L'histoire inédite du tournage du film Autant en emporte le vent

Plus de quatre-vingts ans après la sortie de "Gone with the Wind", légendaire adaptation du roman de Margaret Mitchell produite par David O. Selznick, l’écrivain et journaliste François-Guillaume Lorrain consacre un livre passionnant* à l’histoire de son tournage.

Par Isabelle Lortholary - 07 janvier 2022, 07h40

 Gone with the Wind, un film porté par Vivien Leigh (Scarlett) et Clark Gable (Rhett).
Gone with the Wind, un film porté par Vivien Leigh (Scarlett) et Clark Gable (Rhett). © Underwood Archives / Contributeur / Getty Images

À son mari producteur qui lui demandait, un soir de mai 1936, si elle irait au cinéma voir l’histoire d’une jeune fille du Vieux Sud entraînée malgré elle dans la guerre de Sécession, Irene Selznick répondit d’abord non. Pour changer d’avis un mois plus tard, après avoir lu le manuscrit de Gone with the Wind.

David O. Selznick et son femme Irene assistent à la première d"Autant en emporte le vent, en décembre 1939.
Le producteur David O. Selznick et son épouse Irene lors de la première aux États-Unis, en décembre 1939. © Hulton Archive/Intermittent / Getty Images

Pour elle, ces 1063 pages (et 72 chapitres) ne sont pas une histoire de guerre, mais bien une tragédie romantique autour d’une héroïne prénommée Scarlett. Une femme aux pensées inavouables qui tourne la tête à tous ses prétendants avant d’être démasquée par un homme aussi peu recommandable qu’elle, dont elle se rend compte un peu tard qu’il est le seul qu’elle aura aimé. Et l’épouse de Selznick de conclure que cette Scarlett d’une liberté folle allait envoûter l’Amérique.

Un film à la production hors normes

La suite lui a donné raison : le livre connaît, dès sa sortie en librairie, en 1936, un succès immédiat, couronné trois ans plus tard par celui d’un film abonné aux superlatifs — le plus beau, le plus long et le plus cher de l’âge d’or de Hollywood**. Pourtant, rien ne présageait un tel avenir pour le premier roman d’une illustre inconnue aux idées racistes. Rien n’augurait en effet le phénomène d’identification totale des lectrices de Margaret Mitchell à cette héroïne autoritaire, ni le fait que Scarlett deviendrait LE rôle dont toutes les grandes comédiennes de l’époque rêveraient.

Clark Gable lit Gone with the wind de Margaret Mitchell dont a été tiré le film.
Clark Gable (Rhett Butler) en pleine lecture de Gone with the Wind de Margaret Mitchell. © Hulton Deutsch / Contributeur / Getty Images

C’est un peu par hasard que François-Guillaume Lorrain, écrivain cinéphile, a eu l’idée de raconter la genèse de cette aventure en Technicolor. En lisant une biographie d'Erich Maria Remarque, qui fut l’époux de Paulette Goddard, il apprend que la comédienne au nom français s’est démenée pour obtenir le rôle de Scarlett. Tout comme Lana Turner, Joan Crawford, Shirley Temple, Norma Shearer, mais aussi les redoutées et redoutables Bette Davis et Katharine Hepburn... aucune ne parvenant à convaincre David O. Selznick. "Imaginer cette farandole des plus grandes actrices et des plus belles femmes défilant devant le producteur m’a amusé. Quel genre d’homme refuse de telles stars ? Quelle mégalomanie, quelles obsessions ont guidé ses choix ?"

Vivien Leigh sur le tournage d"Autant en emporte le vent.
La comédienne Vivien Leigh, choisie pour incarner Scarlett, à l’époque du tournage. © akg-images / Album / M.G.M / Fred Parrish

Car tout est hors norme dans l’histoire de la production de ce film. En 1936, la dépression touche à sa fin : avec sa Scarlett O’Hara, pimbêche mais aussi audacieuse, Margaret Mitchell invente un registre féminin source d’espoir. Mais 1936, aux États-Unis, c’est aussi l’époque où le cinéma hollywoodien se trouve entre les mains de quelques grands studios et de leurs fondateurs, des juifs polonais, russes, hongrois et autrichiens qui s’appellent Jack Warner, Sam Goldwyn, William Fox ou Adolph Zukor. Par contrat, ils possèdent les actrices et les acteurs, qu’ils échangent au gré des films et dont ils contrôlent la vie privée. Les comédiennes (et stars) sont des êtres sous haute surveillance.

