Marie-France et Leakhéna des Pallières, deux femmes et un rêve

L’une a créé Pour un Sourire d’Enfant, qui lutte depuis plus de vingt-cinq ans contre la pauvreté au Cambodge. Et l’autre est la preuve vivante qu’il est possible de s’arracher à la misère. Toutes deux, mère et fille adoptive, continuent leur combat, de moins en moins seules.

Par Fanny del Volta - 02 janvier 2023, 07h30

 Marie-France des Pallières, qui a créé l’ONG Pour un Sourire d’Enfant, vient d’en transmettre les rênes à sa fille Leakhéna.
Marie-France des Pallières, qui a créé l’ONG Pour un Sourire d’Enfant, vient d’en transmettre les rênes à sa fille Leakhéna. © Laurent Weyl / Argos

Comme chaque matin, face au 402 Ln, à Phnom Penh, des centaines et des centaines d’enfants en uniforme blanc et bleu marine franchissent les portes de Pour un Sourire d’Enfant (PSE). Souvent, lorsqu’ils croisent le chemin de Marie-France des Pallières, les plus jeunes lui sautent au cou. Les adolescents ont plus de retenue, mais il n’est pas loin le temps où eux aussi réclamaient des câlins de leur bienfaitrice. Ici, tout le monde l’appelle "Mamie". Chevelure nuage, jupe à fleurs, elle porte sur chaque enfant un regard tendre. "Pardon, mais je pleure tout le temps", prévient-elle d’une voix étranglée avant de faire le récit de cette école pas comme les autres.

La structure aide aussi les enfants à trouver un métier

L’aventure, commencée en 1995 par Marie-France des Pallières et son époux Christian, tient désormais en un acronyme qui a déjà colonisé de nombreux esprits. Ces trois lettres, PSE, ne disent pourtant pas tout des efforts colossaux et des rêves nourris à l’infini pour créer une structure monumentale qui a déjà sauvé 12.500 enfants de la misère. Pourtant, que ne fait-on ici... pour un sourire d’enfant. "Nous avons commencé par en suivre un seul, lors d’un voyage au Cambodge où mon mari m’avait emmenée après avoir commencé à s’y rendre régulièrement à la fin de sa carrière, raconte Mamie. En guenilles, dans un état de saleté indicible, il nous a menés sur la décharge publique où plusieurs autres, comme lui, fouillaient les ordures."

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Chaque année, quelque 6.500 enfants sortent de la misère grâce à cette structure qui les accompagne et les forme jusqu’à leur entrée dans la vie active. © Laurent Weyl / Argos

Le souvenir est si vif que l’écœurement se dessine encore sur son visage. De nombreuses fois, cette image a servi aux époux des Pallières pour sensibiliser des donateurs à la cause des chiffonniers de Phnom Penh. L’association PSE est née dans la foulée, une fois que le couple avait institutionnalisé la distribution "d’un repas par jour à chacun d’entre eux. C’est tout ce qu’ils demandaient. Puis ils ont réclamé d’aller à l’école, comme tous les gamins du monde." 

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Véritable "machine à détruire la misère", l’ONG propose des formations reconnues dans tout le pays dans près de 20 filières, notamment aux métiers de l’hôtellerie. © Laurent Weyl / Argos

Vingt-six ans plus tard, PSE s’étale sur six hectares de terrain. Cette enclave située à vingt minutes du centre-ville a d’abord accueilli quelques salles de classe. Puis une infirmerie. Et une PMI [Protection maternelle et infantile]. Aujourd’hui, la structure est même dotée d’un internat, d’un restaurant, d’un salon de coiffure, d’une bibliothèque, d’un garage, d’un terrain de foot, d’un atelier de couture et d’une blanchisserie... destinés à la formation des élèves. Car, après la scolarité des premiers gamins recueillis par PSE, s’est très vite posée la question de leur vie d’adulte.

