Scribe a Paris, ouvert en 1871. Tirage gelatino-argentique des années 1890-1900. Plusieurs voitures à cheval vont livrer les malles manufacturées à Asnières. Louis Vuitton dispose de 11 mètres de façade pour une profondeur de magasin de 8 mètres.  © Archives Louis Vuitton Malletier

Que sait-on de sa personnalité et de sa façon de travailler ? 

Louis est un véritable inventeur. Son esprit réconcilie deux choses qui, d’habitude, ne vont pas du tout ensemble : l’extrême rationalité et l’imagination la plus totale. Discret, pour ne pas dire timide, il sait se mettre à l’écoute des désirs de ses clients et, avec eux, comprend avant les autres un monde qui change. Il veut toujours aller plus loin alors qu’il pourrait se reposer sur ses lauriers. Perfectionniste, il est d’une exigence extrême et contrôle tout ce qui sort de ses ateliers. Il se montre aussi soucieux du bienêtre de ses ouvriers et reste très attentif à leurs conditions de travail. Ils font face à une production toujours plus grande. Louis reçoit de nombreuses commandes d’artistes et d’inventeurs prestigieux. Il conçoit les deux cents malles grâce auxquelles Sarah Bernhardt pourra faire sa première tournée mondiale. À la demande de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, il confectionne même une malle-lit personnalisée.

Son ascension est mise à l’arrêt en 1870 par la guerre franco-prussienne et la chute du Second Empire. Comment va-t-il se réinventer ? 

La guerre est un coup dur. Les Prussiens détruisent tout. Les ateliers d’Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, sont occupés et en grande partie brûlés. C’est un moment difficile, le travail d’une vie part en fumée. Comprenant que sa clientèle aussi va partir, Louis est tenté de baisser les bras. Mais son épouse lui parle de son fils, Georges, âgé de 16 ans en 1873, et à qui il est en train de transmettre son savoir-faire, son héritage. Alors Louis reprend foi en l’avenir et achète rue Scribe, à Paris, une boutique plus grande que la précédente. Le succès est au rendez-vous. Devenue la plus belle ville du monde sous l’impulsion de Napoléon III désormais exilé à Londres avec Eugénie, Paris...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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