En immersion sur le chantier de restauration des tableaux de Notre-Dame

Présents dans la cathédrale durant l’incendie ravageur, ils ont miraculeusement échappé aux flammes. Rapidement évacués, vingt-deux tableaux, dont treize Mays, se font une nouvelle beauté dans les mains de restaurateurs, avant de retrouver l’écrin de Notre-Dame pour sa réouverture en 2024. Reportage dans les coulisses de ce chantier d’exception.

Par Hermance Murgue - 21 mars 2022, 07h00

 Dans un hangar de l’Essonne, les vingt-deux tableaux de Notre-Dame retrouvent leur éclat.
Dans un hangar de l’Essonne, les vingt-deux tableaux de Notre-Dame retrouvent leur éclat. © Julio Piatti

Derrière une imposante porte noire, ils trônent en majesté au sein de l’atelier de restauration aux murs blancs immaculés. Cinq tableaux de Notre-Dame de Paris cristallisent toutes les attentions dans cette immense salle de dix mètres de hauteur où règne une ambiance studieuse, détendue, loin de l’atmosphère d’apocalypse du 15 avril 2019. Ce jour-là, alors que le feu ravage la cathédrale, ces toiles, exposées dans les chapelles, échappent miraculeusement aux flammes, avant d’être évacuées dans les jours suivants. 

Les équipes de restauration manipulent avec une extrême prudence les chefs-d'oeuvre de Notre-Dame de Paris.
Un système de grilles coulissantes permet de stocker les tableaux en réserve en attendant leur restauration. C’est avec la plus grande minutie qu’ils sont manipulés par une équipe de professionnels, rompue à l’exercice. © Julio Piatti

Si aucun dégât n’est à déplorer, la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France (Drac), maître d’ouvrage de ce chantier, saisit l’occasion pour lancer une vaste opération de restauration dont le terme est prévu fin 2023. "C’était une opportunité unique", reconnaît Marie-Hélène Didier, conservatrice générale du patrimoine à la Drac. "La plupart de ces tableaux n’avaient pas été restaurés depuis les années 1960 : ils ont subi un vieillissement naturel, un encrassement dû, entre autres, au nombre élevé de visites au sein de Notre-Dame."

Un travail minutieux pour restaurer ces chefs-d'oeuvre

Lampe ultraviolet à la main et casque de protection sur la tête afin d’éviter l’inhalation de solvants, Frédéric Pellas, restaurateur indépendant, s’affaire sur le tableau du peintre français Nicolas Loir, Saint Paul aveugle le faux prophète Bar-Jésus et convertit le proconsul Sergius. Débuté 15 jours plus tôt, le nettoyage de l’œuvre, première étape consistant notamment à retirer les couches de vernis qui ont jauni, s’apparente ici à un vrai défi. "Le travail est rendu difficile car le tableau a été peint et repeint à plusieurs reprises au niveau de la partie basse. On sait quand on commence, on ne sait jamais quand on termine", ironise le spécialiste, épaulé dans sa tâche par deux consœurs.

Saint Pierre guérissant les malades de son ombre, un des tableaux de Notre-Dame de Paris, en cours de restauration.
Pas moins de quatre salariés sont nécessaires pour déplacer un May d’un atelier à un autre, comme ici avec l’œuvre de Laurent de La Hyre, Saint Pierre guérissant les malades de son ombre, peint en 1635. © Julio Piatti

Cette huile sur toile fait partie des vingt-deux tableaux exposés à l’intérieur de Notre-Dame jusqu’à l’incendie, désormais entre les mains expertes d’une quarantaine de restaurateurs dans l’Essonne. Parmi eux figurent 13 Mays, ces toiles aux dimensions hors norme offertes chaque année — au mois de mai — à la cathédrale par la confrérie des Orfèvres, de 1630 à 1707. Leurs auteurs, Nicolas Loir, Jacques Blanchard, Laurent de La Hyre, Charles Le Brun ou encore Charles Poërson, comptent parmi la fine fleur des artistes du XVIIe siècle.

Nettoyage de La Prédication de saint Pierre à Jérusalem, un des Mays de Notre-Dame de Paris actuellement en restauration dans l'Essonne.
Pauline Lascourrèges et Sidonie Dewambrechies s'occupent du May signé Charles Poërson. © Julio Piatti

C’est sur une œuvre de ce dernier, baptisée La Prédication de saint Pierre à Jérusalem, que s’activent Pauline Lascourrèges et Sidonie Dewambrechies. Munies de bâtonnets recouverts de coton, les deux restauratrices peaufinent le nettoyage en appliquant notamment un gel spécial. "Il reste des zones opaques qui nuisent à la visibilité de l’œuvre", remarque la première depuis son escabeau métallique. "Petit à petit, le gel se teinte en orange et permet de retirer ce qui n’a pas pu l’être avant." Le duo de restauratrices paraît bien petit face à cette œuvre gigantesque de 3,25 mètres sur 2,60 mètres, accrochée, comme les autres, à une énorme grille verte. On est loin du chevalet, habituellement utilisé dans ce type d’exercice !

"C’est un vrai privilège"

Un hangar a été spécialement aménagé pour accueillir ce chantier hors du commun, qui s’étend sur 3000 mètres carrés. Un trésor inestimable nécessitant des conditions de conservation très spécifiques. Dans la salle de stockage des œuvres, une immense structure métallique composée de grilles coulissantes a été installée pour ranger les tableaux, tout comme un système de contrôle d’humidité de l’air et de la température. Et, plus surprenant, des pièges à insectes dont la présence pourrait endommager les œuvres.

Chantier de restauration des tableaux de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Les cadres des œuvres s’offrent eux aussi une seconde jeunesse. © Julio Piatti

Dans l’atelier de restauration, il n’y a pas une minute à perdre : une fois l’étape du décrassage et du nettoyage terminée, une analyse approfondie du support et de la couche picturale est lancée. Objectif : voir les lacunes des tableaux et savoir où intervenir précisément. Certaines zones auront besoin d’être remises à niveau avec de l’enduit. Viendra enfin l’étape du vernissage et des retouches, appelée "réintégration", permettant de combler les manques.

Il n’y a pas que les tableaux qui s’offrent ici une seconde jeunesse, il y a aussi leurs cadres. Jean-Pierre Galopin, restaurateur de mobilier, scrute celui entourant l’œuvre de Gabriel Blanchard, Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice. Deux semaines complètes lui seront nécessaires pour restaurer la structure. "Ce n’est pas rien de travailler pour Notre-Dame. C’est un vrai privilège, il ne faut pas gâcher ça", confie le professionnel avec émotion. Autour de lui, quatre postes de travail ont été installés, permettant la restauration simultanée de quatre tableaux.

Pour certains Mays, les restaurateurs doivent revêtir des protections spéciales.
Le nettoyage du May de Nicolas Loir nécessite une protection spéciale. © Julio Piatti

Chiffré à 1,140 million d’euros, le coût du chantier sera financé en grande partie par la souscription nationale, lancée dans la foulée de l’incendie. Pour voir le résultat final, il faudra se rendre à Notre-Dame lors de sa réouverture, prévue en avril 2024. Les tableaux y auront repris leur place. Comme si ce drame n’avait été qu’une courte parenthèse dans leurs quatre siècles d’existence.

Connectez-vous pour lire la suite

Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters

Continuer

Ou débloquez l'intégralité des contenus Point de Vue

Pourquoi cet article est-il réservé aux abonnés ?

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

Notre-Dame de Paris

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement