Benjamin Castaldi et Simone Signoret, confidences et secrets de famille

"Comme il est difficile de ne plus pouvoir partager des souvenirs de moments que d’autres ont aussi vécus..." Benjamin Castaldi a fait sien le sentiment que Simone Signoret livrait, autrefois, dans son autobiographie. Il est aujourd’hui le seul dépositaire de la mémoire intime de ses grands-parents, qui auraient fêté leurs 100 ans cette année. Dans "Je vous ai tant aimés"*, il signe une biographie croisée de deux monstres sacrés du cinéma.

Par Anne-Cécile Huprelle - 22 février 2021, 08h31

 Simone Signoret fut "une vraie grand-mère" pour Benjamin Castaldi.
Simone Signoret fut "une vraie grand-mère" pour Benjamin Castaldi. © Romulus Films / Collection CSFF / Bridgeman Images

On sent que vous avez eu un plaisir fou à écrire votre livre. Vous y décrivez une Simone Signoret tendre, un Yves Montand flamboyant. Ce dernier était le mari de votre grand-mère "avant tout", dites-vous. Vous arrivez à le dire aujourd’hui, "Yves Montand mon grand-père" ?

Je le dis, tout en sachant que ce n’était pas mon grand-père. Il ne s’est jamais comporté comme tel. Je mangeais des crêpes devant la télé avec Simone, pas avec Yves ! Ce n’était pas le grand-père qui vient vous chercher à l’école. Je le voyais de manière épisodique, mais c’était toujours un événement : on dînait dans des restaurants étoilés ou il m’embarquait en Concorde, du jour au lendemain, pour faire le tour des États-Unis. Il était toujours dans la fête et l’excès, c’était l’électron libre de la famille, tel que l’on peut l’imaginer, un mélange de ses personnages cinématographiques : entre le César Maricorne du Diable par la queue et César, du film de Sautet. D’ailleurs, mes premiers souvenirs avec lui se déroulent lors des tournages. Au milieu des années 1970, à l’âge de 5 ans, j’ai passé quatre mois sur Le Sauvage, avec Catherine Deneuve. Je voyais des cascades, des maisons brûlées que l’on éteignait une fois la caméra coupée, des douches que l’on actionnait pour simuler la pluie : c’était Disneyland avant l’heure.

Après avoir été mariée au réalisateur Yves Allégret, dont elle a eu une fille, Catherine, elle épouse l’acteur et chanteur Yves Montand. © Bridgeman ImagesAprès avoir été mariée au réalisateur Yves Allégret, dont ellea eu une fille, Catherine, elle épouse l’acteur et chanteur Yves Montand.© Bridgeman Images

Et dans la maison de vos grands-parents, à Autheuil-Authouillet dans l’Eure, vous jouiez ensuite avec des accessoires de cinéma...

Ces objets font partie de mon enfance, comme le colt du film Police Python 357. Je possède des pièces inestimables comme le scénario de La Folie des grandeurs avec la fameuse réplique "Il est l’Or" annotée par Montand. Cette scène fait partie du patrimoine français, comme de notre histoire familiale. Vous savez que ma grand-mère me réveillait en mimant ce dialogue entre de Funès et Montand... Elle avait beaucoup d’humour.

Yves Montand était aussi un homme traversé par des sentiments contradictoires...

Un jour, il me fait venir chez lui, il me donne une liasse de 500 francs, ce qui représentait beaucoup d’argent à l’époque, et il me dit : "Je te donne de l’argent non-pas parce que tu es mon petit-fils, mais parce que j’ai envie de te le donner, et, d’ailleurs, je ne suis pas ton grand-père, et je t’interdis de dire cela à quiconque." Je n’ai tou- jours pas compris pourquoi il m’avait dit cela, il y avait sûrement quelque chose qui lui était passé par la tête... J’ai accusé le coup et quelque temps plus tard, il m’a dédicacé son livre Montand raconte Montand, en écrivant : "À mon petit-fils d’amour, mais ne le dis à personne." Voilà, c’était cela Yves Montand.

Vous relatez des souvenirs extraordinaires et plus ordinaires, comme cette scène que l’on a tous connue : à table, vos grands-parents vous disent que ce que vous mangez, en l’occurrence des rillettes, c’est le fruit de leur travail...

L’éducation que j’ai reçue était empreinte de valeurs fortes. Mes grands-parents avaient beaucoup d’argent, j’ai été élevé comme un enfant aisé, mais toujours dans le respect des choses et des gens. Simone Signoret et Yves Montand étaient de vraies stars, comme il y en avait peu, mais ils étaient extrêmement simples. J’ai vu la même discrétion, la même humilité, chez Delon, Piccoli, Belmondo ou Noureev. Quand ils rencontraient des personnes "normales", ces célébrités disaient bonjour, comment allez-vous, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Ce n’est pas un détail, c’est un signe distinctif. Cet état d’esprit fait qu’ils n’ont pas cédé à tous mes désirs matériels, ils m’ont appris le mérite. C’est bien pour cela qu’à l’occasion d’un Noël, on m’a privé de cadeaux...

