Les avions arrivent essentiellement de Rio de Janeiro et de São Paulo, les deux mégalopoles brésiliennes, situées à quatre heures de route de là. Cet aéroport de Paraty, baptisé depuis le mois d’octobre "Aeroporto Municipal Principe D. João de Orleans e Bragança", est en grande partie l’oeuvre de ce prince-aviateur, lieutenant-colonel des Forces aériennes brésiliennes, disparu en 2005, et de son fils.
S’il a préféré devenir photographe –à l’image de son ancêtre l’empereur Pedro II–, dom João Henrique se dévoue lui aussi pour sa ville, et pour son pays: "Nous avons offert une grande partie du terrain qui a servi à créer l’aéroport. J’ai personnellement beaucoup travaillé, il y a vingt ans, pour mettre ce projet sur pied avec les entrepreneurs, lancer les travaux."
Dom João, son père, né en 1916, a grandi au château d’Eu, en Normandie, durant l’exil de la famille impériale du Brésil. Il n’a découvert son pays qu’en 1925. Et bien plus tard encore, le petit port de Paraty, caché dans la baie d’Ilha Grande. Au début des années 1960, il achète sur cette côte, que l’on ne peut alors rejoindre qu’en bateau ou en avion, une fazenda -grand domaine- de 500 hectares, devenue depuis le fief familial.
Et il s’investit dans la vie de la communauté, un dévouement dont témoignent aujourd’hui encore les édiles municipaux: "Le maire, d’une ancienne famille de Paraty, connaissait bien papa, et il en a parlé de façon très touchante. Il a évoqué l’amour de mon père pour sa ville, sa relation avec la population, les commerçants. Et son sens du service de la communauté “à la manière des princes”, en dehors de toute appartenance à un parti politique. J’étais très ému par la cérémonie, vraiment touché par ses mots."
À ses côtés, pour dévoiler la plaque commémorative du baptême de l’aéroport, son fils dom João Filipe, 32 ans, et son petit-fils dom João Antonio, 1 an. Trois générations de princes d’Orléans et Bragance, brésiliens de naissance, "paratienses" de coeur.
Votre père était-il le premier aviateur de la famille d’Orléans?
DOM JOÃO HENRIQUE: Le vol aérien l’attirait depuis l’adolescence, peut-être l’influence d’Antoine d’Orléans et Bragance, le frère cadet de son père, un ancien lieutenant des hussards de l’armée impériale d’Autriche, devenu pilote dans la Royal Navy pour ne pas avoir à combattre la France. Mais papa n’a pas vraiment connu l’oncle Toto, il avait à peine 2 ans au moment de sa mort, en manoeuvres, au lendemain de la Première Guerre. Comme souvent les membres de familles royales, mon père voulait servir son pays. Aussi, quand il est arrivé au Brésil, il a décidé de s’engager dans l’une des trois forces. Mais dans les années 1930, il n’y avait pas encore d’aéronautique militaire, alors il est entré dans l’aviation navale, une branche de la Marine.
Où a-t-il été formé?
L’école se trouvait à Rio de Janeiro. Quand le premier groupe des Forces aériennes brésiliennes a été formé, en 1941, Papa en faisait partie. Le pays était allié des États-Unis pendant la guerre, alors ses supérieurs lui ont demandé, comme à son groupe de pilotes, de visiter trois grandes académies militaires des États-Unis: West Point dans l’État de New York, Annapolis au Maryland, et Pensacola en Floride. À New York, il a connu Saint-Exupéry, peu de temps avant sa disparition d’ailleurs. Il évoquait toujours cette rencontre avec beaucoup de joie et de fierté.
Sur quels appareils volait-il?
Il a été chargé de ramener nos premiers avions de chasse, des North American T-6. Ils ont ensuite été utilisés dans la plus célèbre de nos escadrilles d’acrobatie aérienne, surnommée "la Fumaça", la fumée. Son autre grande passion c’était le pilotage d’hydravion, en particulier les Catalina qui défendaient les côtes du Brésil. Ces appareils militaires américains étaient amphibies, capables de décoller d’une piste de terre, d’un plan d’eau, comme d’atterrir ou d’amerrir. Après la guerre, ils ont été affectés au service postal. Mon père a aussi servi comme pilote de ligne. Les compagnies aériennes, comme la Panair do Brasil, n’avaient pas beaucoup de soutiens financiers alors, pour leur éviter la faillite, le gouvernement a dépêché des pilotes des Forces aériennes. En 1946, mon père a reçu la mission d’ouvrir Rio-Le Caire, la première ligne régulière entre le Brésil et l’Égypte.
Et c’est là qu’il a rencontré votre mère…
Le gouvernement égyptien a profité de l’occasion pour réaffirmer les bonnes relations diplomatiques. Mon père, en outre, était prince du Brésil et le roi Farouk a multiplié les événements mondains en l’honneur de la délégation brésilienne. C’est à l’occasion de l’une de ces réceptions qu’il a connu ma mère Fatima Chirine. Ils étaient très beaux tous les deux. Et ils sont vite tombés amoureux…
C’était un "amour impossible", non?
L’union d’un chrétien catholique et d’une musulmane, même princes, n’allait pas de soi. Maman était veuve du prince Hassan Omar Toussoun, un cousin du roi Farouk, et elle avait déjà une fille, ma soeur la princesse Melekper. Elle n’avait que 24 ans, mais déjà heureusement une personnalité très forte. Dans cette société patriarcale, elle savait qu’en acceptant d’épouser mon père, ils allaient rencontrer beaucoup d’opposition. Pour mon père, ce n’était pas beaucoup plus simple. Mais mon oncle Pedro, le frère aîné de papa, notre chef de maison, a accepté le mariage. Et surtout oncle Henri, le Comte de Paris, a beaucoup aidé. C’était un homme d’une grande intelligence, d’une rare ouverture d’esprit, et il s’entendait très bien avec maman. Finalement mes parents ont pu se marier, en avril 1949, à la quinta do Anjinho au Portugal, chez tante Bébelle et oncle Henri, le Comte et la Comtesse de Paris. C’est une belle histoire.
Ils se sont alors installés à Paraty?
D’abord à Rio de Janeiro, où je suis né, cinq ans plus tard. Le bout du monde pour ma mère, après la cour d’Égypte si brillante et la vie au Caire, une ville cosmopolite élégante et divertissante. La famille de ma mère n’acceptait pas cette union et elle a été privée de ses droits parentaux. Mais elle a lutté avec beaucoup de courage, et après des années de négociation, ma soeur Melekper a enfin pu venir habiter avec nous. Nous ne nous sommes installés à Paraty que bien plus tard. Mon père n’a découvert l’endroit, très isolé entre Rio et de São Paulo, sans même une route pour y accéder, que dans les années 1960. Entre deux villes de près de quinze millions d’habitants chacune, cette position géographique a préservé la région. La forêt qui nous environne est un parc régional, la vieille ville a presque quatre cents ans, et la baie est sublime. Un bijou préservé de nature, de culture et d’histoire.
Avez-vous pensé à devenir pilote?
Pas vraiment, mais mon père ne pilotait déjà plus quand j’ai fait mon baptême de l’air. Il y a trois mois, j’ai quand même dû le rendre très fier en sautant pour la première fois en parachute, un saut en chute libre, à 4.500 mètres. Mes amis me traitent de fou, mais comme il est désormais possible d’atterrir sur notre propriété, je vais recommencer.
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