Jean-Michel Othoniel, un académicien en habit de verre

Trois ans après son élection, le créateur du célèbre Kiosque des noctambules est officiellement installé à l’Académie des beaux-arts. Un vent de jeunesse souffle sur l’Institut qui se réinvente avec bonheur. Un optimisme dans l’avenir que l’on retrouve dans la voluptueuse exposition que le Petit Palais consacre au Petit Prince des arts de la galerie Emmanuel Perrotin. 

Par Raphaël Morata - 15 octobre 2021, 09h15

 Sur l’escalier d’entrée recouvert de la Rivière bleue, Jean-Michel Othoniel pose devant le Petit Palais où il va recevoir son épée.
Sur l’escalier d’entrée recouvert de la Rivière bleue, Jean-Michel Othoniel pose devant le Petit Palais où il va recevoir son épée. © David Atlan

Pensiez- vous un jour entrer à l’Académie ?

Ce n’est pas un rêve d’enfant. Je suis même d’une génération qui s’est longtemps opposée à toute forme d’académisme. Deux minutes avant la fin du dépôt de candidature, j’hésitais encore. Mon ami l’académicien Adrien Goetz, qui suit mon travail depuis notre rencontre autour du néo-roman et du trésor de la cathédrale d’Angoulême, m’a appelé pour me demander de passer à l’acte et j’ai envoyé le mail.

Quels ont été ses arguments ?

Adrien m’a confié que le secrétaire perpétuel, Laurent Petitgirard, voulait faire bouger les lignes, reprendre contact avec la création contemporaine. Un échange entre générations d’artistes était possible. Fabrice Hyber, lui, m’a révélé toutes les actions menées par l’Académie. Ce que j’ai découvert depuis trois ans…

Car avant même votre installation, vous y oeuvriez déjà ?

Dès le lendemain de mon élection, j’ai participé à des séances, débloqué des fonds d’urgence pour des artistes fragilisés par la pandémie, remis – ce dont je suis très fier – le prix de sculpture de l’Académie à la première femme, Barbara Chase-Riboud. J’ai aussi été nommé directeur de la "Villa Les Pinsons" qui va abriter, après rénovation, une quinzaine d’artistes en résidence. On m’a proposé cette responsabilité sachant que je connaissais ce genre de structure depuis mon passage à la villa Médicis.

C’est d’ailleurs à Rome que vous avez rencontré Christophe Leribault qui vous a ouvert les portes du Petit Palais ?

Nous étions de la même promotion à la Villa. C’était en 1996. Lui, jeune conservateur, allait partir pour l’université de Yale et moi je préparais une exposition chez Peggy Guggenheim. En plein confinement, Christophe m’a appelé pour me proposer d’exposer au Petit Palais. Il avait envie d’un artiste optimiste et joyeux pour incarner la sortie du covid. Un artiste antidote (rires).

Vous allez d’ailleurs recevoir votre épée d’académicien au Petit Palais…

À l’origine, cela aurait dû se faire au Louvre au milieu des peintures que j’exposais alors. Mais le temps a filé, vous imaginez la raison. Je suis très heureux que cela se déroule au Petit Palais. Ce sera le dernier acte de Christophe Leribault avant de prendre la direction du musée d’Orsay. J’ai demandé à Jack Lang de me remettre l’épée en souvenir d’une jolie lettre d’encouragement qu’il m’avait envoyée, après la visite de mon petit atelier de 8 m2 . J’étais alors un jeune artiste de 24 ans.

Dans leur nouvel atelier de Montreuil, Jean-Michel Othoniel et Johan Creten présentent l’épée d’académicien. Le premier a imaginé la lame en obsidienne, le second le pommeau en bronze qui a la forme d’un noeud borroméen, ourlé de perles. © David AtlanDans leur nouvel atelier de Montreuil, Jean-Michel Othoniel et Johan Creten présentent l’épée d’académicien. Le premier a imaginé la lame en obsidienne, le second le pommeau en bronze qui a la forme d’un noeud borroméen, ourlé de perles. © David Atlan

Vous la remettre… c’est un bien grand mot !

En effet, elle pèse près de 18 kilos ! Je ne vais pas pouvoir la porter. C’est plutôt une sculpture. Je fais partie des académiciens pacifistes… comme Fabrice Hyber qui a imaginé, pour lui, un bâton de marche. C’est la deuxième épée que je réalise après celle de Marc Ladreit de Lacharrière. Avec son allure de hallebarde, cette dernière était également importable. Il ne m’en a jamais voulu. Maintenant que nous sommes confrères, je vais lui faire un modèle réduit !

