Ce texte, le pape émérite Benoît XVI l’a écrit le 8 janvier 2022, et il sonne aujourd’hui comme son testament spirituel. "Être chrétien me donne la connaissance, bien plus, l’amitié avec le juge de ma vie et me permet de traverser avec confiance la porte obscure de la mort. À ce propos, me revient sans cesse à l’esprit ce que Jean rapporte au début de l’Apocalypse : il voit le Fils de l’homme dans toute sa grandeur et tombe à ses pieds comme mort. Mais Lui, posant sur lui sa main droite, lui dit : 'Ne crains pas ! C’est moi…' " En trois phrases, l’âme d’un homme, sa foi profonde, son intelligence lumineuse. Son absolu abandon à la volonté de son Créateur. "Je suis né un samedi saint, le 16 avril 1927, à Marktl am Inn", note-t-il dans le livre de souvenirs rédigé alors qu’il est cardinal. "Ma naissance, le dernier jour de la semaine sainte et la veille de Pâques, n’est jamais passée inaperçue dans l’histoire familiale, d’autant plus que j’ai été baptisé dès le matin même avec l’eau toute juste bénite la nuit pascale." Joseph Alois Ratzinger est issu d’une famille simple, rurale, très religieuse.
En 1939, c’est le déclic. À la suite de son grand frère Georg, il entre au petit séminaire de Traunstein. Le pensionnat ne lui convient guère. Heureusement, il y a son aîné, et la musique. "Elle est un moyen d’expression idéal pour proclamer la foi en Dieu", confiait le père Georg Ratzinger à Point de Vue, en 2006. Seul l’effondrement du Reich évite à Joseph de partir sur le front. En novembre 1945, marqués par l’horreur nazie, Georg et lui intègrent le grand séminaire de Freising. Brillantissime, le futur pape rejoint la faculté de théologie de Munich. Il y est formé par les tenants d’un rapprochement entre les différentes confessions et d’une recherche passionnée de l’unité de l’Église.
Ordonné prêtre le même jour que son frère, le 29 juin 1951, Joseph Ratzinger est un homme d’étude, de prière, amoureux de la simplicité monacale. L’audace de sa pensée, cependant, désarçonne. Il enseigne au grand séminaire, travaille à sa thèse de doctorat, qui est refusée en 1956 pour son "modernisme dangereux". Reçu l’année suivante, il occupera les chaires de théologie fondamentale et dogmatique aux universités de Bonn, Münster puis Tübingen.
Rome, pour le docteur Ratzinger, c’est d’abord le concile de Vatican II. Conseiller du cardinal de Cologne, il participe à l’ensemble des travaux, entre 1962 et 1965. "Au début de cette tempête", dit Vittorio Messori, coauteur avec le cardinal Ratzinger du Rapport sur la foi, "le jeune théologien avait joué un rôle en tant que consultant de l’aile progressiste de l’épiscopat allemand." Nommé archevêque de Munich puis cardinal par Paul VI, il confiera s’être rendu compte que cette théologie qu’il avait partagée annonçait la rupture et la discontinuité au lieu d’approfondir la foi pour en faire émerger des aspects plus conformes à notre époque.
Le cardinal Ratzinger est justement appelé à la curie en 1980 par Jean-Paul II pour apaiser les tensions nées de Vatican II. Il met un an à accepter. Le voilà préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Loin de l’image fausse du "panzer-cardinal", il est d’une douceur dont certains abusent. "La mesure la plus grave qu’il ait prise contre un théologien de la libération, se souvient Vittorio Messori, a été de l’inviter à prendre un café et de lui suggérer d’interrompre pour un an ses déclarations et ses interviews." Quand s’achève le pontificat de Jean-Paul II, Joseph Ratzinger est le vrai bras droit du Saint-Père. "Il était rassurant, assure Bruno Bartoloni, alors correspondant de l’AFP près le Saint-Siège. Les cardinaux en conclave se sont dit, pas besoin d’aller chercher des aventures, Ratzinger peut représenter une pause de réflexion."
C’est ainsi qu’il devient Benoît XVI, le 19 avril 2005, premier pape germanique depuis Victor II, au XIe siècle. Aux fidèles massés place Saint-Pierre, il lance : "Les cardinaux m’ont élu, un ouvrier simple, humble dans la vigne du Seigneur." En près de huit ans de pontificat, les épreuves et les obstacles ne manquent pas. Ni les maladresses. Ainsi s’efface-t-il trop derrière sa fonction sans assez l’incarner. Mais l’œuvre théologale, menée avec sa discrétion coutumière, est immense. Il aura été un fondateur spirituel. Et le premier pape à se saisir de la question des abus sexuels commis par des prêtres à travers le monde, malgré les réticences rencontrées au sein de la curie.
Jusqu’à ce jour de février 2013 où, ne parvenant plus à juguler les dysfonctionnements internes au Vatican, il décide de renoncer à ses fonctions pontificales. Depuis, il vit retiré au monastère Mater Ecclesiae, dans les jardins du Vatican, tout entier voué à l’étude et à la prière, dans l’obéissance à son successeur, le pape François, en dépit de divergences profondes avec lui. Une dernière fois, il aura quitté sa retraite, en juin 2020, pour se rendre en Allemagne au chevet de son frère Georg, mourant, et se recueillir sur la tombe de ses parents et de sa sœur, Marie. Le pape émérite Benoît XVI s’est éteint le 31 décembre 2022, à 9h34. Fait sans précédent dans l’histoire de l’Église, ses funérailles sont présidées ce jeudi 5 janvier 2023 par… le pape, en la basilique Saint-Pierre.
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