Il est debout, appuyé lourdement sur sa canne, le visage creusé de fatigue, campé sur le parvis de la basilique Saint-Pierre de Rome, dos aux portes centrales dont les battants de bronze sont grands ouverts. Il est 10h50, en ce jeudi 5 janvier 2023. Le service funèbre de Benoît XVI vient de s’achever, et le pape François attend l’humble cercueil de cyprès de son prédécesseur, porté par douze gentilshommes de Sa Sainteté. Lentement, il le bénit d’un signe de croix avant de poser sa main sur le bois brut. Instant bouleversant, geste de profonde communion avec le défunt; de prière aussi. Le souverain pontife ferme les yeux, comme pour convoquer le souvenir de ces dix années de cohabitation avec le pape émérite, aussi inédites que la célébration de ce matin.

Le jour n’est pas encore levé lorsque les fidèles commencent à gagner la place Saint-Pierre. Un jour laiteux qui laisse d’abord dans la brume la coupole de la basilique. L’autel pontifical a été dressé face à l’obélisque de Caligula, témoin du martyre du tout premier pape. Il est 9 heures lorsque le Saint-Père, toujours gêné par un genou douloureux, y arrive en fauteuil roulant. Les célébrants le rejoignent aux accents du Requiem, chanté par la maîtrise pontificale. La messe pour le repos de Benoît XVI a commencé.
À droite du parvis, et du cercueil disposé au pied de l'autel, sont assemblés les représentants des États étrangers, présidents et Premiers ministres d’Italie et d’Allemagne, présidents de Pologne, de Lituanie, du Portugal, chef du gouvernement hongrois, mais aussi le roi et la reine des Belges, la reine mère Sophie d’Espagne, le prince Stefan de Liechtenstein, la princesse de Venise et sa fille aînée, la princesse Vittoria de Savoie… entre beaucoup d’autres. Auprès d’eux, on reconnaît aussi les membres de la Maison du défunt pape émérite, les trois Memores, laïques consacrées du mouvement Communion et Libération, et sœur Brigida qui ont veillé sur lui depuis sa renonciation, et son secrétaire particulier, monseigneur Georg Gänswein, dont l’entretien donné la veille sur Radio Vatican est encore dans toutes les mémoires.

Il y rapportait les derniers mots prononcés par Benoît XVI, vers 3 heures du matin, avant d’entrer en agonie, "Seigneur, je t’aime". Puis l’ultime prière des Laudes à laquelle il a demandé au pape émérite de se joindre spirituellement. "À ce moment-là, il a juste ouvert un peu les yeux – il avait compris la question – et a hoché la tête pour dire oui." Ce matin, ce fidèle entre les fidèles est là, entre chagrin et espérance, pour accompagner une dernière fois celui qu’il a servi tant d’années.

De l’autre côté du parvis se tiennent 125 cardinaux et 420 évêques et, au bas des marches, plus de 4.000 prêtres qui ont demandé à concélébrer en signe d’hommage au pape émérite dont l’enseignement théologique a été déterminant dans leur choix de s’engager au service de l’Église. Derrière eux, la foule immense des fidèles venus dire leur amour à Benoît XVI et entrer une dernière fois en communion avec lui. Ils sont venus de partout, des quatre coins d’Europe surtout, avec une forte délégation bavaroise.

Assemblée grave, recueillie, d’où émergent quelques pancartes avec des mercis et une immense banderole frappée de ces deux mots "Santo Subito", saint tout de suite, comme un écho lointain et discret au cri scandé sans cesse par les chrétiens massés sur cette même place, en 2005, lors des obsèques de Jean-Paul II. C’était alors le doyen du Sacré Collège, le cardinal Joseph Ratzinger, qui célébrait, quelques jours avant d’être élu sur le trône de Pierre. Aujourd’hui, c’est lui que l’on va inhumer. Sur son cercueil a été posé, ouvert, le même évangile qui était sur celui de Jean-Paul II. Après les lectures d’un extrait du Livre d’Isaïe et de la Première Lettre de saint Pierre, vient le moment de l’Évangile selon saint Luc avec la crucifixion et l’épisode du bon larron, dont voici l’ultime verset : "Alors, Jésus poussa un grand cri : 'Père, entre tes mains je remets mon esprit'. Et après avoir dit cela, il expira."
L'hommage d'un pape à un autre
L’homélie prononcée par le pape François est tout entière axée sur ce verset. "Ce sont les dernières paroles que le Seigneur a prononcées sur la croix; son dernier soupir, pourrait-on dire, qui confirme ce qui a caractérisé toute sa vie : une permanente remise de soi entre les mains de son Père. Des mains de pardon et de compassion, de guérison et de miséricorde, des mains d’onction et de bénédiction qui le poussèrent à se livrer aussi aux mains de ses frères. Le Seigneur (…) s’est laissé ciseler par la volonté de Dieu en prenant sur ses épaules toutes les conséquences et les difficultés de l’Évangile, jusqu’à voir ses mains meurtries par amour…" Ces derniers mots sont une allusion aux difficultés rencontrées par Benoît XVI, au cours de son pontificat, notamment avec la Curie. Au fil de l’homélie, il y en a d’autres, comme "les carrefours et les contradictions que le pasteur doit affronter", ou "il porte sur ses épaules la fatigue de l’intercession et l’usure de l’onction". Cette "paix douloureuse", cependant, dépasse le règne et s’est poursuivie, après la renonciation de Benoît XVI, jusqu’à sa mort. Elle touche autant François que son prédécesseur, tant ils se trouvaient l’un et l’autre dans une situation sans précédent et sur des lignes divergentes.

À plusieurs reprises, le pape émérite s’est senti obligé de rompre le silence, que ce soit sur la question de la liturgie, sur la défense du célibat des prêtres ou, en mars 2018, lorsqu’une de ses lettres avait été tronquée par le ministre de la Communication du Vatican pour laisser entendre que Benoît XVI soutenait la publication de livres de théologie à la gloire du pape François. Les deux hommes auront peiné pendant dix ans pour trouver une coexistence qui ne mette pas à mal l’unité de l’Église. C’est dans cet esprit de communion que le Saint-Père conclut son homélie. "Nous voulons dire ensemble : 'Père, entre tes mains nous remettons son esprit.' Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix, définitivement et pour toujours."
Les funérailles d'un simple catholique
Les intentions de prière sont dites en cinq langues, à commencer par l’allemand : "Pour le pape émérite Benoît XVI, qui s’est endormi dans le Seigneur : qu’il soit reçu dans la...
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