Jacques Perrin: "Les Demoiselles de Rochefort appartiennent à tout le monde"

Jacques Perrin est décédé ce 21 avril 2022. Le 8 mars 1967 exactement, sortait Les Demoiselles de Rochefort. Sommet de la comédie musicale française, Jacques Demy y créait une ambiance magique, en partie grâce à un casting hors norme. Les "soeurs jumelles" Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, Danielle Darrieux, Gene Kelly ou encore Michel Piccoli. En 2017, Jacques Perrin, qui interprétait Maxence, l'amoureux transi de Deneuve à l'écran, se souvenait...

Par Pierre Castel - 20 mars 2017, 15h26 | Mise à jour le 30 octobre 2025, 00h55

 L'acteur Jacques Perrin.
L'acteur Jacques Perrin. © Luc Castel

Comment Jacques Demy vous a-t-il choisi?

Je ne sais toujours pas. Je lui ai pourtant dit que je ne savais pas chanter ni danser. Ce film est particulier parce que les play-back ont été réalisés avant le tournage, du coup ce n'est pas la voix qui essaie de se plier à l'acteur, mais l'acteur qui tente de se plier à la voix.

Qu'avez-vous ressenti en vous voyant chanter à l'écran?

J'ai fini par y croire. Je me suis dit: "Putain, qu'est-ce que je chante bien!" Je deviens spectateur et je suis trompé par mon personnage.

Dans un documentaire sur Les Demoiselles..., on découvre que les chansons du film étaient diffusées pendant les prises. Comment s'est déroulé le tournage? 

Demy avait mis des haut-parleurs dans toute la ville, pas seulement sur la place Colbert. Le chef décorateur a fait repeindre plus de mille volets en bleu, comme à Sidi Bou Saïd, en Tunisie. Les habitants et même les policiers connaissaient les airs, c'était une ville entière qui chantait. Au marché, quand on nous reconnaissait, les gens souriaient. L'ambiance du film reflète vraiment l'enthousiasme du tournage. Nous avons réussi à obtenir l'arrêt de la circulation sur le pont transbordeur pour filmer les scènes. Le cirque, les camions, les chevaux pouvaient y circuler tranquillement. La participation de tous fut incroyable. On n'avait même pas l'impression de travailler. Le tournage était tellement agréable que je m'y rendais également les jours où je n'avais pas de scènes! J'ai fait plus d'une centaine de films, mais il n'y en a que dix qui m'ont laissé une trace. Les Demoiselles de Rochefort et Peau d'âne en font évidemment partie. Les films dans lesquels il y a une union, une famille qui se crée entre l'acteur, le personnage et le dispositif scénique, c'est très rare.

La ville de Rochefort a vécu à l'heure des "Demoiselles..." pendant tout le tournage. Courtesy of Ciné-Tamaris

Comment était Gene Kelly?

Merveilleux! Quand il danse autour des enfants avant de rentrer dans la décapotable en sautant, c'est lui qui fait la mise en scène! Il dirige les jeunes acteurs lui-même. Un jour, nous avons eu un problème de son lors d'une répétition. Je tourne avec Gene Kelly mais le play-back ne fonctionne pas. Demy ne se démonte pas : "Cela n'a aucune importance! Gene! Jacques! Chantez vous-mêmes!" Comment voulez-vous que je chante en solo face à Gene Kelly?... J'ai paniqué. Je bredouille alors quelques mots. "On ne t'entend pas, Jacques!" s'exclame Demy. Nous avons tourné deux prises comme cela jusqu'à ce que, ô merveille, le play-back soit de retour...

Avez-vous des nouvelles de certains acteurs des Demoiselles?

