Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
Je n’y avais jamais pensé jusqu’à présent. C’est Charles Dantzig, chez Grasset, qui m’a proposé de faire un manuel de savoir-vivre et de protocole à partir de mes différentes expériences. C’était quelques semaines avant le confinement. J’étais dans ma maison de Comporta, au Portugal, le jour où tout a fermé. J’ai travaillé au téléphone avec Valentin Grimaud, jeune normalien. Les chapitres étaient calés : invitations, mariages, art de la table, placements… J’ai eu le temps de me remémorer cinquante ans de vie.
D’où vous vient cette vocation de grande ordonnatrice, vous qui avez eu une enfance paisible entre Meung-sur-Loire et Beaugency ?
Née juste avant la guerre, j’ai été très protégée, entre mes deux grands-mères qui vivaient au bord de la Loire. Le conflit terminé, je suis rentrée à Paris, dans ce 17e arrondissement que je n’ai jamais quitté. En 6e, me voilà au lycée Jean-de-La-Fontaine, au milieu de jeunes filles de tous les milieux sociaux. Un vrai bonheur pour moi, qui suis née sociable. À la maison, mon père lisait les journaux, surtout France-Soir qui régnait alors sur la presse quotidienne. J’allais le chercher chez le libraire et avais le droit de le lire avant lui, à condition de lui rendre bien plié. Je plongeais, fascinée, dans "Les potins de la commère" de Carmen Tessier. Bien loin de ma vie rythmée par les cours de danse, de piano et les goûters d’enfants.
Vient l’entrée dans la vie active...
Recalée à HEC, j’ai commencé à travailler pour la revue L’Architecture d’aujourd’hui, puis j’ai rejoint mon fiancé, un architecte allemand, à Berlin. Là-bas, tout était triste, le Mur, les rues, les passants, l’ambiance… Du coup, je lisais ce qui se passait à Paris avec la certitude de vouloir plonger un jour dans ce bouillonnement. Une amie me dit : "Rentre vite, je t’ai trouvé un job au Groupe de Paris", le bureau d’événements dirigé par Alain Duchemin. J’ai vraiment commencé en 1968, petite assistante pour les jeux Olympiques de Grenoble, habillée d’une cape en fourrure blanche.

Vous vous lancez à votre compte dans les années 1980…
Je travaillais alors chez Georges Cravenne, le "pape" des relations publiques qui orchestrait les grandes premières de cinéma. Comme j’étais la plus jeune du bureau, on me laissait les "miettes", soit les parfumeurs, les joailliers et les couturiers. Autrement dit, ceux qui allaient de venir les mécènes des plus beaux événements. D’une certaine façon, ma carrière s’est construite par défaut. 1989 marque ma rencontre avec Bernard Arnault, qui venait de racheter Dior. J’ai travaillé sur le premier défilé de Gianfranco Ferré pour la maison. Le début d’un long parcours.
G00uODnd5X.jpg)
Quelles furent les autres rencontres déterminantes de votre vie ?
La comtesse de Ribes, qui m’a appris tellement de choses, sa façon de recevoir rue de la Bienfaisance, le protocole, les questions de titres, de placement… À l’époque, je faisais tout, y compris les enveloppes. Si ma calligraphie ne lui convenait pas, elle les déchirait sous mon nez. Avec la princesse Ira de Fürstenberg, j’ai beaucoup voyagé. Elle parle six langues et a l’esprit ouvert sur toutes les curiosités du monde. À chaque étape, il fallait organiser quelque chose. Cela m’a appris à être à l’aise quels que soient les circonstances et les pays. Enfin, avec Philippine de Rothschild, j’ai découvert une merveilleuse maîtresse de maison à Mouton, son domaine au cœur du Médoc, qui vivait en autarcie, autour d’elle et grâce à elle. Dans son bureau, un énorme livre répertoriait tous les services, les bougeoirs, les nappes, les décors de tables. Il fallait toujours inventer quelque chose de nouveau, comme lors des 150 ans de la maison avec plus de 1.500 invités.
1975 est l’année de votre premier contact avec la princesse Caroline…
J’étais encore indépendante à cette époque, et on me confie l’organisation de la première de Sylvie Vartan au Palais des Congrès. On nous annonce la venue du prince Rainier, de la princesse Grace et de la princesse Caroline. À l’entracte, personne ne bouge et j’ai compris a posteriori qu’il leur avait manqué un petit salon dédié, indispensable. Depuis, je suis une obsédée de ce petit salon pour les altesses et les personnalités politiques. Caroline est revenue dans ma vie plus tard. Elle était amie avec certains de mes amis, comme Jacques Grange et Karl Lagerfeld. Un jour de 1994, sa secrétaire m’appelle pour venir étoffer l’équipe du Bal de la Rose. Cela dure toujours.

Entre vous règne une confiance mutuelle incroyable…
Oui, avec cette expérience extraordinaire du mariage du prince Albert, en 2011. Deux mois et demi avant le jour J, le prince veut nous voir, avec mon associée Anne Roustang, pour nous confier l’accueil des invités VIP, plus de trente chefs d’État et autant de têtes couronnées. Nous lui proposons de faire le dîner sur une terrasse construite devant l’opéra. Au bout du compte, nous nous sommes retrouvées à orchestrer l’ensemble de l’événement. Une expérience unique !

Quel est le secret d’une soirée réussie ?
Il y a parfois plus de monde en coulisse que d’invités. C’est très étrange, car vous sentez la soirée à la façon dont les gens parlent et bougent, si cela prend ou pas. Si je m’aperçois que quelque chose ne colle pas, j’y vais. Georges Cravenne disait de ce métier qu’il interdisait de s’asseoir.
Vous êtes quelqu’un qu’il est important de connaître. Vos amis sont-ils sincères ?
Les vrais amis, bien sûr. Les relations peuvent se montrer un peu intéressées… Les quelques jours qui précèdent une soirée où l’on pense qu’il faut être, vous tenez le sort social des gens entre vos mains. Je suis le contraire d’une mondaine. Je ne fais que les choses qui me font vraiment plaisir. Et reste souvent à la maison, sinon je ne tiendrais pas le coup, mentalement et physiquement.

Finalement, le confinement n’a-t-il pas été bénéfique pour vous ?
À partir du moment où j’ai commencé à travailler, je n’ai plus jamais cessé. Lorsqu’on vous confie l’organisation d’un événement, le compte à rebours commence. C’est une inquiétude permanente. Le fait de s’arrêter et l’écriture de ce livre m’ont permis de réfléchir à plein de choses, de revenir à l’essentiel, l’amitié, le printemps, les fleurs dans la dune. Surtout, je me suis demandé si tout allait recommencer comme avant. Cet art de vivre à la française, auquel je suis attachée, allait-il survivre ? Je n’en suis pas certaine. Pourquoi ne pas imaginer des dîners en Zoom, des invités en métavers ?
Comment voyez-vous votre avenir ?
J’ai 83 ans. Je n’ai pas...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.