C’était il y a plus d’un demi-siècle, et pourtant, il n’a rien oublié. Dans un message publié à l’annonce de sa mort le 20 avril 2020, le prince Charles, 71 ans, a rendu un hommage ému au docteur Edward "Tedi" Millward, l’homme qui l’a accompagné dans la préparation de son discours d’intronisation comme prince de Galles en 1969.
Âgé de 20 ans à l’époque, le fils aîné d’Aberystwyth. Un séjour dont la portée symbolique —le prince prononcera une partie de son allocution en gallois— est aussi stratégique dans un contexte d’union fragilisée par la montée des mouvements indépendantistes.
Le professeur Millward, un fervent nationaliste très critique de la monarchie, est choisi pour être son tuteur. Après des débuts frileux —en raison de ses convictions politiques, le réticent Millward appelle Charles monsieur plutôt que Votre Altesse—, le professeur finit par prendre son élève sous son aile, et tous deux se lient d’une amitié profonde.
Le prince Charles au Trinity College à Cambridge à la fin des années 1960. © Hulton-Deutsch Collection/CORBIS/Corbis via Getty Images
"Je garde des souvenirs très affectueux du temps que nous avons passé ensemble à Aberystwyth. Si je crains, hélas, de n’avoir pas été très bon élève, il m’a énormément appris sur la langue galloise et sur l’histoire des Gallois. Après toutes ces années, ma gratitude envers lui est infinie", se rappelle l’héritier du trône, qui, en 1981, avait invité son ancien tuteur à son mariage.
Mise en scène dans un épisode de la série The Crown, la relation entre Charles et Edward Millward est à l’image des liens souvent fondateurs que les jeunes princes et princesses entretiennent avec leurs enseignants.
Les précepteurs ont longtemps été un soutien émotionnel
Longtemps, les monarques se sont tenus à distance en tant que parents, désengagés de la vie de leur progéniture. Leurs enfants trouvent dès lors un soutien émotionnel auprès de ceux dont ils sont le plus proches: leurs précepteurs.
Ainsi le futur roi Juan Carlos d’Espagne, dont l’enfance solitaire —il fait très jeune des allers-retours au pensionnat— est marquée par la figure rassurante de son mentor Eugenio Vegas Latapie, qui suit le garçonnet dès l’âge de 4 ans.
Chef du secrétariat politique de Don Juan, ce fils de militaire ultra-conservateur et archi-monarchiste fait preuve d’une sévérité qui n’est pas sans déplaire au père de Juan Carlos, soucieux de voir le futur héritier de la Couronne s’endurcir. Mais peu à peu, une complicité se crée entre eux.
Né à Rome le 5 janvier 1938, élevé en Suisse et au Portugal, Juan Carlos est un enfant solitaire.©Solarpix / KCS PRESSE
En 1947, le jeune garçon doit quitter l’Espagne pour poursuivre ses études à Fribourg, au collège des frères marianistes. Vegas Latapie l’accompagne en Suisse, et continue de lui dispenser un enseignement complémentaire. Il apprécie la finesse de son élève. Et n’est pas insensible à sa solitude.
Lorsque Juan Carlos doit subir une opération chirurgicale des suites d’une otite aiguë, le précepteur tente en vain de contacter ses parents. Injoignables, le comte de Barcelone et son épouse sont en croisière au large de Cuba. Durant plus de dix jours, Juan Carlos n’aura que Vegas Latapie pour le réconforter et le soutenir sur son lit d’hôpital.
Plusieurs autres enseignants lui feront plus tard oublier la froideur de son père, par leur présence et leurs encouragements. Au collège Santa Maria de los Rosales de Madrid, le directeur José Garrido est une bouffée d’air pour le futur roi. En plus de veiller à l’émancipation intellectuelle des enfants, le pédagogue aux méthodes libérales leur souhaite bonne nuit chaque soir.
Dans ses entretiens avec le journaliste José Luis de Vilallonga, le souverain lui rendra hommage: "Parfois, quand je dois prendre certaines décisions, je me demande encore ce qu’il m’aurait conseillé de faire".
Des instituteurs passionnés qui marquent une vie
Les instituteurs passionnés laissent sur leurs élèves une empreinte durable. C’est à l’inspirant jeune professeur d’arts plastiques Robert Waddell que le prince Charles doit son goût pour l’aquarelle, développé au cours de ses difficiles années de pensionnat à Gordonstoun, en Écosse.
