Dans les coulisses du film Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud

Dans un étonnant spectacle documentaire, le cinéaste Jean-Jacques Annaud restitue fidèlement les premières heures du tragique incendie. Et pour reconstituer au plus près les atmosphères de la cathédrale parisienne, c’est à Saint-Étienne de Bourges qu’il a choisi d’installer ses caméras.

Par Emmanuel Cirodde - 16 mars 2022, 09h55

 Le cinéaste Jean-Jacques Annaud lors du tournage de Notre-Dame brûle.
Le cinéaste Jean-Jacques Annaud lors du tournage de Notre-Dame brûle. © L. Balibar

Qu’est-ce qui peut bien pousser Jean-Jacques Annaud à mettre le feu à des édifices du Moyen Âge ? Après la bibliothèque du Nom de la rose, celui qui avait par ailleurs embrasé la préhistoire dans La Guerre du feu s’apprête en ce mois de mars 2021 à reconstituer le dramatique incendie qui a ravagé deux ans plus tôt le monument le plus visité de France. "C’est un pur hasard !", s’amuse le metteur en scène. En cette froide soirée, il règle les derniers préparatifs en prévision des dix jours qu’il s’apprête à passer dans la préfecture du Cher. 

Tournage de Notre-Dame brûle au studio de Bry-sur-Marne.
D'importants moyens ont été mobilisés pour recréer l'incendie de la cathédrale parisienne. © Mickael Lefevre/BSPP

Grand admirateur, le maire Yann Galut est venu le saluer, lui redisant la fierté des Berruyers à accueillir ce tournage. "Dès notre première visite, nous avons ressenti quelque chose de magnétique ici, renchérit Jean-Jacques Annaud. Il y a quelques mois, après avoir visité pratiquement toutes les cathédrales de France, nous nous sommes demandé quel était l’endroit qui possédait le lyrisme, la poésie, l’invitation à la spiritualité de Notre-Dame. Avec les décideurs du film assis autour d’une même table, nous avons tous voté pour Bourges." 

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L’initiative du projet est à mettre au crédit de Jérôme Seydoux, qui copréside la maison Pathé. "Il m’a donné de la documentation en me demandant si j’étais intéressé pour faire un documentaire, se souvient le réalisateur. Le soir même, j’ai voulu le rappeler, mais il était un peu tard, pour lui dire que j’étais partant, mais pas pour un documentaire. La différence est colossale. Il s’agit ici d’un film de fiction basé sur la vérité." 

Tournage, jour 1

Le lendemain, dès 9 heures, les équipes sont prêtes à tourner. Et pas question naturellement de filmer ici les scènes d’incendie, lesquelles seront reconstituées en studio sans avoir recours au subterfuge du numérique. La première séquence du jour n’en est pas moins spectaculaire. Plus de cent trente figurants incarnent les touristes ayant évacué Notre-Dame à l’heure fatidique. Jusqu’ici tout va bien. Une guide québécoise déroule l’histoire de la cathédrale devant un groupe attentif, admirant les chapelles ornées et dégainant leurs perches à selfie à la moindre occasion. Les fins connaisseurs reconnaîtront à l’écran les splendides vitraux faisant la gloire de la cathédrale de Bourges. Les autres n’y verront... que du feu. 

Sur le tournage de Notre-Dame brûle, le cinéaste Jean-Jacques Annaud surveillant le cadrage des trois caméras utilisées simultanément.
Jean-Jacques Annaud surveille le cadrage des trois caméras utilisées simultanément. © PHOTOPQR/BERRY REPUBLICAIN/MAXPP

Plus loin, nous retrouvons des Coréens, puis des Italiens rivés aux explications d’un accompagnateur volubile. Soudain, dans cette atmosphère de Babel insouciante, retentit une première alarme, suivie d’une voix mécanique égrenant des consignes. Il est temps d’évacuer. Très concentré, Jean-Jacques Annaud observe chaque mouvement, chorégraphie le déplacement de la petite foule. Il fait face aux écrans reproduisant l’image des trois caméras qu’il utilise simultanément — il pourra y en avoir jusqu’à cinq. 