J'ai souvent croisé Michel Piccoli par la suite. Après Les Demoiselles, nous avons joué ensemble chez Costa-Gavras dans Un homme de trop, puis dans La Part du feu avec Claudia Cardinale. Nous éprouvons une discrète sympathie l'un pour l'autre. Il y a deux ans, un type sonne à mon bureau. Mon assistante m'appelle: "Il y a un certain George Chakiris [danseur et acteur des Demoiselles et de West Side Story, ndlr] qui voudrait vous voir." Je n'y croyais pas. C'était un moment magique. Il faisait un petit tour en France et rendait visite à ses anciens camarades de films.

"Je me suis retrouvé à chanter en solo devant Gene Kelly!" se souvient Jacques Perrin. Courtesy of Ciné-Tamaris

Revoyez-vous Catherine Deneuve?

Je l'ai un peu perdue de vue, mais quand nous nous retrouvons, c'est toujours avec bonheur. Il y a quelques années, elle organisait une projection de Peau d'âne. J'y ai emmené mon plus jeune fils, Lancelot. Je ne lui avais rien dit du film. Et quand arrive le chevalier, je lui apprends que c'est moi. "Ah mais tu étais complètement jeune!", m'a-t-il dit. Les robes fendues des "soeurs jumelles" dans la scène de la kermesse des Demoiselles étaient un hommage à Marilyn Monroe et Jane Russell dans Les hommes préfèrent les blondes. 

Le film de Demy, à son tour, a inspiré La La Land. L'avez-vous vu?

Toujours pas, mais je sais que Damien Chazelle aime beaucoup Demy. J'avais adoré son film précédent, j'attends donc celui-ci avec impatience. Dans Whiplash, on comprenait le chemin de croix nécessaire pour pouvoir être interprète. Mon fils est batteur et il était en transe pendant le film. Il me disait: "Tu as compris, maintenant, ce que c'est la batterie?"

La scène de la kermesse avec les robes fendues est un hommage à Marilyn Monroe et Jane Russell dans "Les hommes préfèrent les blondes". Courtesy of Ciné-Tamaris

Il y a quelques années, vous avez interprété Louis XI...

Quand j'ai su que j'allais interpréter Louis XI, j'ai pensé à Charles Dullin et Charles Denner, qui l'ont tous les deux interprété. Je me suis bien amusé et j'ai cru à ce roi, à sa volonté de créer un État, de faire en sorte que la France devienne une nation.

Vous avez réalisé Océans, vous êtes capitaine de frégate dans la Marine nationale, peintre officiel de la Marine... C'est le tournage à Rochefort qui vous a donné cette passion pour la mer?

J'ai attrapé le virus avant. J'ai eu un chalutier à 18 ans à Collioure. J'étais mousse, il y avait de la sardine, du maquereau, de l'anchois. Quand on posait le lamparo, les poissons venaient se réunir autour. On récupérait cinq ou dix tonnes de poisson. Je fréquentais des marins qui avaient fait le canal de Suez, l'Indochine, le tour de monde... Ils me racontaient ce qu'était la mer, le voyage en bateau. Tous ces récits me faisaient rêver.

Françoise Dorléac et Jacques Perrin. Son personnage du marin Maxence l'a marqué au point de donner ce prénom à son fils. Courtesy of Ciné-Tamaris

Avec Yann Arthus-Bertrand, vous faites partie des rares peintres officiels de la Marine à ne pas peindre...  

J'ai fait des films sur la mer et je ne suis pas indifférent aux peintures animées de la marine. Ce titre me donne le privilège de monter n'importe où sur un bateau de la Marine et de partir, par exemple, de New York pour l'Afrique du Sud en étant placé dans la cabine de l'amiral. Quand j'ai réalisé Le Peuple migrateur, on partait au grand large avec les escorteurs de l'armée. Une fois, j'ai voulu filmer les bernaches nonnettes en pleine mer. Soudain, 50 de ces magnifiques oiseaux ont encadré notre navire: 25 d'un côté, 25 de l'autre et ce pendant 20 minutes. Une telle escorte céleste, c'était un moment sublime.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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