Votre Altesse Royale, quel est votre plus ancien souvenir lié à la mode ?
Enfant, je ne m’intéressais pas du tout à la mode. Surprise, n’est-ce pas ! J’ai commencé à aimer tout ce que j’aime par ma grand-mère. Elle m’a enseigné petit à petit. Elle ne voulait pas que je sois styliste, elle voulait que je devienne mécène. Mais je lui ai dit que ce n’était pas possible parce que je suis fâchée avec les chiffres. J’ai découvert la mode vers 16 ans. En fait, j’ai commencé par aimer l’art. L’histoire de l’art, la musique… puis j’ai découvert le lien entre l’art et la mode. Et la mode, c’est la vie, le réel, le mouvement, la couleur, la forme. Il y a là quelque chose de miraculeux. Une image vivante.
Quel était votre regard d’enfant sur les tenues de la reine Sirikit, icône de la mode, habillée par Pierre Balmain ?
Elle a son propre style, vraiment magique. Elle parvient à tout marier. L’allure européenne avec la tradition thaïe, comme les bijoux. Enfant, je la voyais avec Monsieur Erik Mortensen, pour la maison Balmain, qui venait faire les essayages avec elle. Et j’adorais parler avec lui. Cela s’est fait sans y penser. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, en vivant au quotidien avec ma grand-mère, comme elle m’a appris à m’asseoir ou à déguster mon premier café. Je l’ai vue rencontrer beaucoup de gens, comme des grands couturiers, j’ai découvert des créations réalisées pour elle par Erik Mortensen avec de la soie thaïe. Elle a aussi été habillée par d’autres stylistes, elle associait, mélangeait mais elle a toujours gardé son propre style.
Qu’avez-vous justement conservé de son style ?
L’image, le souvenir. L’élégance. Elle parle français aussi, nous le parlons un peu ensemble. Elle joue du piano. Et j’aime la façon dont elle travaille avec les gens, dont elle les aide. Adolescente, je n’aimais pas les cours d’été, alors j’avais conclu un accord avec mon père pour l’organisation de mes grandes vacances. Deux semaines avec ma grand-mère, une semaine badminton et équitation et une semaine de cours particuliers.

Qu’est-ce qui vous a poussée à créer votre propre marque en 2005, à 18 ans à peine ?
J’étais très jeune, très naïve et il en est sorti de bonnes choses mais aussi de moins bonnes. Je voulais créer ma propre société, construire mon propre rêve, avoir ma propre dynamique avec l’art et je ne m’intéressais en rien à l’aspect business et marketing. Je voulais exprimer la façon dont je pensais, la façon dont je voulais développer mon art et le faire vivre dans l’univers de la mode. Je dois remercier mes amis les stylistes thaïs qui m’ont enseigné le métier sur le terrain, m’ont permis d’apprendre vite. Il y a des choses pour lesquelles j’étais trop jeune mais travailler tôt m’a rendue plus forte, m’a aidée à gagner en maturité, à me trouver moi-même.
Quelle est la ligne directrice de votre marque, sa particularité ?
L’idée est d’abord de faire vivre ma maison, mon rêve. Et puis j’avais vu des griffes asiatiques reconnues, au Japon, en Corée, pourquoi pas en Thaïlande ? Nous avons de très bons stylistes, une culture et un art singuliers, une dynamique positive, du succès. Je voulais défendre et promouvoir mon pays. Nous avons un excellent savoir-faire, des textiles remarquables mais nous avons besoin de nous développer en Occident.
Comment mariez-vous cet art, ces talents thaïlandais avec le goût occidental pour avoir cette dimension internationale ?
Question difficile. Rien ne doit être plaqué, artificiel. L’artisanat thaï, comme la broderie, vient apporter ses touches subtiles à mes créations, au style qui m’est propre. Le drapé aussi est quelque chose qui me vient de mon pays. Il s’agit avant tout d’une réinterprétation et la génération actuelle a besoin de se sentir bien dans ses vêtements. Tout le monde travaille, à commencer par les femmes. Elles ont besoin d’une mode féminine mais qui dit aussi leur force, leur pouvoir. L’identité est aussi une réinterprétation, une appropriation.
Comment s’appelait votre toute première collection ? Cela fait longtemps, non ?
C’est comme un vieux film. La collection 2005 s’appelait Viva Victorian. J’adore interpréter mon travail à travers l’histoire et le cinéma, l’image. Là j’avais été inspirée par le film Gangs of New York. J’ai marié cela avec un style victorien qui aurait basculé un peu dans le grunge. C’était très amusant, c’était l’insouciance, la liberté totale. Aujourd’hui, je dois aussi penser à vendre, être un peu plus sage. Mais pas trop.
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Comment s’organise le travail avec vos équipes ?
Je vais rester en France pendant six mois. Et trois jours par semaine je vais aller à Francfort m’entraîner pour le concours complet avec une équipe professionnelle. Mais j’emporte mon carnet de croquis partout avec moi. Je cherche d’abord l’idée, je dessine, je cherche le tombé, le drapé, je fais tout le travail de conception et j’envoie à mes équipes en Thaïlande. Où je vais moi-même passer une ou deux semaines à mon bureau. Et tous les vendredis, nous avons des réunions en vidéoconférence. Dans six mois, je rentrerai pour de bon à Bangkok. La marque SIRIVANNAVARI compte une soixantaine de collaborateurs entre les couturières, la broderie, les tailleurs, les bijoux, les accessoires, la maroquinerie, les collections pour hommes…
Comment préparez-vous les nouvelles collections ?
La première chose, c’est l’image. Pour moi, tout passe par là. Quand je vois, je ressens. Je cherche en moi-même la couleur qui va me guider, la direction qui m’intéresse, l’idée maîtresse qui va tisser une cohérence. Si cela ne m’apparaît pas clairement, je dois retourner à mon carnet de croquis. Je cherche de nouveau des images qui vont déclencher une émotion en moi, je dessine, je dessine. Quand tout est clair dans mon esprit, je peux préparer, me lancer. Je prépare tout moi-même.
En quoi la collection que vous présentez aujourd’hui à Paris ouvre-t-elle un nouveau chapitre dans l’histoire de votre marque à l’international ?
Vous savez, c’est un vrai défi pour moi d’être de retour ici. Mes mains tremblent, mon cœur bat la chamade. J’ai dû sortir deux collections en même temps. Je viens de présenter à Bangkok le prêt-à-porter printemps-été, il y a quelques jours à peine. C’était dur. Et puis cela fait longtemps que je n’ai plus rien présenté à l’étranger. Je suis très nerveuse mais cela me passionne, j’ai imaginé une garde-robe propre à exalter le caractère à la fois fort et indépendant de la femme. Sans rien renier de sa féminité. Cette double identité, c’est mon ADN.
Qu’attendez-vous de cette présentation ? Quelles réactions ?
Je ne sais pas. Du positif, du négatif, je m’attends à tout. J’espère juste faire savoir aux gens que je suis de retour, que je ne suis pas la même qu’avant, en 2008, lors de ma dernière présentation à Paris. Je suis là pour rester, tout en ayant conscience que cela demandera du temps pour installer la marque SIRIVANNAVARI. J’ai étudié ici. Paris est ma seconde maison, j’ai travaillé pour Ferragamo, Bulgari, Armani. C’était fabuleux. Et puis je suis retournée en Thaïlande, j’ai étudié l’impression de kimonos à Kyoto.

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