Un ange blond promène son spleen dans les rues de Rochefort. À la recherche de son idéal féminin, sanglé dans sa marinière, il frôle sans le savoir le bonheur, et jusqu’au dernier instant, celui-ci semble lui échapper. Décidément, les uniformes de marin vont à merveille à celui qui nous bouleversa quelques années plus tard dans Le Crabe-Tambour. Pourtant, à ces instants de gloire qui ont contribué à sa légende, Jacques Perrin a fini par préférer les rôles hors-champ – réalisateur ou producteur. Peut-être par atavisme familial, lui dont les parents ont passé toute leur vie en coulisses.

Dans un théâtre, le souffleur est la personne dans l’ombre chargée de protéger les acteurs des trous de mémoire et des absences passagères. Cette fonction ingrate, Alexandre Simonet, son père, l’assume au fameux TNP de Jean Vilar. Quant à son épouse, elle déclame des poèmes à la veillée et transmet ainsi le goût des mots qui mènera ses deux enfants au Conservatoire national d’art dramatique.
Au métier de comédienne, l’aînée Eva préférera celui d’attachée de presse pour défendre les auteurs en quête de hauteur.
Héros romantique dans Les Demoiselles de Rochefort et Peau d’Âne
Jacques, le cadet, né à Paris le 13 juillet 1941, adopte comme pseudonyme le nom de jeune fille de sa mère, Perrin, et entreprend une carrière de jeune premier après avoir servi comme mousse sur un chalutier à 18 ans. De cette expérience en haute mer, celui-ci conclura que "la vie, au fond, ça n’est rien d’autre qu’accomplir ce que l’on avait rêvé".

Son regard triste et sa voix douce séduisent la fine fleur du cinéma italien des années 1960. Il tourne avec Valerio Zurlini, La Fille à la valise et Journal intime, et Mauro Bolognini, La Corruption. Sa beauté angélique nimbée de zones d’ombre lui fait décrocher la prestigieuse Coupe Volpi de la Mostra de Venise en 1966 pour deux films aujourd’hui oubliés, l’espagnol La busca et l’italien Un homme à moitié.

En France, c’est sous la direction de Jacques Demy que le jeune homme aux cheveux d’or, "qui ne sait ni chanter ni danser" comme il le confiera à Point de Vue en 2017, excelle en héros romantique transi d’amour pour Catherine Deneuve. Au point qu’il donnera le prénom du marin des Demoiselles de Rochefort à l’un de ses fils, Maxence. Entretemps, le champion de la comédie musicale à la française lui aura confié le rôle du prince charmant de Peau d’Âne. Un sacre symbolique qui lui vaudra de faire rêver des générations entières de petites filles.

L’autre visage de Jacques Perrin est celui du militaire qu’il campe à la même époque dans La 317e Section en brisant enfin l’image trop lisse que s’acharne à lui coller le cinéma français. Trois autres films avec Pierre Schoendoerffer suivront, dont Le Crabe-Tambour qui le statufie en héros fatigué dans le rôle-titre du lieutenant de vaisseau Willsdorff.

Plus tard, cet aventurier insatiable cumulera le rang bien réel de capitaine de frégate et de peintre officiel de la Marine. Reste que le métier d’acteur ne comble pas toutes les aspirations de Jacques Perrin qui décide de s’offrir un rôle de nature à combler toutes ses aspirations : producteur.
L'exigence Perrin, un gage de qualité
En cette fin des années 1960, les rares vedettes européennes à investir dans le cinéma sont des stars qui convoitent une plus belle part du gâteau. Tel n’est pas l’objectif de Perrin qui se fait une haute idée du septième art et vole à la rescousse de Z de Costa-Gavras, cinéaste engagé dont il a pu apprécier la détermination en tournant sous sa direction dans Compartiment tueurs et Un homme de trop. La réussite du thriller politique qu’il consacre à la dictature des colonels grecs lui donne raison. Le cinéma peut aussi éveiller les consciences. À l’arrivée, le succès est planétaire : deux récompenses au festival de Cannes, dont un prix du jury décerné à l’unanimité, deux Oscars et le Golden Globe du meilleur film étranger… sous bannière algérienne.

Jacques Perrin se partage dès lors entre ses deux carrières, sans toujours pratiquer le mélange des genres. Ses choix de comédien reflètent son exigence en le faisant dériver vers une gravité plus solennelle. Simultanément, il cultive son jardin secret en offrant aux auteurs les moyens de leurs ambitions.

Marin Karmitz (Camarades), Paul Vecchiali (L’Étrangleur, dont il partage la vedette avec sa sœur Eva), Philippe Monnier et Yves Courrière (le documentaire La Guerre d’Algérie, à un moment où les plaies sont loin d’être cicatrisées) n’ont qu’à se féliciter de sa détermination exemplaire. Quant à sa fidélité, elle lui vaut de poursuivre un bout de chemin avec Costa-Gavras (État de siège, Section spéciale) et Valerio Zurlini (Le Désert des Tartares, sublime fresque sur l’attente inspirée par Dino Buzzati), mais aussi de donner sa première chance à Jean-Jacques Annaud avec La Victoire en chantant, Oscar du meilleur film étranger en 1977, quitte à s’engager sur des paris aussi risqués que Les Quarantièmes rugissants de Christian de Chalonge qui frise le naufrage.

Grâce à l’émission culturelle La 25e Heure, qu’il coproduit avec son épouse Valentine de 1991 à l’an 2000, il offre aussi une vitrine cathodique aux courts et aux moyens métrages. Sa classe et sa séduction éclatent dans des séries télévisées comme Le Château des oliviers ou Frank Riva et des rôles aussi inoubliables que celui de Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, qui lui permettent de "s’évader, s’évanouir des choses et se retrouver confronté à un spectre de situations, de sentiments auxquels la vie vous expose rarement".
Producteur engagé et humaniste
Jacques Perrin reste plus que jamais à l’écoute du monde qui l’entoure. Après le film animalier Le Peuple singe, sensibilisé aux dangers qui menacent la planète, il produit avec Microcosmos : le Peuple de l’herbe, de Marie Pérennou et Claude Nuridsany, un documentaire consacré à la vie des insectes qui, transcendé par la partition de Bruno Coulais, atteint au phénomène de société et remporte cinq César dont celui du meilleur film.

Perrin a trouvé un nouveau sens à son métier de producteur en se mobilisant pour l’environnement. Le Peuple migrateur, Océans, Les Saisons et les séries télévisées Le Peuple des océans et Le Peuple des forêts témoignent de cet altruisme artistique, avec entre-temps L’Empire du milieu du Sud, un documentaire sur l’Indochine coréalisé avec Éric Deroo sur lequel plane le spectre du guerrier perdu du Crabe-Tambour. Et...
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