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Pour un Sourire d’Enfant a aussi ouvert l’unique école d’audiovisuel du Cambodge, qui vient de fêter son dixième anniversaire. © Laurent Weyl / Argos

Pour leur offrir un métier, cinq écoles professionnelles voient donc le jour dans l’hôtellerie et le tourisme, la gestion et la vente, la mécanique, le bâtiment et l’audiovisuel. L’école de cinéma, qui est la seule du pays, vient tout juste de fêter ses dix ans. Elle est un peu le dernier "bébé" de Christian des Pallières, qui se passionnait pour le septième art. En 2016, les jeunes de cette filière ont même assisté le réalisateur Xavier de Lauzanne sur le tournage des Pépites, un documentaire qui raconte, depuis ses débuts, l’histoire de PSE. "Papi" est décédé quelques jours seulement avant la sortie du film. On y voit les tout premiers chiffonniers qu’il a sauvés avec son épouse. Parmi eux, Leakhéna. "Elle suivait Christian partout, confie Mamie, la gorge serrée. Elle l’aidait à soigner les petits bobos des uns et des autres. Puis elle est devenue sa traductrice quand il se rendait dans les familles en difficulté."

"Ils ont toujours été attentifs aux demandes des enfants"

Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir Leakhéna faire la queue à la cantine, avec les enfants. Comme eux, elle reçoit son repas et s’installe sur l’une des longues tables en bois. Elle aussi porte un chemisier blanc et un pantalon bleu marine. Mais elle n’est plus élève au sein de l’établissement. Depuis un an, elle en est la directrice générale. "La mission est ancrée en moi, mais je n’avais pas pensé prendre cette place un jour."

Son histoire à PSE la désigne tout naturellement comme l’héritière du couple. "J’ai pourtant dû faire mes preuves en dirigeant, pendant plusieurs années, notre équipe d’assistants sociaux. Ce n’était pas simple d’être la fille de..." Ses parents, la jeune femme les a choisis à l’âge de 10 ans. "Avant, je n’avais rien. J’avais même vécu le pire. Et lors du coup d’État de 1997, j’étais parmi les quelques orphelins de l’école PSE restés seuls face aux chars." Le souvenir provoque le rire rauque de Leakhéna, qui poursuit son récit en dressant un portrait sommaire de l’enfant qu’elle était. "Pas affectueuse. Sauvage, dépourvue de rêves et consciente du fait que tous les adultes n’étaient pas protecteurs."

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Marie-France des Pallières, "Mamie" pour les enfants, a désormais la nationalité cambodgienne. Pour ses concitoyens, Papi et elle sont de véritables héros. © Laurent Weyl / Argos

Pourtant, quand Christian et Marie-France des Pallières la prennent sous leur aile du matin au soir, elle finit par leur accorder une certaine confiance. Puis réclame de devenir leur fille. "Ils ont toujours été attentifs aux demandes des enfants. Mon adoption s’est faite à la pagode. Papa m’avait acheté une belle robe." Aujourd’hui, Leakhéna sait que tous les enfants peuvent suivre le même parcours qu’elle. Et beaucoup d’anciens continuent, comme elle, de transmettre le message de Mamie et Papi. Sokunthea, qui a tenté un temps de devenir maraîchère, est revenue travailler au sein de l’association. Assistante sociale, elle fait des maraudes dans les bidonvilles, où PSE a déjà installé des crèches, et propose aux familles de scolariser les plus grands. "On donne 3,5 kilos de riz par semaine et par enfant, pour que les parents les laissent faire leurs études."

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Une employée de l’équipe sociale échange avec une mère de famille dans un village proche de la capitale. Du plus âgé au plus jeune, les enfants de cette femme iront chez PSE. © Laurent Weyl / Argos

D’autres apportent leur contribution autrement. Van Thai est par exemple employé par un important concessionnaire de la capitale. "Papi a payé les dettes de mes parents pour que je sois scolarisé. Il m’a toujours dit que s’il avait pu m’aider, j’allais pouvoir aider à mon tour." Du haut de ses 25 ans, après avoir mis ses parents à l’abri du besoin en leur achetant un appartement, le jeune homme recrute des collaborateurs parmi les anciens étudiants de PSE. Plus loin, chez Khéma, l’un des restaurants les plus à la mode de la capitale, plusieurs employés sont aussi passés par les bancs de l’association. En costume impeccable et le sourire aux lèvres, le manager, Sopeak, résume son histoire avec humour : "Sans poubelles, je n’aurais jamais atterri ici !"

Marie-France des Pallières a fondé l'association Pour un Sourire d’Enfant au Cambodge.
Passé par PSE, Van Thai est devenu commercial pour un concessionnaire de Phnom Penh et fait la fierté des siens. © Laurent Weyl / Argos

Les décharges sont aujourd’hui de plus en plus éloignées de...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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