À la découverte des derniers secrets du Titanic

Ce 15 avril marque le 110e anniversaire du naufrage du mythique paquebot, annoncé comme insubmersible et qui gît par 3800 m de fond dans l’océan Atlantique. Dans un livre aux détails savoureux, le directeur des recherches sous-marines raconte les prouesses techniques que son équipe a mises en œuvre pour remonter les milliers d’objets, témoins muets du drame qui a coûté la vie à 1500 personnes. Interview.

Par Angélique d'Erceville - 19 avril 2022, 10h17

 L'explorateur Paul-Henri Nargeolet.
L'explorateur Paul-Henri Nargeolet. © Pierre Ambato avec RMS Titanic

Comment un garçon de Chamonix se retrouve plongeur sur l’épave du Titanic

PAUL-HENRI NARGEOLET. En réalité, je n’ai pas vécu très longtemps dans les Alpes. Rapidement, mes parents se sont installés au Maroc. C’est à Casablanca que j’ai effectué mes premières plongées, en suivant des hommes qui exploraient une épave au large de la plage. J’avais 9 ans. Plus tard, j’ai intégré l’École navale, puis j’ai rejoint la Marine nationale. À 40 ans, l’Ifremer m’a débauché pour devenir responsable des opérations sur le Titanic. Le 24 juillet 1987, lorsque nous plongeons pour la première fois, l’équipe de Bob Ballard a déjà découvert l’épave et pris des images du paquebot transatlantique. Mais elles ont été faites par des robots guidés depuis la surface. Notre équipe est la première à plonger sur l’épave à 3800 mètres de profondeur et à en remonter des objets — 1892 au total, pour cette première expédition. 

L'épave du Titanic.
L'épave du mythique Titanic photographiée par Paul-Henri Nargeolet. © Collection personnelle

Qu’est-ce que cette expérience a changé dans votre vie ?

Explorer le Titanic, c’est le graal des chasseurs de trésor. Ce naufrage passionne les gens. Raconter que j’ai plongé sur cette épave et prononcer le nom du Titanic, c’est comme dire une formule magique qui ouvre toutes les portes. J’ai même emmené l’astronaute Buzz Aldrin dans notre sous-marin. Quand nous avons approché de l’épave, il a eu l’impression qu’on allait alunir. Selon lui, rien ne ressemble plus au sol lunaire que les sédiments des fonds marins. "C’est ce que j’ai fait de plus excitant depuis ma promenade sur la Lune", m’a-t-il confié en remontant. 

Paul-Henri Nargeolet, qui a dirigé l’exploration de l’épave, fait partie des rares initiés autorisés à pénétrer dans ce saint des saints.
Quand ils ne sont pas exposés dans les musées à travers le monde, les objets remontés de l’épave sont conservés dans un lieu tenu secret, aux États-Unis. Paul-Henri Nargeolet fait partie des rares initiés autorisés à pénétrer dans ce saint des saints.© Pierre Ambato avec RMS Titanic

La superproduction avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet a contribué à construire la légende autour de ce drame. L’histoire est-elle réaliste ? 

Le film de James Cameron a amplifié le mythe. L’histoire du Cœur de l’Océan, ce diamant bleu qui aurait été perdu dans le naufrage du transatlantique, est une pure invention, mais la reconstitution du sinistre est très réaliste. 

Quels défis techniques avez-vous relevés pour ces fouilles inédites ?

À cette profondeur, tout est complexe du fait de la pression. Pourtant, à chaque difficulté, nos ingénieurs trouvaient des solutions. Ils ont mis au point une panoplie d’outils incroyables : une ventouse, une pelle, un rack, des fourches, des paniers ascenseurs… Au sol, l’acidité des sédiments est telle qu’elle peut grignoter les objets. Je me souviens d’une paire de jumelles que nous voulions ramasser. Dès que le bras du sous-marin l’a effleurée, elle s’est évanouie. D’apparence intacte, elle n’était plus que le fantôme d’un passé disparu. 

Paul-Henri Nargeolet discute avec le directeur des collections, Jeffrey Taylor.
Par ses détails ou ses stigmates, chaque objet provenant de l’insubmersible paquebot britannique raconte une histoire, comme ce lustre vrillé par la violence du choc dont le plongeur discute avec le directeur des collections, Jeffrey Taylor. © Pierre Ambato avec RMS Titanic

Vous avez aussi eu le privilège de percevoir "l’ultime parfum du Titanic"… 

Un jour, nous avons remonté une bouteille de champagne qui avait encore son bouchon. À peine était-elle posée sur le pont du bateau que le gaz a commencé à s’échapper. J’ai pris la bouteille dans mes mains pour éviter qu’elle ne se vide. Pendant que j’essayais de poser du papier collant pour maintenir le bouchon, une odeur de champagne a commencé à se répandre sur tout le bateau. C’est un souvenir incroyable, comme si on avait senti le parfum du Titanic. Ensuite, les gars m’ont demandé de goûter le liquide qui s’était écoulé. Là, en revanche, ça avait juste le goût d’eau de mer !