C’est rude tout de même...

Peut-être, mais le Noël d’après, j’avais de bonnes notes ! 

Portrait de Yves Montand. Ils ont passé des moments très intimes durant les dernières années de la vie de l’artiste. © AGIP / Bridgeman ImagesPortrait de Yves Montand. Ils ont passé des moments très intimes durant les dernières années de la vie de l’artiste. © AGIP / Bridgeman Images

Simone Signoret a disparu en 1985. Vous aviez 15 ans. Assez pour la connaître, mais c’était aussi trop tôt... On sent vraiment une mélancolie de votre part, vous êtes le petit-fils de deux géants, et c’est comme si vous n’aviez pas profité pleinement d’eux...

Oui, car Simone Signoret, pour moi, c’était avant tout "Mémé". Je ne soupçonnais pas quel monstre sacré elle était... J’ai mesuré l’ampleur du personnage dans la voiture qui me ramenait à sa maison d’Autheuil-Authouillet, après avoir appris sa mort. J’entendais des journalistes de radio égrenant les grandes dates de sa vie, les événements, les films, les prises de position. J’ai su que ma grand-mère bien aimée était partie et que je n’avais jamais connu Simone Signoret. Depuis, je ne cesse de rattraper ce temps perdu. J’ai soif de paroles, de gestes, d’anecdotes de tournages et de rencontres qu’elle aurait pu me racon- ter. Pour ce livre, par exemple, j’ai visionné des heures et des heures d’interviews, j’ai croisé des sources. Ce travail fut une réparation pour moi, mais aussi pour elle. Je regrette de voir ma grand-mère "bloquée au XXe siècle". Elle mérite notre mémoire en tant que première actrice française à obtenir un Oscar pour un film en langue anglaise, en tant que militante acharnée et auteure. Je ne peux que conseiller à la jeune génération de voir et de revoir Manèges ou Casque d’or, qui l’ont fait entrer dans l’histoire du cinéma français.

Yves Montand et Simone Signoret se rencontrent durant l’été 1949, à Saint-Paul de-Vence, à La Colombe d’Or. Henriette Charlotte Simone Kaminker est issue de la petite bourgeoisie intellectuelle et du Café de Flore. Ivo Livi vient d’une famille de réfugiés italiens, paysans pauvres, antifascistes et militants communistes. Pourquoi et comment se sont-ils plus ?

Ma grand-mère possédait une beauté incroyable, Montand ne pouvait que tomber amoureux de cette femme magnifique, intelligente, brillante et cultivée. Et Simone, jeune mariée à Yves Allégret, père de ma mère Catherine, était tout simplement subjuguée par cet être charismatique, qui réussissait à mettre tout le monde à ses pieds. Moi-même, j’étais intimidé par ce personnage qui avait un pouvoir de séduction et d’attraction hors du commun. J’ai rarement rencontré un homme qui pouvait porter un pyjama comme s’il était vêtu d’une tenue Dior... La vie est injuste (rires).

Après le succès du film Dédé d’Anvers, Howard Hughes propose un contrat à Simone Signoret qui doit partir aux États-Unis. Elle n’ira pas, par amour...

Mais ce n’était pas un sacrifice, contrairement à ce qui a été dit... Ma grand-mère était la femme libre et amoureuse dans toute sa splendeur. On peut être fascinée par un homme et garder son libre arbitre. Un dialogue me revient en tête : Montand, qui pouvait avoir des réflexions très déplaisantes, lui a fait remarquer qu’elle avait le "cul posé sur un fauteuil". Simone lui a répondu "qu’elle bossait si elle voulait". Il lui a rétorqué "encore faudrait-il qu’on veuille de toi". Peu de temps après, en 1953, on lui a proposé le rôle de Thérèse Raquin : elle ne s’est pas privée de s’enorgueillir devant son mari. Ça, c’était Montand et Signoret.

Ils étaient aussi liés par un engagement politique commun. Un événement a fait beaucoup parler, leur visite en URSS, en 1957, sous Nikita Khrouchtchev, après l’agression soviétique contre Budapest. Avec le couple Montand-Signoret, on relit aussi la chute des idéaux communistes...

À l’époque, si on n’était pas communiste, on était fasciste. Les communistes, on leur devait une grande partie de la Résistance, ils ont, en partie, libéré la France... En URSS, ils découvrent l’écart entre une élite qui vit bien et une population qui survit tant bien que mal. Leurs idéaux étaient bousculés, ils ont déchanté, mais ils étaient de bonne foi. Dans cette visite, après coup, j’y lis beaucoup de désarroi, de dépit et de...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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