Décidément, le Grand Palais, inauguré en 1900 et menacé tant de fois de disparaître, aura déjoué tous les pièges du temps. Le voilà même doublé d’un Grand Palais Éphémère, sorti de terre à la vitesse de la lumière et qui doit la pureté de ses lignes à Jean-Michel Wilmotte. L’architecte s’est attaché à inscrire ses proportions monumentales – 145 x 140 mètres ! – sur la parcelle dévolue, tout au bout du Champ-de-Mars, face à l’École militaire. "C’est un bâtiment caméléon, capable de s’adapter à tous les événements, qu’ils soient culturels, festifs ou sportifs", analyse-t-il.
Comme tous les intervenants sur le chantier, il a revêtu son casque gris et une chasuble bleue. Du milieu de la nef, il scrute les grues étirant leurs bras maigres jusqu’au sommet des voûtes dans un ballet hypnotique. "Demain, il peut y avoir une patinoire, après-demain la Biennale des antiquaires, puis une compétition équestre… Il faut s’adapter à toutes les situations auxquelles répondait le Grand Palais original."
Un Grand Palais provisoire
En effet, l’édifice est voué à remplacer temporairement son modèle devant fermer pour une longue campagne de travaux. Sous la houlette de GL events, concessionnaire, constructeur et mandataire, et de la Réunion des musées nationaux qui agit en qualité de maître d’ouvrage, le Grand Palais Éphémère sera en service jusqu’au terme des jeux Olympiques et Paralympiques en 2024, dont il accueillera les épreuves de lutte et de judo.

Ensuite, son magnifique faisceau d’arches en bois lamellé-collé sera démonté et servira à abriter d’autres espaces en d’autres lieux. "Nous avons raisonné en termes d’empreinte carbone, de facilité de mise en œuvre, de montage et démontage, ainsi que de réemploi du bâtiment, poursuit Jean-Michel Wilmotte. L’élément le plus important était l’acoustique, afin de ne pas gêner les environs. Les riverains ont d’ailleurs été surpris de découvrir un chantier peu bruyant et très bien organisé. C’est de l’horlogerie." Il faut pourtant imaginer qu’au plus fort de son activité, les gradins du Grand Palais Éphémère pourront recevoir 9.000 personnes.
Cette aventure architecturale pose un nouveau jalon dans l’histoire du Champ-de-Mars. "L’endroit a toujours accueilli de grands événements, rappelle l’architecte. La Galerie des Machines en 1889, puis le Palais de l’Électricité et de la Lumière de Robert Mallet-Stevens en 1937." Le prodige architectural réside dans le fait qu’en dépit d’un cahier des charges écrasant comprenant un épais dispositif d’isolation acoustique, le projet conserve sa grâce intacte.

Entièrement tapissées de bleu, les nefs offrent une atmosphère de nuit américaine. L’axe Champ-de-Mars-tour Eiffel est mis en valeur par deux vastes verrières faisant circuler la lumière et liant visuellement les édifices entre eux. Quant à la monumentale statue équestre du maréchal Joffre, Jean-Michel Wilmotte lui a réservé une non moins monumentale vitrine et un éclairage en contre-plongée pour offrir la sensation que la sculpture est en lévitation.
Architecte, urbaniste et designer au service de la culture
Ce pur exercice de muséographie témoigne de sa passion pour les commandes culturelles, recensées dans le formidable ouvrage, Jean-Michel Wilmotte – Muséographie, architecture de musée, scénographie, galeries, ateliers d’artistes, qui vient de paraître aux éditions Skira. Les vitrines aux fines articulations du Pavillon des Sessions au musée du Louvre, celles du musée d’Art islamique à Doha au Qatar ou du Rijksmuseum d’Amsterdam sont animées par cet art de la sobriété. "Dans le musée, le détail doit être invisible, car nous ne sommes pas là pour faire valoir l’architecture mais les œuvres." Il évoque "l’espace sacré" qui doit entourer chaque objet, comme une respiration qui les détache du tumulte du monde.
"Pour lire une œuvre, il faut pouvoir passer autour, que la lumière soit bien équilibrée, lui donner suffisamment d’espace. Au Pavillon des Sessions abritant le département des arts premiers, une petite cuiller de quarante centimètres pouvait être dotée d’une vitrine de quatre mètres de haut." Cette conscience aiguë de l’espace ne pouvait qu’interpeller les artistes de la scène et conduire Jean-Michel Wilmotte à investir cet autre territoire sacré du théâtre.

L’ouvrage nous fait ainsi découvrir ses créations pour le chorégraphe Roland Petit comme Clavigo, un ballet créé en 1999 sur une musique de Gabriel Yared. La rigueur géométrique de la scénographie imaginée par l’architecte transcende l’art en mouvement et laisse naturellement le regard du spectateur converger vers les danseurs.
D’autres collaborations suivront, dont une Dame de Pique donnée en 2001 au Bolchoï. "Les décors et la scénographie me passionnent, s’enthousiasme-t-il. Ce livre évoque une toute petite partie de mon travail, on pourrait dire que ce sont mes 'hobbies'. Faire un musée, concevoir un décor, imaginer une exposition à Venise dans notre fondation font partie des choses qui me détendent et qui sont loin des chantiers durs de construction que je conduis par ailleurs. Ce sont des projets portés par une exigence artistique et par un souci d’éducation, notamment des plus jeunes."
Car Jean-Michel Wilmotte n’oublie pas la jeune génération. Depuis 2005, la fondation qui porte son nom, remet chaque année le prix W récompensant un projet de "greffe architecturale" sur un bâtiment ancien, visant à lui donner de nouvelles fonctions et une seconde vie. "Ce projet passionnant permet de faire travailler de jeunes architectes, et les aide à se faire connaître."

Si la réouverture des institutions se confirme en Europe, la prochaine remise du prix aura lieu ce mois de mai à Venise. Quant à ces grands chantiers qui l’accaparent toute l’année, lui laisseront-ils le temps de retourner à ses premières amours ? "J’adorerais refaire de la scénographie, avoue-t-il. En 2020, je devais participer au Festival Puccini à Torre del Lago en Toscane. C’était un projet très important pour moi. Mais tout s’est arrêté…"
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