Les équipes de Jean-Jacques Annaud ont posé leurs caméras à Saint-Étienne de Bourges pour tourner des nombreuses séquences de Notre-Dame brûle.
Une scène tournée à Bourges, dont on reconnaît les vitraux exceptionnels du déambulatoire. © Guy Ferrandis

Le décor rapporté est troublant, car il superpose à la cathédrale de Bourges tout le mobilier de Notre-Dame, à l’image du trésor de la Sainte Couronne fidèlement reconstitué. Et alors que les visiteurs déambulent dans le calme, nous croisons un figurant arborant l’uniforme des sapeurs-pompiers de Paris. "J’ai découvert leur monde que je connaissais très mal, nous confie le réalisateur. Je suis stupéfait de leur générosité, de leur dévouement et de leur humilité. Je crois que si l’un d’entre nous vivait une seule de leur journée, il s’en souviendrait toute sa vie. Que la cathédrale soit encore debout est un miracle et une affaire d’héroïsme. Car sans l’intervention des pompiers, elle n’existerait plus." 

Feu sacré

La pause de la mi-journée offre quelques instants pour faire le tour de cette étonnante cathédrale Saint-Étienne, dont la singularité tient à son absence de transept et à ses cinq nefs — contre trois habituellement. Une série d’échafaudages partent à l’assaut des verrières pour soutenir de gros projecteurs délivrant la lumière du jour jusqu’au cœur de l’édifice. Très vite, quelques notes d’orgue nous invitent à revenir sur le tournage. Alors que les figurants continuent leurs allées et venues, l’air poignant du Kyrie de la Messe en ut de Mozart résonne sous les hautes voûtes, interprété par l’artiste lyrique Nathalie Gaudefroy, accompagnée par Johann Vexo.

Tournage de Notre-Dame brûle au studio de Bry-sur-Marne.
Cette scène spectaculaire montre les pompiers intervenant sur les flammes du transept sud reconstitué dans les Studios de Bry-sur-Marne. © Mickael Lefevre/BSPP

La présence de ce dernier ne doit rien au hasard. L’organiste de chœur de Notre-Dame de Paris officiait justement ce 15 avril 2019 quand l’alerte a été donnée. Un souci de véracité conforme au vœu de Jean-Jacques Annaud : "Le scénario reflète à 98 pour cent la réalité, nous assure-t-il. Ce film rapporte des éléments tellement incroyables que je n’aurais pas osé les inventer. La réalité est infiniment plus baroque — et parfois rocambolesque, à l’image du sauvetage de la couronne d’épines, un épisode invraisemblable." 

La charpente en feu de Notre-Dame de Paris a été reconstituée en studio pour les besoins du film Notre-Dame brûle.
La charpente en feu a été recréée dans les studios de la Cité du cinéma à Saint-Denis. © Mickael Lefevre/BSPP

Demeure enfin cette fascination pour le feu, qui bien que fortuite traverse une nouvelle fois la filmographie du cinéaste. "C’est un élément dramaturgique extrêmement important, reconnaît-il. Je ressens une sorte de curieuse émotion lorsque je dirige une scène dans les flammes. D’abord, je suis toujours inquiet en raison du risque d’incident, le cœur palpite. Et je sais qu’un feu au cinéma réveille dans nos tripes ce sentiment de danger. Son vrombissement est terrifiant. Celui de Notre-Dame s’entendait à plusieurs kilomètres. Tout cela, c’est du spectacle, associé dans notre cas à un fond étonnant et dramatique." Pour lui, le cinéma ressemblera toujours au feu : il s’immisce partout pourvu qu’il ait assez d’oxygène — et quelque matière à dévorer.

Notre-Dame brûle, de Jean-Jacques Annaud, en salle.

Le carnet de bord du film, par Jean-Jacques Annaud et Stéphane Boudsocq, Gründ/Pathé, 170 pages, 24,95 euros.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Notre-Dame de Paris

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