Au fond de l’Océan, vous découvrez un décor fantomatique, figé pour l’éternité, et un incroyable bric-à-brac d’objets tombés du Titanic. Quelles trouvailles vous ont le plus marqué ? 

Il y a eu des déceptions, comme un coffre-fort, sans rien d’important. Puis cette incroyable sacoche à la Mary Poppins. Nous sommes passés devant à de multiples reprises, et ses anses coupées net nous titillaient. Un jour, un des plongeurs a craqué et remonté le sac. C’est moi qui l’ai ouvert. J’en ai d’abord sorti une bouteille en verre blanc, puis une chemise et en dessous… un empilement d’écrins à bijoux. Tout au fond, des liasses de billets et des pièces d’or. S’agissait-il du contenu d’un coffre-fort transféré à la hâte ? Nous ne saurons jamais. Mais ce sac, qui porte le numéro 103 à l’inventaire, reste à ce jour le seul trésor connu du Titanic.

Paul-Henri Nargeolet a fait ses classes sur un Griffon de la Marine nationale.
Avant le Nautile de 1987, l’auteur a fait ses classes sur un Griffon de la Marine nationale. © Collection personnelle

N’avez-vous pas été tenté de garder quelques-unes de vos trouvailles pour vos petits-enfants ?

Rien de rien. Je n’ai jamais rien pris, contrairement à ce qu’on a voulu faire croire. Au contraire, j’étais comme un chien de garde pour les objets, qui étaient rangés dans un container protégé par deux cadenas.

Ce n’est pas la seule controverse qui a entouré les recherches…

Le Titanic rime avec polémique, car l’épave est mythique. Avant de plonger, notre équipe emmenée par l’Ifremer et la société américaine RMS Titanic Inc. s’était fixée des règles de conduite : pas question de toucher à l’épave ni de ramasser des effets personnels. Malgré ces précautions, beaucoup ont voulu nous faire passer pour des pilleurs de tombes. La société a dépensé une fortune en batailles juridiques.

Pour approcher l’épave, les plongeurs utilisent des sous-marins de plus en plus performants.
Pour approcher l’épave, les plongeurs utilisent des sous-marins de plus en plus performants. Désormais, les Tritons peuvent emmener des touristes sous-marins. © Collection personnelle

Quelle est la réglementation applicable aux trésors remontés ? 

L’épave se trouve dans les eaux internationales. Elle a été abandonnée par son propriétaire, puis par les assurances. C’est donc la loi maritime qui s’applique : chacun peut remonter ce qu’il trouve et en devient le sauveur, "the salvor of property". Si un propriétaire le réclame, celui-ci doit indemniser le sauveur à hauteur de l’effort fourni pour sa récupération. Pour le Titanic, l’addition des sept expéditions s’élève à 225 millions de dollars. En revanche, la valeur réelle du trésor reste inconnue : comme nous nous sommes interdit de vendre quoi que ce soit, aucun commissaire-priseur n’a jamais évalué les objets. La seule chose qui ait été commercialisée c’est le charbon, car c’est un produit non manufacturé. Certains de ces cailloux pesaient jusqu’à cinquante kilogrammes. Une fois débités en petits morceaux, ils ont été vendus. J’en ai acheté un, c’est le seul objet du Titanic que je possède.

Paul-Henri Nargeolet, en 2000, avec d’autres passionnés du Titanic et plongeurs aguerris.
En 2000, Paul-Henri Nargeolet prend la pose à la Seyne-sur-Mer avec d’autres passionnés du Titanic et plongeurs aguerris, l’équipe du réalisateur James Cameron. © Collection personnelle

Le paquebot a-t-il livré tous ses secrets ? 

On sait que les conclusions de la commission d’enquête sont largement inexactes. La coque n’a pas été percée sur une centaine de mètres et le navire n’a pas coulé d’un bloc. Au fil de nos plongées, nous avons apporté la preuve que la coque s’était brisée en quatre morceaux. Mais il reste encore des mystères que j’ai envie d’élucider. La théorie de l’iceberg qui a donné un coup de griffe mortel me satisfait, mais j’aimerais la confirmer en observant de mes yeux les brèches dans la coque. Je voudrais aussi ouvrir l’énorme chambre forte du bateau, inaccessible pour nos engins de fouille. Il...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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