Emanuele Filiberto de Savoie : "Je rêve d'une grande réconciliation de la Maison de Savoie"

La publication dans la presse italienne de deux lettres écrites en 1960 par son grand-père Umberto II l’a fait vivement réagir sur les réseaux sociaux. Le prince de Venise nous explique pourquoi ces missives, avancées comme preuves que l’ex-roi envisageait de ne pas reconnaître son fils, le prince Victor-Emmanuel, comme successeur au profit de la branche des ducs d’Aoste, n’ont à ses yeux aucune valeur.

Par Emmanuel Cirodde - 13 juillet 2021, 10h13

 Le prince Emanuele Filiberto de Savoie  a vivement réagi sur les réseaux sociaux à la publication par la presse italienne de deux lettres de son grand-père, l’ex-roi Umberto II, datant de 1960.
Le prince Emanuele Filiberto de Savoie a vivement réagi sur les réseaux sociaux à la publication par la presse italienne de deux lettres de son grand-père, l’ex-roi Umberto II, datant de 1960. © Antonio Martinelli

En quoi la publication de ces deux lettres de votre grand-père, le roi Umberto II, constitue-t-elle un nouveau rebondissement dans l’histoire des relations entre les maisons de Savoie et d’Aoste ?

C’est devenu tellement ridicule que cela m’a poussé à m’expliquer sur ma page Facebook. Il est très facile de faire parler les morts. Il ne s’agit malheureusement pas d’un nouveau rebondissement, car cela dure depuis longtemps. Historiquement, les Aoste ont toujours essayé de prendre la place de la branche principale Carignan. Le duc Amedeo d’Aoste [disparu le 1er juin dernier, ndlr] a pourtant reconnu à plusieurs reprises mon père comme successeur légitime, et ce même après la mort de mon grand-père. Il suffit de lire son livre Proposta per l’Italia ("Proposition pour l’Italie"), publié en 2002 et dans lequel il affirme n’être que troisième dans l’ordre de succession. Puis, quand mon père a connu ses problèmes judiciaires en Italie en 2006, il y a vu une opportunité d’essayer de faire un "miniputch" qui, évidemment, n’a pas marché. On ne change pas de ligne de succession comme ça.

Amedeo de Savoie, 5e duc d’Aoste, et le prince Victor-Emmanuel de Savoie, père d'Emanuele Filiberto, en 1964. © Giorgio Lotti/Mondadori via Getty Images
Amedeo de Savoie, 5e duc d’Aoste, et le prince Victor-Emmanuel de Savoie, père d'Emanuele Filiberto, en 1964. © Giorgio Lotti/Mondadori via Getty Images

Que représentent ces lettres écrites par votre grand-père en 1960 et présentées par la presse italienne ?

Ces deux lettres que l’on connaissait depuis longtemps ne sont pas du tout un scoop. Il s’agit de deux courriers privés envoyés par mon grand-père à mon père alors qu’il fréquentait Dominique Claudel, la petite-fille de Paul Claudel. Il lui rappelait juste certains points, comme le ferait tout père avec son fils et comme moi j’ai pu le faire avec ma fille pour la remettre sur le droit chemin. Umberto II y précise une chose importante : si rien ne s’arrangeait et qu’il se voyait contraint à modifier la succession, il en avertirait officiellement le gouvernement italien, les membres de la maison de Savoie et les familles royales d’Europe. Chose qu’il n’a évidemment jamais eu à faire. Mon père a ensuite rencontré ma mère. Les débuts furent en effet difficiles car mon grand-père ne la connaissait pas. Il n’a pas assisté à leur mariage en 1971. Peu à peu, il a cependant appris à la connaître, il est venu à mon baptême en 1972, est devenu mon parrain... Et en 1978, lors de sa dernière rencontre avec les Italiens – ils étaient plus de 10 000 – à Beaulieu-sur-Mer, il a tenu à apparaître aux côtés de mon père et de ma mère.

Emanuele Filiberto et ses parents, Victor-Emmanuel et Marina, lors de leur retour en Italie en 2003 après plus de 50 ans d'exil. Victor-Emmanuel est le fils du dernier roi italien, Umberto II, et revendique le trône d'Italie. © Eric Vandeville / akg-images
Emanuele Filiberto et ses parents, Victor-Emmanuel et Marina, lors de leur retour en Italie en 2003 après plus de 50 ans d'exil. Victor-Emmanuel est le fils du dernier roi italien, Umberto II, et revendique le trône d'Italie. © Eric Vandeville / akg-images

Dès votre baptême, Umberto II semble voir en vous le fils de l’héritier de la maison de Savoie.