Cette épée est la première oeuvre que vous réalisez avec Johan Creten ?

Il nous a fallu 33 ans pour faire enfin une oeuvre ensemble. Une façon de sceller notre amitié. Depuis huit mois, nous partageons aussi nos nouveaux ateliers à Montreuil. Johan a fait le pommeau en bronze inspiré de ses Vagues pour Palissy, exposées au Louvre. Le noeud borroméen est ourlé de perles dissimulées en hommage à mon travail.

Et la lame ?

Elle est en obsidienne, extraite d’un bloc que j’ai ramené d’Arménie grâce à Jean Boghossian. Je l’ai fait tailler par mon verrier à Bâle. Non sans mal. C’est fragile et extrêmement coupant. L’obsidienne est encore utilisée dans certains scalpels chirurgicaux. C’est un verre sacré chez les Incas qui l’utilisaient pour leurs couteaux sacrificiels et leurs miroirs dans lesquels ils voyaient leurs âmes.

L’autre attribut de l’académicien, c’est son habit vert…

J’ai fait appel à Kim Jones, directeur artistique de Dior Homme, pour concevoir mon costume. Il a créé une coupe spéciale inspirée des dessins de David en 1801. J’ai dessiné moi-même les rameaux d’olivier plus "explosés" comme des feux d’artifice. Avec Dior, nous avons respecté les codes de l’Académie tout en apportant une touche… hybride.

À qui succédez-vous au fauteuil numéro 5 ?

À Eugène Dodeigne, un grand artiste flamand dont j’admire le chef-d’oeuvre, L’Humanité en marche. Un rebelle qui n’a jamais mis les pieds au 23, quai Conti. Dans mon discours, je fais l’éloge d’un "fantôme de l’Académie", tout en évoquant également Étienne-Martin, prédécesseur de Dodeigne, qui n’avait pas eu droit à son hommage…

Comment doit-on comprendre le titre de votre exposition, Le Théorème de Narcisse ?

Le narcissisme que j’évoque est celui de l’enfance. Du petit-enfant qui découvre pour la première fois son reflet dans la glace. J’essaie de transmettre cette joie primale. Celle que j’avais eue aussi en montant à Paris, moi le petit Stéphanois de 18 ans. Pour la première fois dans cette exposition, je suis parvenu à présenter des oeuvres à la fois d’une grande sensualité et d’une grande sophistication plastique. Certaines ont été imaginées avec le mathématicien Aubin Arroyo, telle la série des Noeuds sauvages.

Dans la salle Girault du Petit Palais, pavée de briques de verre, Othoniel a installé ses Noeuds sauvages, sculptures créées à partir d’échanges avec le mathématicien mexicain Aubin Arroyo. © David AtlanDans la salle Girault du Petit Palais, pavée de briques de verre, Othoniel a installé ses Noeuds sauvages, sculptures créées à partir d’échanges avec le mathématicien mexicain Aubin Arroyo. ©David Atlan

Le verre reste votre signature…

Un peu malgré moi. Il s’est imposé depuis 1993 et sa découverte au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques de Marseille. Je reste toujours émerveillé par la métamorphose du verre. Tantôt liquide, tantôt solide. J’aime intervenir comme un alchimiste.

Ce que vous avez fait au Petit Palais ?

Sur 74 oeuvres, j’en ai créé une trentaine, spécialement pour le lieu. Les autres sont inédites en France et viennent d’une exposition itinérante. J’ai fait don au musée de La Couronne de la nuit, qui a trouvé sa place, suspendue dans l’escalier en spirale conçu par Charles Girault. Depuis le plafond de Maurice Denis en 1925, il n’y avait pas eu de création "contemporaine" et pérenne dans ce bâtiment.

Kiosque des noctambules au métro Palais-Royal, sculptures-fontaines dans les bosquets du château de Versailles, vous aimez les espaces publics…

Mon travail, dont j’assume la dimension populaire, doit aller à la rencontre d’un public qui ne va pas forcément dans les musées, qui n’ose pas franchir la porte d’une galerie. Mon escalier en verre, Rivière bleue, installé à l’entrée du Petit Palais, est une forme d’invitation. L’exposition est d’ailleurs gratuite.

Après cette frénésie d’activités, vous allez subir un baby-blues

C’est ce qu’avait ressenti Pierre Loti, à qui je rends hommage dans mon discours. Savez-vous qu’il avait envoyé une photographie de lui nu à ses confrères afin de leur prouver qu’aucune baleine ne renforçait son habit d’apparat! Pour éviter la dépression,...

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Exposition

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement