Bangkok est à la fête. Dans les rues, les immeubles se parent de mille lumières colorées et d’assortiments floraux en guise d’offrandes. Des autels aux ornements or et argent sont dressés devant chaque bâtiment public. Partout à travers le royaume, le portrait de Sirikit s’affiche. Ce 12 août 2022, la Thaïlande célèbre le quatre-vingt-dixième anniversaire de sa reine-mère. Mère du souverain actuel, Rama X, mais aussi et surtout, mère de tous les Thaïlandais.
En 1976, sa date d’anniversaire est d’ailleurs choisie pour célébrer la fête des mères nationale. Si ses compatriotes lui vouent un tel culte, c’est que depuis le couronnement de son époux le roi Bhumibol, en 1950, elle se sera employée à améliorer la situation du peuple thaïlandais. Sans jamais faillir.
Au contraire de la tradition établie jusque-là, la reine Sirikit refuse de vivre recluse dans son palais. Année après année, accompagnée du roi ou seule, en avion, en hélicoptère, en train, en voiture ou à pied, elle sillonne les soixante-dix-huit provinces du royaume et va à la rencontre de ses sujets, se met à leur écoute.
Pour beaucoup, elle est symbole de providence. Elle veille à ce que, lorsque les récoltes font défaut, les familles paysannes les plus démunies puissent subsister. Dans les années 70, présidente de la Croix-Rouge thaïlandaise, elle accueille les réfugiés cambodgiens et vietnamiens, suscitant l’admiration de la communauté internationale. Elle vient en aide aux enfants défavorisés pour qu’ils puissent accéder aux études et se bat pour faire renaître des artisanats locaux tombés en désuétude... Pas étonnant que, dans chaque foyer thaïlandais, le portrait de Sirikit trône au côté de celui de son époux, le roi Rama IX.
Un destin royal
Elle est la fille du prince Nakkhatra Mangkala Kitiyakara et l’arrière-petite-fille du roi Chulalongkorn, Rama V. Par sa naissance, déjà, vouée à un destin souverain. Son enfance est marquée par la guerre du Pacifique et son adolescence se déroule en Grande-Bretagne, où son père est ambassadeur, et aussi au Danemark et en France. Sirikit reçoit ainsi une éducation cosmopolite. Elle est érudite, polyglotte, pianiste et belle comme le jour. Elle a 15 ans, lorsque, par une chaude journée de l’été 1947, à Fontainebleau, sa route croise celle de son cousin, le tout jeune roi Bhumibol qui, de passage en France, cherche une voiture pour visiter le pays.
Après de timides premiers échanges, une affection profonde se fait jour entre la princesse et le monarque qui poursuit encore ses études en Suisse. Mais va bientôt trouver de multiples raisons de revenir en France. Bhumibol demeure profondément marqué par la tragédie qui a frappé sa famille et décidé de son destin. Le 9 juin 1946, juste avant d’être couronné, son frère aîné le roi Ananda, éphémère Rama VIII de Thaïlande, a été retrouvé mort dans sa chambre, au palais, une balle dans la tête.
À l’automne 1948, Bhumibol est victime d’un grave accident de voiture en Suisse. Des éclats de verre de son rétroviseur viennent cribler son visage. Les coupures sont profondes. Pour son œil droit, les dégâts sont irréversibles. Aussitôt avertie, la princesse Sirikit se précipite à Lausanne, à son chevet et ne le quitte plus. Là, dans l’intimité la plus totale, une idylle éclot. La princesse et le roi échangent des heures durant sur leur goût pour la musique. Le classicisme de Mozart et de Beethoven les fascine tous deux. Même si le monarque reste avant tout féru de jazz.
Sirikit vient achever ses études à Lausanne. Plus question de vivre l’un sans l’autre. Le 28 avril 1950, leur mariage est célébré au palais Sa Pathum, à Bangkok, une semaine avant le couronnement du roi Bhumibol, Rama IX. Dans une robe de mariée resplendissante, accessoirisée de longs gants blancs, Sirikit est divine. Sa chevelure d’ébène est méticuleusement enroulée autour d’un diadème assorti à une parure de diamants. Elle n’a pas encore 18 ans. Elle est la nouvelle reine de Thaïlande.
Le sens de la famille
De cette union, naissent la princesse Ubolratana, le prince héritier Vajiralongkorn et les princesses Maha Chakri Sirindhorn et Chulabhorn. Seul fils, Vajiralongkorn est particulièrement choyé par la souveraine qui lui voue d’emblée un amour inconditionnel. Qu’importent ses frasques, ses colères, ses divorces et mariages à répétition, son peu d’intérêt pour les affaires du royaume, tout le temps qu’il passe en Allemagne ou en Suisse au lieu d’être auprès de ses concitoyens... Il est son fils, l’héritier de Bhumibol, l’unique.
Et en 2016, à la mort de Rama IX, celle que le Général De Gaulle surnommait "la plus belle reine du monde", use de toute son influence auprès de l’Armée, qui s’est emparée du pouvoir politique deux ans plus tôt, pour que Vajiralongkorn monte bel et bien sur le trône. Malgré les réticences, les inquiétudes de certains généraux qui voyaient dans la princesse Sirindhorn un recours possible.
À n’en pas douter, la reine-mère Sirikit est la femme que Rama X respecte le plus au monde. A chaque visite qu’il lui rend, le monarque s’agenouille devant elle, en gage de sa dévotion. Car elle est bien celle qui l’a fait roi, dont il tire sa légitimité, l’incarnation du règne précédent, celui du roi père de la nation, révéré à l’égal d’un dieu. Elle est l’image vivante de ce temps dont ses concitoyens ont la nostalgie, un temps où rien ne venait ébranler le caractère sacré de la monarchie et de la dynastie chakri. Un temps où sa beauté de déesse rayonnait pour la plus grande fierté des Thaïlandais.
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