Finances, moeurs, environnement : tolérance zéro pour les royaux

Habituées à la lumière, les familles royales n’en ont pas moins conservé leur part d’ombre jusqu’aux années 1960. Aujourd’hui, soumises aux règles de la transparence budgétaire, harcelées par les médias et les réseaux sociaux, suspectées d’insincérité à la moindre occasion, elles n’ont qu’une ligne de conduite possible : le sans-faute. Un règne de l’exemplarité au faux air de dictature.

Par Thomas Pernette - 13 décembre 2021, 07h22

 À 61 ans, le prince Andrew doit répondre de ses accointances avec les milieux d’affaires.
À 61 ans, le prince Andrew doit répondre de ses accointances avec les milieux d’affaires. © SWNS/ABACA

Où s’arrêtera la chute du prince Andrew ? Alors qu’à New York, Ghislaine Maxwell, compagne du tristement célèbre Jeffrey Epstein, comparaît devant un juge ; à Londres, l’étau se resserre sur le fils préféré d’Élisabeth II qui doit affronter de nouvelles révélations autour du financement de son train de vie. Relations louches, services rendus, prêts d’amis... Déjà accusé d’avoir abusé sexuellement une ancienne recrue du tandem Epstein-Maxwell — âgée de 17 ans au moment des faits —, le duc d’York, retiré de la vie publique depuis novembre 2019, voit son avenir s’assombrir chaque semaine un peu plus. Au point d’apparaître aujourd’hui comme le paria de la monarchie. Une véritable épine dans le pied des Windsor — et notamment dans celui de son frère aîné, le prince de Galles.

David Rowland, l'un des sulfureux amis du prince Andrew

Les seuls scandales financiers du prince Andrew suffiraient à le discréditer. À une époque où le principe de transparence est devenu une sacro-sainte loi de la vie publique, les familles royales sont invitées non seulement à la plus grande modération dans leurs dépenses, mais surtout à une probité à toute épreuve. 

À ce jeu, les couronnes du Nord passent, une fois encore, pour les plus vertueuses, encouragées par des opinions publiques qui ne badinent pas avec la rectitude morale. Ainsi, selon le dernier classement de l’ONG Transparency International, le Danemark se classe à la première place des pays les plus imperméables à la corruption, suivi de peu par la Suède, troisième ex æquo, puis la Norvège, septième. Le Royaume­-Uni se contente d’être onzième, faisant tout de même mieux que la Belgique (15e) ou l’Espagne (32e).

Le prince Andrew et son sulfureux amis, le riche financier David Rowland.
Le prince Andrew et le riche banquier David Rowland, ici à Ascot en 2006. © AGENCE / BESTIMAGE

Mais le duc d’York est-­il à proprement parler corrompu ? Le Daily Mail et The Mail on Sunday ne semblent pas loin de le penser. Depuis 2019, ces tabloïds tirent à boulets rouges sur le prince et sur l’une de ses relations, David Rowland, un financier de 76 ans à la tête d’une fortune estimée à 612 millions de livres sterling. En cause : les constants renvois d’ascenseur entre les deux hommes depuis leur première rencontre en 2005. Quand David Rowland consent à prêter à "son ami Andrew" la coquette somme de 1,5 million de livres sterling, il se retrouve presque miraculeusement sur le chemin de la reine.

Lorsque Andrew marie sa fille cadette, la princesse Eugenie, en octobre 2018, l’aimable financier est gracieusement invité. Et loin de se contenter d’un pliant au fond de la chapelle St George, il est installé aux premières loges, au plus près des mariés lors de l’échange des vœux. Trafic d’influence ? Difficile à prouver même si les intérêts du banquier et du prince s’entrecroisent de manière troublante. Jusqu’à faire peser sur le duc d’York le soupçon d’avoir commis un délit d’initié au profit de l’homme d’affaires, dans le cadre du rachat d’une banque islandaise. Fidèle en amitié, le duc d’York ne manque d’ailleurs jamais l’inauguration d’une succursale de la banque Havilland — propriété de David Rowland — surtout dans les pays à la fiscalité avantageuse : le Luxembourg en 2009, Monaco en 2012, Abu Dhabi en 2018...

Un rapport qui secoue la monarchie luxembourgeoise

Andrew serait allé jusqu’à solliciter "les conseils" du prince Albert II de Monaco pour aider son cher David dans ses entreprises sur le Rocher. Une demande laissée sans réponse. Reste à savoir si David Rowland est le seul entrepreneur à avoir profité des connexions royales du prince. Nommé représentant spécial du Royaume-Uni pour le commerce international et l’investissement en 2001 – un poste qu’il aura occupé pendant dix ans –, Andrew a eu tout loisir de tisser un réseau d’obligés, soucieux de faire fructifier leurs affaires. Ou comment frayer en eaux troubles, aux antipodes de l’éthique monarchique.