Oui, il venait régulièrement à Genève. Malgré son âge, il était un grand-père avec qui je parlais énormément. Il me racontait l’Italie, ses souvenirs quand il était roi, ses voyages... Autant qu’il a pu, il a essayé de me former.

La famille royale italienne au complet dans les années 1940 : le dernier roi d'Italie, Umberto II, son épouse Marie-José de Belgique et leurs trois enfants Victor-Emmanuel, Marie Gabrielle et Maria Pia. © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images
La famille royale italienne au complet dans les années 1940 : le dernier roi d'Italie, Umberto II, son épouse Marie-José de Belgique et leurs trois enfants Victor-Emmanuel, Marie Gabrielle et Maria Pia. © Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images

Vous présentez à votre tour un document de 1983, dans lequel l’exécuteur testamentaire de votre grand-père écrit de sa main que votre père, le prince Victor-Emmanuel de Savoie, est bien le chef de la maison de Savoie et le grand maître de l’ordre suprême de la Très Sainte Annonciade et de l’ordre des Saints-Maurice-et-Lazare...

Oui, et ce document est signé par toutes les sœurs de mon père et les exécuteurs testamentaires. On ne peut pas être plus clair. Les Aoste se battent sur la foi de lettres privées qui n’avaient pas vocation à être publiées. Le roi signait d’ailleurs toujours à la main et celles-ci sont signées à la machine. Et ils ne possèdent eux-mêmes aucun document officiel appuyant leur thèse.

Votre tante, la princesse Marie Gabrielle de Savoie, qui fait partie des signataires, a pourtant par la suite soutenu le duc d’Aoste.

Ce fut en effet le cas à un moment, car elle et mon père s’étaient fâchés. Aujourd’hui, ils se voient et passent beaucoup de temps ensemble.

Marie Gabrielle de Savoie, s'est un temps rapprochée de son cousin, Amedeo, duc d'Aoste, ici en 2007, dans la querelle dynastique qui oppose les deux branches de la famille royale italienne. © Piovanotto Marco/ABACA
Marie Gabrielle de Savoie, s'est un temps rapprochée de son cousin, Amedeo, duc d'Aoste, ici en 2007, dans la querelle dynastique qui oppose les deux branches de la famille royale italienne. © Piovanotto Marco/ABACA

Demeure également la question de l’exil ne frappant que les prétendants désignés au trône d’Italie. Après Umberto II, seuls vous et votre père avez été concernés par cette disposition.

Oui, mon grand-père est mort en exil, mon père y est resté cinquante-six ans et moi plus de trente ans. Si le duc d’Aoste était tellement sûr d’être le prétendant, il aurait très bien pu dire : "Je prends vos places car c’est moi qui représente le danger pour l’Italie républicaine!"

Quelles relations avez-vous avec Aimone de Savoie, le 6e duc d’Aoste ?

Nous avons des contacts, nous nous envoyons des messages. Je lui dis qu’on a tellement de choses concrètes à faire ensemble pour l’Italie. Il est quelqu’un que je respecte. Je pense qu’il partage la vision qu’avait son père, mais j’espère que la raison arrivera et qu’il se rangera comme l’ont fait tous les descendants du roi Umberto II. Cela m’attriste car une famille est faite pour être unie.

Le prince Aimone de Savoie est désormais le 6e duc d’Aoste et chef de la branche cadette de la famille royale d’Italie. © Gianni Pasquini/IPA/ABACAPRESS.COM
Le prince Aimone de Savoie est désormais le 6e duc d’Aoste et chef de la branche cadette de la famille royale d’Italie. © Gianni Pasquini/IPA/ABACAPRESS.COM

Quel impact a eu cette affaire en Italie ?

Pour le gouvernement italien et pour le public qui me connaît grâce à la télévision, ce n’est rien. Nous ne parlons que de cinq ou six cents monarchistes qui soutiennent les Aoste. Rien de plus.

Le fait que votre père ait aboli la loi salique en 2019 a-t-il pu inciter les ducs d’Aoste à se manifester ?

Oui, ils s’étaient tus jusque-là car après moi, Aimone a pu songer que ce serait au tour de son fils Umberto. Cette abolition de la loi salique a dû leur faire réaliser que cela n’arrivera pas.

LIRE AUSSI >> Le duc d’Aoste, le dernier grand seigneur

Quel regard porte votre fille aînée la princesse Vittoria sur cette querelle qui la concerne au premier chef ?

Elle en sourit et regarde devant elle. Elle est sûre d’elle et ce changement de la loi salique va avec le temps. Dans presque toutes les familles royales d’Europe, nous n’aurons bientôt que des reines. C’est quelque chose de magnifique. Je suis très confiant et très heureux...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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