Le 1er juin 2021 est à marquer d’une pierre blanche. Après des années difficiles et l’amorce d’un démembrement, l’horizon s’éclaircit enfin pour le "Chambord lorrain", chef-d’œuvre d’art classique imaginé en 1720 par l’architecte Germain Boffrand, au sud de Nancy.
Fin mars, la princesse Minnie de Beauvau-Craon et son fils Sebastian ont signé un partenariat avec le Centre des monuments nationaux (CMN) pour lui confier la gestion du lieu et l’organisation des visites et événements sur le domaine. Habitué à gérer des sites de renom comme l’Arc de triomphe ou le Panthéon, le CMN est un partenaire solide qui doit permettre de redresser rapidement la fréquentation et les comptes du château.

C’est d’ailleurs un ancien administrateur du Mont-Saint-Michel et du palais du Tau à Reims, Jean- Marc Bouré, qui prendra la direction des opérations. "Nous allons décharger la famille d’une responsabilité qu’elle avait de plus en plus de mal à assurer", détaille Philippe Bélaval, président du CMN. "Mais les Beauvau-Craon restent intégralement propriétaire des lieux : ils conservent la responsabilité et la charge financière en termes d’entretien et restauration du monument."
"C’est un immense soulagement car nous avons réussi à sauver Haroué", confie de son côté la princesse de Beauvau-Craon. "Je suis depuis mes 29 ans, âge auquel j’ai hérité de la responsabilité du domaine, une professionnelle du cœur ; mais nous avions atteint les limites de l’exercice, et je suis très fière de voir désormais Haroué figurer auprès des lieux magnifiques dont le CMN a la charge."
Un nouveau modèle d'exploitation des lieux
Ces dernières années, l’offre de visites s’était en effet étiolée. Avec des jours et horaires d’ouverture de plus en plus réduits, la fréquentation a diminué de moitié. Et les grandes expositions organisées avec la complicité d’Hubert de Givenchy ou la tenue de manifestations comme le festival Opéra en plein air appartiennent désormais à la glorieuse légende des lieux. Aucun événement de ce type ne s’est plus tenu au château depuis bien longtemps.

Après trois années d’âpres discussions, l’accord détaille le modèle économique qui doit permettre de remettre le domaine à flot. La convention établit notamment quelles parties du monument seront ouvertes à la visite et les ailes réservées à la famille. Elle stipule également les modalités financières de ce partenariat d’un nouveau genre, mêlant établissement public et domaine privé. En résumé, la princesse confie l’exploitation des lieux à l’institution, qui, en échange, lui versera une redevance, c’est-à-dire une sorte de loyer.
Le montant et la fréquence du versement n’ont toutefois pas été divulgués. Mais il est acquis que le CMN devra dans un premier temps investir un gros billet pour ouvrir le château dans de bonnes conditions. Il faut financer les travaux de création d’une billetterie, l’aménagement et la mise aux normes des espaces d’accueil. Il faudra ensuite définir une offre de visite suffisamment attractive pour faire venir en Lorraine un public plus nombreux.

Après des années difficiles, la famille s’était résolue à se séparer d’une partie des meubles du château, organisant en 2005 et 2015 deux grandes ventes aux enchères de ses trésors – méthode assez peu appréciée par les défenseurs du patrimoine. De profonds désaccords entre les Beauvau et la rue de Valois sont d’ailleurs nés de ces ventes. Mais au-delà de ces dissensions, le château présente effectivement un décor relativement austère à ce jour. Si le retour à Haroué des objets achetés par l’État et actuellement exposés au château de Maisons-Laffitte n’est pas à l’ordre du jour, la convention marque un début de réconciliation.
"Ne parlons pas toujours des ventes du passé, car c’est un choix que l’on ne fait jamais par plaisir", signale la maîtresse des lieux, qui souhaite au contraire souligner les fortes amitiés qui ont permis de faire aboutir les négociations. "Sans le soutien éclairé d’Alain Missoffe et de Françoise de Panafieu, tous deux lorrains et très attachés à ce lieu, et l’implication de Philippe Bélaval et de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, rien n’aurait été possible." Le directeur du Centre des monuments nationaux précisant, quant à lui : "L’accord prévoit que nous puissions déposer dans le château des œuvres et objets provenant de nos collections. Cela permettra d’enrichir le parcours de visite."
La mutualisation réussie des acteurs du patrimoine
Tous ces efforts publics menés pour sauver Haroué de la débâcle sont un signal fort observé de leur balcon par de nombreux acteurs du patrimoine et châtelains. "Cette expérience est une première. Si c’est un succès, la démarche peut inspirer d’autres familles qui n’ont plus les moyens de faire face à la gestion de leurs monuments et risquent d’entrer dans une phase de déclin, menant au démembrement des collections ou à la mise en vente du château", indique Philippe Bélaval.
Si le modèle hybride mis en place avec la famille de Beauvau-Craon est encourageant, il ne pourra pas se multiplier. Tout inspirant qu’il soit, il repose sur la motivation des propriétaires et répond à une situation d’urgence. "Notre devoir est d’éviter les désastres patrimoniaux, mais nos moyens ne sont pas illimités", confirme le haut fonctionnaire.
Voir cette publication sur InstagramPour ceux que le CMN ne pourra pas aider, d’autres acteurs se mobilisent. "Tout ce qui permet au patrimoine d’être entretenu et donne à la nouvelle génération de châtelains des raisons d’espérer est bon, cependant nous défendons la possibilité de déployer dans les monuments privés des modèles économiques viables et qui s’autofinancent", souligne Thibaud Lépissier qui anime le réseau d’entrepreneurs des Audacieux du Patrimoine, au sein de l’association Demeure Historique.
La princesse se réjouit, quant à elle, que la "chape de plomb" qui sépare en général le service public des acteurs privés ait pu être fendue à Haroué, et appelle de ses vœux une sorte de National Trust inspiré du modèle anglais qui permettrait de mutualiser tous les acteurs du patrimoine... de bonne volonté.
Par Angélique d'Erceville avec Pauline Sommelet
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