Car au XXIe siècle, la transparence financière est devenue une règle de vie. Tout prince qui joue avec le feu sur ce point risque d’ébranler l’édifice sur lequel est assise sa légitimité. Redevables au peuple et à ses élus des moyens financiers mis à leur disposition, le souverain et sa famille ne peuvent se permettre le moindre écart. Et gare à celui qui tente de se soustraire à cette règle d’or : les livres de comptes masquent de véritables luttes de pouvoir. En témoigne la récente réforme luxembourgeoise. À l’été 2019, le Premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel, commande à Jeannot Waringo, ancien directeur de l’Inspection générale des finances, un rapport sur la "gestion financière, budgétaire et comptable des activités de la Cour". Dans les milieux bien informés, personne ne doute alors qu’une guerre s’ouvre entre le gouvernement et le palais grand-ducal.

Maria-Teresa de Luxembourg
A LIRE AUSSILuxembourg: que cache réellement le rapport Waringo?

Après cinq mois d’audit, le rapport Waringo atterrit sur le bureau du Premier ministre. Avec une proposition phare, la création de la Maison du Grand-Duc, une entité juridique nouvelle dotée d’une "comptabilité spécifique dédiée". Ou comment faire toute la transparence sur les dépenses du chef de l’État et celles de ses proches. Pour mieux contrôler, voire pour exclure... En effet, sous couvert de bonne gestion, Jeannot Waringo n’hésite pas à gommer la grande-duchesse des organigrammes de la Cour, arguant que la Constitution "ne prévoit pas de fonctions officielles pour l’épouse du grand-duc". Ce qui n’empêche pas Maria Teresa de Luxembourg de servir son pays depuis 1981.

Être irréprochable sur le plan financier et personnel 

Pourtant, nul besoin d’aller jusqu’à la réforme pour faire trembler princes et souverains. Un simple mouvement d’humeur, un mauvais buzz ou une chute de popularité peuvent les faire renoncer, d’eux-mêmes, à leur dotation. De plus en plus critiqués, le roi Willem-Alexander et la reine Maxima des Pays-Bas n’ont pas été longs à faire savoir que leur fille aînée, la princesse héritière Amalia, renonçait au 1,6 million d’euros de dotation annuelle qu’elle devait toucher, à partir de sa majorité, le 7 décembre 2021.

Même prudence pour l’ex-princesse Mako du Japon, qui a renoncé aux 150 millions de yens — 1,16 million d’euros — offerts traditionnellement à toute princesse de la famille impériale au moment de son mariage. Après quatre ans d’attente et d’oppositions, celle qui s’appelle maintenant Mako Komuro — du nom de son époux, Kei Komuro — a préféré s’envoler pour une nouvelle vie aux États-Unis, en coupant court à toute polémique financière.

Départ de l"aéroport de Tokyo de Mako et Kei Komuro
L'ancienne princesse japonaise Mako et son époux Kei Komuro ont quitté le Japon pour s'installer à New York, loin des soucis du passé. © JIJI PRESS PHOTO / MORIO TAGA /ABACAPRESS.COM

Charge à ceux qui restent de continuer à montrer l’exemple. Et de prouver qu’ils méritent chaque centime de leur liste civile. Au Royaume-Uni, les médias aiment décerner les palmes des membres de la famille royale les plus impliqués en établissant la liste des engagements officiels effectués par chacun tout au long de l’année. À ce jeu, la princesse Anne a souvent fait office de première de la classe, même si son frère aîné, le prince Charles, tend à lui voler la vedette. En 2019, avant la pandémie de Covid-19, l’héritier du trône l’a coiffée au poteau en participant à 521 événements officiels, contre 506 pour sa sœur.

L’exemplarité n’est cependant pas seulement financière. Elle a gagné la sphère même de l’intime. Les royaux se doivent d’être des époux et des parents irréprochables... En 2021, avoir une double vie n’est plus une option. Chez les Windsor, la dernière "favorite", Alice Keppel, maîtresse d’Édouard VII, a quitté la scène en 1910. L’itinéraire de son arrière-petite-fille, une certaine Camilla Shand, devenue par son premier mariage Camilla Parker Bowles, puis la duchesse de Cornouailles...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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