David O. Selznick, réalisateur Mégalomane et obsessionnel

David O. Selznick, lui, est un indépendant, fils d’un producteur ruiné par ses pairs : lorsqu’il crée sa maison, c’est d'abord pour rétablir son nom. Plus libre que ses rivaux, il compose avec les codes et la censure, mais ose également les déjouer. Comme il sait qu’il ne peut monter son film sans Clark Gable dans le rôle de Rhett Butler, il transige avec la MGM (à qui le comédien appartient) et avec Louis B. Mayer, qui se trouve être par ailleurs son beau-père et ex-associé.

Autre exemple : s’il ne peut changer la vision sudiste et raciste de Mitchell, il ne veut pas non plus s’aliéner le public noir ; aussi supprime-t-il les scènes de violence insoutenables du Ku Klux Klan et les occurrences de "nègre" présentes dans le roman. Qu’importe les diverses pressions qui veulent le faire renoncer à son projet, il tient bon. Et ne cède pas davantage à la censure, qui tente de lui faire supprimer la dernière réplique — culte — de Rhett à Scarlett : "Frankly my dear, I don’t give a damn" [Franchement ma chère, c’est le cadet de mes soucis, ndlr]. 

Clark Gable et Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent.
Rhett (Clark Gable) et Scarlett (Vivien Leigh), deux héros aux destins tourmentés. © Granger / Bridgeman Images

Une réplique qui sied parfaitement à David O. Selznick et à la folle aventure de son film : car plus il avance, plus il entend tout maîtriser... tout en abusant des amphétamines. "Il veut laisser sa marque dans l’histoire. Avec Gone with the Wind, il se rêve en créateur tout-puissant. Il y a chez lui cette folie : être à l'égal de Dieu", résume François-Guillaume Lorrain. Mégalomane mais aussi obsessionnel, il cherche une actrice encore inconnue pour incarner Scarlett. "Il a cette idée à la fois géniale et démente : pour que les femmes puissent s’identifier à son héroïne, il faut un visage nouveau, comme vierge. Il imagine alors d’organiser des auditions dans tout le pays, un procédé qui se révèle un outil marketing incroyable, car il exacerbe la curiosité et les passions."

Vivien Leigh, iconique Scarlett O'Hara

Depuis Noël 1936, le manuscrit a été réduit de 1063 à 250 pages par le scénariste Sidney Howard — trois versions ont été nécessaires. Les bureaux de la Selznick International Pictures sont transformés en usine à désosser, disséquer, dépecer, séquencer le texte. Une première équipe a identifié chaque scène, une deuxième a numéroté chaque décor, une troisième a isolé chaque description à l’intention des chefs décorateurs, une quatrième a dressé un inventaire des personnages (79 rôles dotés de répliques), calculé le nombre de leurs apparitions et la longueur de leurs dialogues. Enfin, une dernière équipe a été chargée de définir chaque personnage selon ses habitudes de langage ou ses vêtements (5500 costumes différents).

Vivien Leigh, iconique et inoubliable Scarlett O"Hara.
Scarlett (Vivien Leigh) dans son iconique robe verte à mousseline. © John Kobal Foundation / Contributeur

Pour la première fois dans l’histoire du cinéma classique, le directeur artistique William Cameron Menzies a recours au procédé storyboard, inventé par Walt Disney : chaque plan fera l’objet d’un croquis. Le 30 novembre 1938, soit deux ans et demi après la première lecture du manuscrit, le réalisateur George Cukor est prêt (à la demande de Gable, il sera remplacé par Victor Fleming en cours de réalisation). Et toujours pas de Scarlett ! Du jamais-vu à dix jours du plus gros tournage de l’histoire du cinéma. Face à l’inquiétude de ses équipes, Selznick consent à fixer une date pour les premiers plans. Ce sera le 10 décembre, et ils commenceront par la scène la plus spectaculaire, l’incendie d’Atlanta.

"C’est le moment que Vivien Leigh choisit pour faire son apparition, tel un phénix, poursuit, enthousiaste, François-Guillaume Lorrain. Les décors d’Atlanta partent en fumée, Selznick est au bord du gouffre avec son rêve inachevé. Il a fait le tour des États-Unis pour trouver sa Scarlett, et l’actrice arrive sur le plateau, en costume et connaissant le livre par cœur. Elle vient de Londres et du théâtre et, pendant deux ans, elle a lu le roman, s’est exercée, a refusé d’autres rôles. Elle se sent appelée. À l’image de son personnage, elle ne se décourage jamais." Elle sera Scarlett O'Hara, jusqu’au bout des ongles.

L"incendie d"Atlanta dans Autant en emporte le vent.
L'incendie d'Atlanta,...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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