Deirdre Dyson : "La création de tapis est un véritable accident"

Elle est aussi discrète que son nom est célèbre... Deirdre est en effet l’épouse de James Dyson, fondateur de la marque d’électroménager à son nom. Et cela donne souvent lieu à de drôles de quiproquos, comme ce jour où un visiteur du salon parisien Maison & Objet lui reprocha d’avoir utilisé le nom de Dyson pour augmenter sa notoriété. Des anecdotes savoureuses qu’elle raconte volontiers, avant de révéler qu’elle était loin d’imaginer cela lorsqu’elle a rencontré son futur mari lors de sa première année d’études à la Byam Shaw School of Art de Londres.

"Peindre est davantage une retranscription de ce que je vois"

Jeune mariée et encore étudiante, elle se lance comme graphiste et illustratrice free-lance pour pou- voir s’occuper de ses trois enfants. "Je dessinais la vie autour de moi, je travaillais de ma chambre ou de mon salon, puis j’ai eu mon propre studio dans la maison." Des peintures figuratives qu’elle expose alors régulièrement dans une galerie londonienne. "J’étais obsédée par l’idée de peindre des nus, ajoute Deirdre. J’étais convaincue que si vous maîtrisez le corps humain, avec ses courbes et ses angles, alors vous pouvez tout faire."

En 2002, James et Deirdre achètent le manoir de Dodington Park dans le Gloucestershire, une construction du XVIIIe siècle en pierre de Bath. "La création de tapis est un véritable accident, raconte-t-elle. J’exposais alors dans une galerie à Mayfair, avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose d’énorme et j’avais envie de faire une pause pour m’occuper de la maison." Afin d’habiller les beaux parquets en chêne du manoir, elle se met en quête de tapis contemporains, ce que personne ne propose à l’époque. "Je suis allée voir une boutique que je connaissais à Londres et j’ai réalisé que le tapissier n’avait rien de moderne à me proposer. Il m’a suggéré de lui faire un dessin ; je me suis exécutée avec joie !"

Prise de passion pour le sujet, elle relance l’entreprise et propose sa première collection de tapis. Ce nouveau support lui permet d’exprimer sa créativité autrement, en découvrant un savoir-faire exceptionnel. Réalisés à la main en laine tibétaine, en soie de Chine et en laine de Nouvelle-Zélande par des artisans népalais, les tapis sont confectionnés sur mesure à partir d’une palette de 5 000 couleurs. Si les inspirations varient au fil des années, le processus créatif reste le même : "Il m’arrive souvent de comparer avec le chant, qui est mon second amour avec la peinture. C’est un besoin viscéral qui me fait courir vers le piano pour chanter. Peindre est davantage une retranscription de ce que je vois. Le sujet n’est pas en moi, mais il vient à moi. J’ai besoin de voir, de partir d’un objet, d’un lieu, cela peut être n’importe quoi."

Confinée sur un bateau lors de la crise du covid, Deirdre imagine une collection inspirée du ressac, de ce mouvement à la fois perpétuel et toujours différent... "C’est en observant des photos de vagues que j’ai fini par les voir d’une manière différente, presque abstraite. J’ai essayé de reproduire ensuite cet effet ainsi que les motifs lumineux créés par le soleil." Avant de voir le jour, chaque tapis est d’abord une aquarelle, un dessin de Deirdre explorant nuances et perspectives. Au même titre que la peinture à l’huile ou l’aquarelle, le fil de soie ou de laine devient ainsi un médium pour raconter une histoire. "C’est une extension de mes peintures, mais ensuite le dessin est confronté à la matière et aux défis techniques qui s’imposent pour qu’il devienne un tapis."

Sa galerie parisienne, ouverte en 2020 au cœur de Saint-Germain-des-Prés, permet d’admirer et de toucher ces fibres colorées, sublime synthèse d’artisanat et de nouvelles technologies. Pour sa collection 2023, baptisée Angles, la créatrice s’est passionnée pour les lignes et la trigonométrie de la Grèce antique. Des variations graphiques qui évoquent autant les mouvements de jambe d’un French cancan que des ondulations à la manière d’un Vasarely, même si Deirdre préfère ne pas s’inspirer des artistes qu’elle admire. "J’aime sa façon de jouer avec les couleurs, comme j’apprécie aussi le travail de coloriste de David Hockney. Ce que j’admire chez celui-ci, c’est sa capacité à explorer sans cesse. Il crée son chemin et pour moi, c’est ce qui définit un artiste."

Comme le peintre anglais, qui vit en Normandie, Deirdre et son mari sont tombés amoureux de la France, où ils possèdent un domaine en Provence et un hôtel particulier parisien qu’ils sont en train de rénover. Entre tous ces chantiers, lady Dyson – qui porte ce titre depuis que son mari a été anobli par la reine Élisabeth II en 2007 – n’a jamais cessé de peindre. "Ce que je préfère, c’est prendre mes pinceaux pour des séances en plein air lors de mes voyages." Des créations aux couleurs vibrantes qu’elle présentera dès le mois de mars à la Galerie 8 à deux pas de St James Square. Ses œuvres révèlent l’interaction entre sa peinture et son design. Toutes reflètent son intérêt pour les motifs, le mouvement, les trompe-l’œil et les jeux d’ombres et de lumières traduits par les teintes subtiles de ses tapis, qui habillent les espaces avec une grâce et une simplicité à son image.

12, rue des Saints-Pères, 75007 Paris et 554 King’s Road, Londres. 

www.deirdredyson.com