Les neiges semblent encore lointaines. L’herbe est verte, le riz en épis, les jardins fleuris de roses et d’hortensias. L’été s’étire doucement sur les cimes du royaume du Dragon Tonnerre, au grand bonheur des touristes venus goûter pleinement la "saison".
Mais pas seulement. Depuis l’annonce du mariage royal en mai dernier, les hôtels de la capitale – qui poussent comme des champignons – ont été pris d’assaut. Plus une chambre à Thimphou : Indiens, Européens, Américains mais aussi Chinois et Thaïlandais arrivent par centaines pour assister à la cérémonie.
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La presse n’est pas en reste. Cent soixante et un journalistes de treize nationalités différentes ont été accrédités par le Royal Media qui s’est vu contraint de contingenter les effectifs. Du jamais vu dans ce petit royaume himalayen, par nature si discret. Pas même lors du couronnement du roi en 2008. Mais l’événement, comme le pays, fascine. Pourtant ici, point de têtes couronnées, ni Rolls ni chapeaux et pas plus de beautiful people que de chefs d’État …
En accord avec la tradition, mais sans faste ni ostentation, l’organisation du mariage royal répond à la volonté du souverain. Seule la famille royale, quelques amis proches et une poignée d’invités ont été conviés à la cérémonie. Ainsi, trente-cinq ambassadeurs et leurs épouses, basés pour la plupart à New Delhi représentent le monde.
Un événement planétaire
Placée sous les auspices du bonheur, cette extraordinaire cérémonie bouddhique se veut avant tout un événement bhoutanais. Même si la mondialisation est aux portes de ce petit pays en pleine mutation et pas tout à fait comme les autres, sur lequel se penchent ses deux grands voisins, l’Inde et la Chine. Par médias interposés, il appartient au reste de la planète de partager ce petit morceau de BNB — Bonheur national brut —, fameux concept 100% bhoutanais qui intrigue tant notre monde.
À l’aube du seizième jour du huitième mois de l’année du lapin — le 13 octobre —, date choisie par les astrologues du palais selon la position des planètes dans le calendrier lunaire, Punakha — à l’est de Thimphou — s’apprête à ouvrir une nouvelle page de l’histoire du royaume : ancienne capitale du Bhoutan, c’est là que le 17 décembre 1907 Ugyen Wangchuck, premier Druk Gyalpo — monarque —, a été couronné.
Après une cérémonie de plus de quatre heures, le roi et la reine sortent détendus du Grand Kunra, la grande salle de prière. © The Asahi Shimbun via Getty Images
Il est quatre heures du matin. Les lignes impressionnantes du dzong — la forteresse monastique et administrative du district — se dessinent timidement sur un paysage d’un autre temps. À ses pieds coulent deux rivières qui se rejoignent, le Mo à l’ouest, la rivière de la femme et la Pho, à l’est, celle de l’homme. Saisissant de grandeur, le bâtiment édifié en 1637 par Zhabdrung Ngawang Namgyel, moine fondateur du Bhoutan, fait figure de proue.
Derrière ses murailles, le temple du Machhen Lhakhang, saint des saints du royaume où le corps embaumé de l’homme providentiel est jalousement gardé dans un reliquaire, commence à s’animer. Sa Sainteté le Je Khenpo, chef spirituel du Bhoutan, entonne la prière du Zhabdrung Dag-na-ma. Relayée à quelques mètres par celle dédiée au Bouddha de Longue Vie — Tshepame — psalmodiée par cent moines dans le Grand Kunra —la grande salle de prière. Tout est en place pour la cérémonie.
Une cérémonie dans le respect des rites bhoutanais
Dans la première cour du dzong ombragée par un immense ficus, arbre du Bouddha, un magnifique thongdroel — bannière géante rarement exposée — représentant le fondateur du Bhoutan couvre une muraille entière. À ses pieds une table regorge d’offrandes de toutes sortes tandis que sur le sol de granit, un tapis rouge décoré de fleurs et de signes cosmiques en riz teinté vert, rouge, bleu, trace le parcours royal.
Sept heures. Le soleil n’a pas voulu paraître. Un à un, les invités gravissent l’escalier pour prendre place dans la première cour. Suivent les quatre reines mères accompagnées de leurs époux, le roi-père Jigme Singye Wangchuck, quatrième du nom — qui donna la démocratie à son peuple et légua sa couronne à son fils en 2008 —, Ashi Kesang Choden Wangchuck, la grand-mère royale, ainsi que les membres de la famille proche, les ministres, les députés, les dignitaires du royaume.
Jigme Khesar Namgyel et sa reine, Jetsun Pema. Beaucoup de Bhoutanais ont effectué plusieurs jours de marche et campé pour partager la joie du couple royal. © Kyodo News Stills via Getty Images
Sur les toits de la forteresse, des moines en robe rouge soufflent dans des dhungs, de longues trombes de cuivre, produisant d’étranges sons qui semblent sortir des entrailles de la terre, rythmés par des coups de cymbales… Le roi Jigme Khesar Namgyel Wangchuck s’avance enfin, magnifique dans son gho de brocart de soie — une sorte de kimono — drapé d’une longue écharpe de cérémonie (kabney) que lui seul, son père et Sa Sainteté le Je Khenpo sont habilités à porter jaune…
Au pied de la forteresse, le Grand Chipdrel, la grande procession prend place. Un éléphant venu du Royal Manas Park, dans le sud du pays symbolise la puissance et la stabilité du royaume. Non loin, un cheval blanc sans cavalier attend la fiancée royale à la sortie du pont suspendu qui enjambe la rivière Mo. Des chants, des danses, le son profond d’un gong, la flamboyance des costumes, l’harmonie des couleurs… un cortège interminable s’avance.
Jetsun Pema est d’une extraordinaire beauté
Enfin la jeune fille paraît. Sublime dans son costume fait d’or et de soie d’une grande richesse, renvoyant à l’exceptionnel savoir-faire des tisserandes bhoutanaises. Avec une grâce infinie, Jetsun Pema s’élance à l’assaut de l’escalier vertigineux. Des nuages d’encens échappés de deux grandes jarres de terre blanchie rendent la scène presque irréelle. Dans la cour du dzong, le roi et sa fiancée ont pris place sur un piédestal, entourés du roi-père, du Je Khenpo et des quatre reines mères.
Dans un silence recueilli, la cérémonie de purification commence. Le lieu clos est serein, la beauté de la scène, saisissante. Mais bientôt, sonne l’heure pour le roi de pénétrer avec son père dans le Machhen Lhakhang, le lieu le plus sacré du Bhoutan — où seuls les souverains et le Je Khenpo sont autorisés à entrer —, pour recevoir la bénédiction immatérielle du saint fondateur du royaume. Une cérémonie tenue secrète, à l’abri des regards et des caméras, prélude à celle du Grand Kunra, la grande salle de prière où la famille royale et les invités attendent face aux trônes d’or que le roi, le roi-père et le chef du clergé les rejoignent.
Regard complice de Jigme Khesar à sa fiancée dont les yeux effarouchés tentent de...
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