Eric Anderson —un révéré professeur de théâtre, qui eut ensuite pour élèves Boris Johnson et Tony Blair au collège d’Eton—, l’encouragera ensuite à vaincre sa timidité et à monter sur scène. Et lui transmettra sa passion de Shakespeare.
Lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande en 2015, le prince Harry retrouve son ancienne institutrice Vicki McBratney, qui l’avait beaucoup soutenu lors de ses années de pensionnat à Ludgrove, notamment à la mort de sa mère. © Tim Rooke/PA Wire/ABACAPRESS.COM
"Les meilleurs instituteurs sont ceux qui apprennent aux jeunes la détermination, l’ambition, la résilience et la compassion", soulignait son fils cadet, le prince Harry, lors d’un discours en 2017. Deux ans plus tôt, ce dernier avait retrouvé son ancienne institutrice, Vicki McBratney, lors d’un déplacement officiel en Nouvelle-Zélande. La jeune femme l’avait soutenu lors de ses années de pensionnat à Ludgrove, notamment après la mort de Diana, sa mère, en 1997.
Forts de la confiance et de l’intimité nouées en classe, certains professeurs deviennent plus tard des partenaires privilégiés dans la vie publique de leurs anciens élèves. En 1969, au moment de devenir prince d’Espagne, Juan Carlos se tourne vers son professeur de droit Torcuato Fernandez-Miranda pour l’aider à rédiger son discours et le conseiller dans les étapes de sa périlleuse accession au pouvoir.
Juan Carlos le jour de son intronisation comme roi d'Espagne, le 22 novembre 1975. Il prononce un discours queson professeur de droit Torcuato Fernandez-Miranda l'a aidé àrédiger.©Gianni Ferrari/ Cover/ Getty Images
Six ans plus tard, il nomme le brillant universitaire à la tête du Parlement. Un choix de cœur et d’esprit vers celui dont les cours, habiles critiques du système franquiste, avaient exercé une influence décisive sur l’étudiant lors de ses années de formation à Madrid.
En 2009, c’est à son ancien professeur d’histoire, l’auteur à succès Herman Lindqvist, que la princesse héritière Victoria de Suède confiera le soin d’écrire sa biographie.
Seule condition, une discrétion sans faille
L’atout de la proximité s’avère toutefois à double tranchant lorsque la discrétion et la confidentialité sont de mise. Recrutée par le duc et la duchesse d’York au début des années 1930 pour veiller sur leurs filles, Élisabeth et Margaret, âgées alors de 3 et 7 ans, la gouvernante Marion Crawford —rapidement surnommée "Crawfie"— passera dix-sept ans auprès de "Lilibet" et de sa sœur.
D’origine modeste, pétrie de principes pédagogiques modernes, l’énergique Écossaise s’emploie à égayer le quotidien très sage des deux fillettes, et à rompre leur isolement, notamment en organisant des sorties en métro, dans les rues de Londres et à la piscine municipale.
Déterminée à montrer aux jeunes princesses comment vivent les "vrais Britanniques", Crawfie incarne une forme de rafraîchissante normalité et veille sur la qualité de l’enseignement qui leur est prodigué au palais. Mais ses liens avec la famille royale tourneront au vinaigre en 1950, après la publication de The Little Princesses, son livre de souvenirs.
L’institutrice et nounou Marion Crawford a passé dix-sept ans auprès de la future reine Élisabeth II et de sa sœur. Les deux princesses ont fait toutes leurs classes à domicile, à l’inverse du prince William, premier héritier de la Couronne entièrement scolarisé à l’école publique.©Stephenson/ Topical Press Agency/ Getty Images
C’est aussi d’un ouvrage que naîtra quelque temps l’incompréhension entre Felipe d’Espagne et son précepteur, José Antonio Alcina. En 2004, le général de la Marine — qui fut chargé de superviser l’éducation du prince entre 1984 et 1993— publie Felipe, ainsi le prince héritier a-t-il été formé, un ouvrage qui ne révèle rien d’autre que le parcours de l’héritier de la Couronne. Après dix ans de silence, Felipe reprend finalement contact avec Alcina en juin 2014. En cette journée singulière, il souhaite lui annoncer lui-même la nouvelle: il va devenir roi.
Premier héritier de la couronne britannique à n’avoir pas connu l’instruction à domicile, le prince William consacre désormais une grande partie de ses engagements officiels à soutenir et mettre en lumière le rôle des centaines de milliers d’enseignants que compte la Grande-Bretagne. Une façon de souligner l’importance de leur travail. Et de leur dire merci.
Par Estelle Lenartowicz et Fanny del Volta.
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.