Derrière une imposante porte noire, ils trônent en majesté au sein de l’atelier de restauration aux murs blancs immaculés. Cinq tableaux de Notre-Dame de Paris cristallisent toutes les attentions dans cette immense salle de dix mètres de hauteur où règne une ambiance studieuse, détendue, loin de l’atmosphère d’apocalypse du 15 avril 2019. Ce jour-là, alors que le feu ravage la cathédrale, ces toiles, exposées dans les chapelles, échappent miraculeusement aux flammes, avant d’être évacuées dans les jours suivants.

Si aucun dégât n’est à déplorer, la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France (Drac), maître d’ouvrage de ce chantier, saisit l’occasion pour lancer une vaste opération de restauration dont le terme est prévu fin 2023. "C’était une opportunité unique", reconnaît Marie-Hélène Didier, conservatrice générale du patrimoine à la Drac. "La plupart de ces tableaux n’avaient pas été restaurés depuis les années 1960 : ils ont subi un vieillissement naturel, un encrassement dû, entre autres, au nombre élevé de visites au sein de Notre-Dame."
Un travail minutieux pour restaurer ces chefs-d'oeuvre
Lampe ultraviolet à la main et casque de protection sur la tête afin d’éviter l’inhalation de solvants, Frédéric Pellas, restaurateur indépendant, s’affaire sur le tableau du peintre français Nicolas Loir, Saint Paul aveugle le faux prophète Bar-Jésus et convertit le proconsul Sergius. Débuté 15 jours plus tôt, le nettoyage de l’œuvre, première étape consistant notamment à retirer les couches de vernis qui ont jauni, s’apparente ici à un vrai défi. "Le travail est rendu difficile car le tableau a été peint et repeint à plusieurs reprises au niveau de la partie basse. On sait quand on commence, on ne sait jamais quand on termine", ironise le spécialiste, épaulé dans sa tâche par deux consœurs.

Cette huile sur toile fait partie des vingt-deux tableaux exposés à l’intérieur de Notre-Dame jusqu’à l’incendie, désormais entre les mains expertes d’une quarantaine de restaurateurs dans l’Essonne. Parmi eux figurent 13 Mays, ces toiles aux dimensions hors norme offertes chaque année — au mois de mai — à la cathédrale par la confrérie des Orfèvres, de 1630 à 1707. Leurs auteurs, Nicolas Loir, Jacques Blanchard, Laurent de La Hyre, Charles Le Brun ou encore Charles Poërson, comptent parmi la fine fleur des artistes du XVIIe siècle.

C’est sur une œuvre de ce dernier, baptisée La Prédication de saint Pierre à Jérusalem, que s’activent Pauline Lascourrèges et Sidonie Dewambrechies. Munies de bâtonnets recouverts de coton, les deux restauratrices peaufinent le nettoyage en appliquant notamment un gel spécial. "Il reste des zones opaques qui nuisent à la visibilité de l’œuvre", remarque la première depuis son escabeau métallique. "Petit à petit, le gel se teinte en orange et permet de retirer ce qui n’a pas pu l’être avant." Le duo de restauratrices paraît bien petit face à cette œuvre gigantesque de 3,25 mètres sur 2,60 mètres, accrochée, comme les autres, à une énorme grille verte. On est loin du chevalet, habituellement utilisé dans ce type d’exercice !
"C’est un vrai privilège"
Un hangar a été spécialement aménagé pour accueillir ce chantier hors du commun, qui s’étend sur 3000 mètres carrés. Un trésor inestimable nécessitant des conditions de conservation très spécifiques. Dans la salle de stockage des œuvres, une immense structure métallique composée de grilles coulissantes a été installée pour ranger les tableaux, tout comme un système de contrôle d’humidité de l’air et de la température. Et, plus surprenant, des pièges à insectes dont la présence pourrait endommager les œuvres.

Dans l’atelier de restauration, il n’y a pas une minute à perdre : une fois l’étape du décrassage et du nettoyage terminée, une analyse approfondie du support et de la couche picturale est lancée. Objectif : voir les lacunes des tableaux et savoir où intervenir précisément. Certaines zones auront besoin d’être remises à niveau avec de l’enduit. Viendra enfin l’étape du vernissage et des retouches, appelée "réintégration", permettant de combler les manques.
Il n’y a pas que les tableaux qui s’offrent ici une seconde jeunesse, il y a aussi leurs cadres. Jean-Pierre Galopin, restaurateur de mobilier, scrute celui entourant l’œuvre de Gabriel Blanchard, Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice. Deux semaines complètes lui seront nécessaires pour restaurer la structure. "Ce n’est pas rien de travailler pour Notre-Dame. C’est un vrai privilège, il ne faut pas gâcher ça", confie le professionnel avec émotion. Autour de lui, quatre postes de travail ont été installés, permettant la restauration simultanée de quatre tableaux.

Chiffré à 1,140 million d’euros, le coût du chantier sera financé en grande partie par la souscription nationale, lancée dans la foulée de l’incendie. Pour voir le résultat final, il faudra se rendre à Notre-Dame lors de sa réouverture, prévue en avril 2024. Les tableaux y auront repris leur place. Comme si ce drame n’avait été qu’une courte parenthèse dans leurs quatre siècles d’existence.
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