Monseigneur, comment vous sentez-vous à l’approche de ce cap symbolique ?Pour vous dire la vérité, cela ne me fait pas grand-chose. Car dans ma tête, j’ai toujours 25 ans. Et dans mon corps aussi j’espère [rires]. Il faut avoir la même envie, la même volonté pour continuer à tracer son chemin. Beaucoup de choses se sont passées durant ces cinquante années. Ma vie a été coupée en deux, entre l’exil et la liberté. Je pense aussi au retour en Italie, à notre mariage, à la naissance de Vittoria et Luisa. Tout cela fait grandir et donne la force d’aller plus loin.
Quelles sont les personnes qui ont compté pour vous ?Ma femme, naturellement, et mes enfants. Je pense aussi à des amis de toujours qui m’ont beaucoup soutenu et remonté le moral quand j’en ai eu besoin. Je les compte sur les doigts des deux mains tout au plus.
Comment se portent vos parents ? Ils vont bien. À 87 et 85 ans, j’ai beaucoup de chance qu’ils soient encore parmi nous. Mon père me fait confiance et me laisse de plus en plus gérer les affaires de famille. C’est une très grande responsabilité que je prends à cœur.
Avec le recul, y a-t-il des chosesque vous auriez aimé faire différemment ? Grandir dans une famille à l’abri de tout besoin m’a peut-être parfois rendu superficiel. Il a pu m’arriver de ne pas m’investir à cent pour cent, car conscient d’avoir ce "parachute doré" que m’avait offert la vie. Malheureusement, ce trait s’est retrouvé chez moi lors de mes études universitaires et au début de ma carrière. Ensuite, j’ai tenu à m’assumer par moi-même, ce qui a représenté un tournant. J’essaie d’apprendre cela à mes filles, de leur faire prendre conscience de la chance qu’elles ont et de les inviter à aller au fond des choses, comme si chaque opportunité était unique.
Elles ont justement l’âge de se poser ces questions. Oui, et j’ai énormément confiance en Vittoria et Luisa. La première a une fibre plus artistique bien qu’elle se destine maintenant à étudier les sciences économiques et sociales, et la seconde est plus versée dans la biologie et la chimie. Elle nous a annoncé qu’elle souhaitait se lancer dans la médecine. Je ne sais pas de qui elle tient cela (rires). Je suis très heureux qu’à 15 ans elle ait déjà cette envie.
À quel âge avez-vous pris conscience de votre statut de prince ? Cela m’est arrivé relativement jeune. J’ai associé le nom que je portais à l’exil et la frustration de ne pas pouvoir me rendre dans mon propre pays. Je devais avoir 5, 6 ans, beaucoup de monarchistes italiens venaient nous rendre visite à Genève, notamment à l’occasion de mes anniversaires. Un jour, je suis monté dans le bus en leur lançant que j’allais rentrer en Italie avec eux. J’ai vu leurs visages se défaire et tout doucement, ils m’ont expliqué que c’était impossible.
Quelles étaient vos conversations avec vos parents sur ce sujet ?Très jeune, mon père a voulu m’apprendre l’histoire de ma famille. Il m’avait transmis sa passion pour les pièces de monnaie. Tous les dimanches, nous allions ensemble au marché aux puces à Genève, à la recherche de pièces sur les Savoie. Il m’expliquait qui y figurait, Victor-Emmanuel II, Charles Albert, Charles Amédée… Beaucoup d’Italiens m’envoyaient des cartes postales. De Venise à Naples en passant par Rome, je voyageais dans mon propre pays à travers ces images.
Que vous disaient votre grand-père le roi Umberto II et votre grand-mère la reine Marie-José ? J’ai peu de souvenirs avec le roi. Au moment de sa disparition, j’avais 11 ans. Il appelait souvent à la maison et demandait comment se passait ma scolarité. Ma grand-mère en revanche habitait près de chez nous, à Merlinge. Elle aimait se promener avec moi. Nous marchions jusqu’à atteindre une petite cabane, dans le fond du jardin. Nous parlions de l’Italie, de l’exil, de la Seconde Guerre mondiale, de ses rencontres avec Hitler, D’Annunzio, Chaplin ou Einstein. Cela paraissait incroyable à l’enfant que j’étais. Elle était une femme brillante, une grande antifasciste. Elle me manque énormément. J’aurais adoré que mes filles puissent la connaître.
Le 23 décembre 2002, vous descendez de l’avion à Rome pour vos premiers pas en Italie. Quel souvenir conservez-vous de cette journée historique ?J’ai à peine eu le temps de me rendre compte de ce que je vivais. L’autorisation nous avait été délivrée quelques jours plus tôt. Je me souviens m’être retrouvé dans une voiture à Rome et filer au Vatican pour une audience avec le Saint-Père, Jean-Paul II. Ce fut une rencontre magnifique. Avec cet homme extraordinaire, nous avons parlé de ski ! Il voulait tout savoir sur les nouveaux modèles paraboliques et les stations où j’allais.
Vous êtes ensuite revenu en Italie en mars 2003...Nous sommes allés à Naples, car mon père a voulu revenir là où il était parti en 1948. Il était très ému, et je pensais au jeune garçon qui, jusqu’à l’âge de 9 ans, avait été élevé pour devenir roi d’Italie. Puis, sans savoir ce qu’il se passait, il a pris ce bateau avec sa mère et ses sœurs pour rejoindre son père au Portugal. De mon côté, je découvrais mon pays. La porte de ma cage dorée s’ouvrait, et j’étais enfin libre.
Vous avez été très actif dès votre retour. J’ai tenu à visiter toute l’Italie – le plus beau pays au monde ! –, m’engager en politique, et surtout découvrir les Italiens qui sont formidables. Certains se sont certes opposés à mon retour, mais cela appartient au folklore. J’ai eu envie de montrer qui j’étais vraiment. J’ai fait de la télévision, participé au concours Danse avec les stars qui a rencontré un énorme succès. Je comprends que cela ait pu choquer de voir l’héritier de la couronne protagoniste de jeux télévisés. Je pense au contraire que cela était extrêmement bénéfique. Ma tante Maria-Pia dit écrit dans son autobiographie que je suis peut-être l’unique membre de la famille qui a réussi à se faire aimer par les Italiens.
Comment vous perçoivent aujourd’hui ces Italiens qui vous ont découvert à la télévision ?J’ai beaucoup d’affection pour eux. Dans la rue, ils m’appellent "Principe". Le prince, mais celui de la porte d’à côté, qui représente une dynastie mais aussi un frère ou un cousin… Je me souviens d’un séjour avec mes filles à Rome. Des gens m’arrêtaient dans la rue. La petite m’a dit : "Papa, c’est terrible d’être avec toi en Italie. C’est comme être à Eurodisney avec Mickey !"
Lorsque vous êtes à Naples ou à Rome, que ressentez-vous lorsque vous passez devant des lieux liés à votre famille comme le palais du Quirinal ?Cela ne me fait rien. Je les vois comme des pages d’histoire. Je ne suis pas nostalgique, je regarde l’avenir. Lorsque je passe devant la statue de Victor-Emmanuel II, je ne me dis pas que c’est mon arrière-arrière-grand-père. Je dis qu’il est le fondateur de l’Italie. Devant le Quirinal, je pense "quel beau palais". Je n’ai pas été le prince soupirant à la fenêtre de mon palais en disant qu’un jour, je serai roi. Ce n’est pas mon style.
Vous êtes également très impliqué dans le fonctionnement des ordres dynastiques.Oui, ces ordres ont fait énormément pour l’Italie. Cela constitue l’une de mes principales activités et nous les avons fait grandir. À la mort de mon grand-père, ils comptaient dix-sept membres actifs. Aujourd’hui, ils sont trois mille et disposent de délégations dans toutes les régions d’Italie et dans dix-sept pays. Je file d’ailleurs au Canada pour assister au gala de la représentation locale des ordres. Nous sommes très fiers de pouvoir donner entre 1 et 1,5 million d’euros par an à des œuvres de bienfaisance.
Vos filles s’impliquent de plus en plus à vos côtés.Vittoria a eu tout à coup l’envie de se rendre en Ukraine pour aider une association. Elle se préoccupe beaucoup de notre avenir commun comme beaucoup de jeunes aujourd’hui. Il faut...
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