Ne lui dites pas qu’il est instagrameur ; Hugo Spini déteste ça. "Je suis créateur de contenus dans le milieu culturel", sourit le jeune homme, très sollicité, entre deux vernissages. "Je parle d’art, de culture, de musées, avec un ton qui m’est personnel, décalé, que j’espère drôle et accessible. J’essaie de pousser les gens à franchir la porte des musées et des galeries." Une patte qui a déjà conquis 12 000 abonnés et n’en finit plus de séduire les médias traditionnels. Après Télématin sur France 2, Hugo Spini a eu les honneurs du Journal de 13 heures sur TF1.

La recette d’un tel succès ? Un goût du détournement, une lecture irrévérencieuse, très osée, de l’histoire de l’art. Sur son compte, la statuaire grecque n’en finit pas de se dénuder. "Ce n’est pas moi qui suis kinky [lubrique, en anglais], c’est l’histoire de l’art qui l’est !", se défend l’auteur, dans un nouvel éclat de rire. Avant de préciser : "J’évite d’être trop trash." Trash ou pas, les musées en redemandent. À l’exemple de l’hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, qui a confié au jeune homme le soin de réaliser de courtes vidéos pour sa dernière exposition. "On aimait beaucoup son ton décalé, humoristique, mais toujours très juste, et sa façon d’éclaircir un propos", raconte Chloée Pasquier, en charge des réseaux sociaux de Culturespaces, gestionnaire du lieu. "Au-delà du ton, il y a aussi l’audience. À l’hôtel de Caumont, Hugo nous a permis de toucher un public plus large et beaucoup plus jeune."
Toucher les jeunes, voilà l’obsession des musées. Dans cette quête sans fin, les influenceurs deviennent des alliés de poids. Tout le monde l’a bien compris, les institutions modestes comme les mastodontes, à l’exemple du château de Versailles, présent sur Instagram depuis 2015 et sur TikTok depuis novembre 2020. Qu’importe si le domaine de Versailles est gratuit pour les moins de 18 ans du monde entier et les moins de 26 ans de l’Union européenne. Les visiteurs gratuits d’aujourd’hui ne sont-ils pas les visiteurs payants de demain ? "Ponctuellement, il nous arrive de travailler avec des influenceurs culturels", reconnaît Paul Chaine, chef du service des développements numériques. "Dans ce monde, il y a énormément de profils différents. On privilégie ceux qui ont des communautés en affinité avec les nôtres, sans être strictement les mêmes. Quel est l’intérêt de toucher des gens qui nous suivent déjà ? On cherche une ligne différente. Pour parler à d’autres publics, mais aussi parler de manière différente."
"Je ne veux pas vivre d'Instagram. C'est trop précaire"
Bien sûr, plus l’audience est large, plus l’influenceur a de poids. En France, Camille Jouneaux est la plus connue avec son compte Instagram La Minute Culture, suivi par 145 000 abonnés. À l’origine, la jeune femme n’est pourtant pas du sérail. Après dix ans passés dans une agence de communication spécialisée dans les réseaux sociaux, elle cherche à changer de voie. "Pousser les gens à la consommation, je voyais bien qu’il y avait quelque chose qui clochait avec mes valeurs personnelles", nous confie-t-elle.

Un passage chez Google Arts & Culture la rapproche de ses centres d’intérêt, mais le poste qu’elle occupe n’a rien de très créatif. Un voyage va tout changer. "Je pars en vacances en Italie, et je me mets à Instagramer ma vie au musée en faisant des blagues. Cela amuse énormément mes amis qui me conseillent de continuer." L’idée de La Minute Culture va germer peu à peu. Avant d’être officiellement lancée en février 2019. Le succès est quasi immédiat... et l’emprise d’Instagram – filiale de Meta, qui possède Facebook – est totale. "Je ne veux pas vivre seulement d’Instagram", précise aujourd’hui Camille Jouneaux, qui, forte de sa notoriété, s’apprête à publier son deuxième livre et anime une chronique sur Europe 1. "C’est trop précaire. Je ne veux pas dépendre d’une plate-forme dont je ne maîtrise pas les règles. Ce n’est souhaitable pour personne." Même constat pour Hugo Spini : "Est-ce que du jour au lendemain, notre activité ne va pas s’arrêter ? Est-ce qu’Instagram ne va pas passer demode ? Ou tout simplement, est-ce que notre compte ne va pas être censuré ou piraté ? Ce serait perdre tout notre travail d’un coup."
Pour pérenniser son activité, Antoine Vitek, créateur de Culturez-vous, a fait le choix de diversifier sa présence en ligne. "Culturez-vous, c’est aujourd’hui un site Internet, avec 120 000 pages vues par mois, et 300 000 abonnés tous réseaux confondus : Instagram, Twitter, Facebook, LinkedIn, TikTok et même Pinterest. Finalement, c’est une sorte de média avec la particularité que je suis le seul à le gérer."
Voir cette publication sur InstagramUne formule qui séduit les offices de tourisme, trop heureux de faire la promotion de leurs destinations. "Ma force c’est mon site Internet. C’est un contenu qui reste. Sur Instagram, une story disparaît au bout de 24 heures. Sur mon site, mes articles sont référencés." Reste à savoir combien les régions et les collectivités sont prêtes à débourser pour cette publicité qui s’assume. Antoine Vitek, comme tous les influenceurs rencontrés, ne communique pas ses tarifs. "Je suis toujours moins cher qu’une campagne d’affichage dans le métro", avance-t-il néanmoins.
Des tarifs très loin de ceux pratiqués par les influenceurs de la téléréalité
L’argent serait-il tabou ? Quel est le coût de ces "collab" (collaborations), déclinables en toutes saisons sur nos smartphones ? "La plupart des influenceurs facturent au temps passé", nous renseigne un spécialiste du secteur. À l’image du conseil en entreprise. En moyenne, comptez de 200 à 600 euros par jour. Loin, très loin des sommes déboursées par les marques pour s’offrir les services des influenceurs de la téléréalité, suivis, eux, par des millions de fans. "Je ne gagne pas ma vie avec Instagram", nous explique Sébastien Bagot, à la tête d’un compte spécialisé dans les châteaux et le petit patrimoine.
Voir cette publication sur InstagramCe qui n’empêche pas certaines marques de l’approcher pour tenter de capter son audience. "L’essentiel des produits que je fais connaître à mes abonnés sont des produits que j’utilise, qui me plaisent, et qui me sont offerts", précise l’influenceur, qui se décrit comme un passionné d’architecture, un amoureux de la vie de château. L’appât du gain n’est d’ailleurs pas né avec les réseaux sociaux. Il y a quinze ans, les annonceurs faisaient déjà les yeux doux... aux blogueurs ! "C’était l’âge d’or des blogs : nous étions extrêmement lus. On avait un million de lecteurs par mois. C’était dingue !", se souvient Louise Ebel, qui se présente comme "un dinosaure d’Internet". Aujourd’hui à la tête, elle aussi, d’un compte Instagram, qui allie culture et mode, la jeune femme a mis du temps à s’adapter à ce nouvel écosystème, à passer de l’écrit à l’image. Sur ses publications, cette dernière se met en scène dans les intérieurs du musée Carnavalet, au château de Nemours ou à l’hôtel de Bourrienne.

Des clichés "ultra-esthétiques", comme elle aime à les décrire. "Je travaille avant tout par passion et donc pour le plaisir. Les collaborations payantes sont surtout avec les marques de...
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