Le château de Verteuil sera-t-il vendu?

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. L’idée que mille ans d’histoire familiale soient ainsi interrompus –Verteuil est habité par les De La Rochefoucauld depuis l’an 1080– et que les ifs plantés dans le parc par Charles Quint et la reine Élizabeth de Grande-Bretagne puissent passer entre des mains inconnues, voire ennemies, fait trembler les défenseurs du patrimoine. "Dans cette famille qui a accompagné l’histoire de France, dans ce château qui a été continuellement habité et jamais vidé, rien n’est décoration, tout est mémoire", souligne Éric Mension-Rigau, historien de la noblesse.

Pour Patrice Besse, propriétaire de l’agence immobilière en charge de la vente du château, affiché à 2,8 millions d’euros, c’est justement ce qui fait sa valeur. "Le meilleur atout de Verteuil, c’est qu’il n’a jamais été vendu, et personne n’avait même imaginé qu’il soit un jour sur le marché. Certains amateurs sont prêts à payer cher cette exclusivité."

La mise en vente du château est un déchirement pour la famille De La Rochefoucauld

Comme toute vente de demeure familiale, celle-ci est un renoncement. Si les propriétaires actuels se résignent à un tel choix, c’est que la situation leur semble inextricable. Depuis que la maladie dégénérative de son mari s’est déclarée, il y a deux ans, Gildine de La Rochefoucauld ne parvient pas à tout mener de front. D’autant que c’était Sixte qui était aux commandes. "Il a été un formidable conservateur pour le château, qu’il a entretenu et dont il a enrichi les collections, notamment au décès de sa mère, la princesse Isabelle de Bourbon-Parme", note Éric Mension-Rigau.

Psychothérapeute en région parisienne, la comtesse était moins investie dans la demeure que son mari. Et les quatre enfants du couple n’auraient ni l’envie ni les moyens d’assumer une telle charge. Quelques espoirs ont bien reposé sur Hortense, âgée de 28 ans, qui a passé le confinement au château et a confié à un journaliste de Sud Ouest y trouver un équilibre et des racines. Mais la benjamine de la fratrie, psychologue à Paris, aurait difficilement les moyens d’indemniser ses frères et sœur pour reprendre le domaine.

"Le contraste est saisissant entre ce château resplendissant qui a fait l’objet de toutes les attentions possibles, et l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui. C’est un cas d’école frappant, emblématique de la difficile équation économique: la visite muséale ne peut suffire à faire vivre ces grandes demeures", souligne Philippe Toussaint, président de l’association des Vieilles maisons françaises (VMF).

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De l’extérieur, la famille juge sévèrement Gildine. Personne ne comprend qu’on en soit arrivé là. Et le choix de livrer le monument à un acheteur inconnu, et les trésors qu’il renferme à des maisons de vente –plusieurs d’entre elles seraient venues inventorier les biens en vue d’une mise aux enchères– est incompréhensible. "Tristesse" et "déception" sont sur toutes les lèvres. "On n’est jamais vraiment propriétaire d’une telle bâtisse, on est de passage", note un cousin.

Un château témoin de l'Histoire

Si le château est inscrit partiellement aux Monuments historiques dès 1966, le site est entièrement classé depuis 2017, et ainsi protégé. Ce n’est malheureusement pas le cas des meubles, tentures et autres trésors qui le décorent. Dans la chapelle, la liste des De La Rochefoucauld qui ont accompagné l’histoire de France –qu’ils soient écrivains, religieux ou militaires– associe leurs prénoms à un numéro, comme pour les rois de France… Ainsi, l’auteur des célèbres Maximes est François VI de La Rochefoucauld. 

Le nombre de personnages royaux ayant séjourné au château est également impressionnant –Henri II, Henri IV, Philippe VI, Charles Quint, Louis XIII et, en 1980, Élizabeth de Grande-Bretagne, la reine mère. Ce n’est pas un hasard si c’est à Verteuil qu’Anne de Amodio, née De La Rochefoucauld, a posé avec son mari Jean, en 1958, les bases de l’association des Vieilles maisons françaises (VMF).

"Que le lieu de naissance des VMF voie son avenir à ce point incertain est très symbolique. Cela reflète l’état de notre patrimoine et les difficultés rencontrées par ces familles qui tentent de conserver leur bien et de le transmettre", souligne Anthony Touchard, historien de formation et ancien guide au château de Verteuil.

La gestion du château de La Rochefoucauld est un exemple

Lorsque Anne de Amodio se sépare de ses biens, c’est à sa nièce Gildine qu’elle lègue le château de Verteuil. Sur le papier, sa filleule paraît l’héritière idéale. Gildine de La Rochefoucauld (branche La Roche-Guyon) a épousé son lointain cousin Sixte (branche d’Estissac). S’il est difficile de reprocher à Sixte et Gildine de n’avoir pas pris soin du monument, tant il est impeccable aujourd’hui, le couple n’a pas su y associer un projet économique viable garant d’une reprise par un de leurs enfants ou cousins.

Verteuil est un château de plaisance, où François VI, pair de France, a trouvé le calme pour écrire quelques-unes de ses célèbres Maximes et ses Mémoires.

La propriété de La Rochefoucauld est quant à elle située à 150 kilomètres de là et est restée dans les mains de la branche aînée de la famille; elle est plus citadine et officielle, affichant un magnifique style Renaissance.

François, 15e duc de La Rochefoucauld, en est l’actuel propriétaire. Formidablement épaulé par sa mère, Sonia, le duc a ouvert le château à la visite et a trouvé des ressources pour le faire vivre. À ce jour, c’est un exemple de gestion réussie. "J’ai le château de La Rochefoucauld en responsabilité et cela m’occupe à plein-temps", confirme le duc de La Rochefoucauld.

Malgré cet agenda bien rempli, le duc et son épouse réfléchissent déjà à l’étape d’après, justement pour éviter un scénario à la Verteuil. "Nous avons des idées, mais nous ne pourrons pas en parler avant l’année prochaine. Ce qui est sûr, c’est que notre ambition est de conserver le château de La Rochefoucauld encore mille ans dans la famille!" 

"Les dés ne sont pas jetés"

Depuis la mise en vente de Verteuil, plusieurs candidats français et étrangers se sont fait connaître. Quand les restrictions de voyage ne les en empêchaient pas, certains ont même fait le tour du propriétaire. Mais en parallèle, les branches cousines rêvent d’un preux chevalier capable de repousser les assauts des futurs acquéreurs…

Depuis plusieurs semaines, les salons La Rochefoucauld bruissent des prénoms de plusieurs jokers. "Les dés ne sont pas jetés", promet un membre. Les cousins qui ont le goût de l’histoire et la famille chevillée au corps sont attendus en défense. À l’instar de Pierre, fils aîné d’Edmond, qui a épousé Céleste Owen-Jones, la fille de l’ancien P-DG de L’Oréal, et qui pourrait à ce titre avoir les moyens de mener cette croisade. Ou encore Xavier de la Rochefoucauld, installé à Londres et que l’on dit habile en montages financiers.

S’il ne souhaite pas s’étendre sur le sujet, Xavier concède: "On peut encore rêver à une reprise familiale." "Notre famille a survécu à la Révolution et à toutes sortes d’aléas historiques, lance pour sa part Louis-Henri de La Rochefoucauld, un cousin de la branche d’Estissac. J’espère qu’il y aura une prochaine saison avec une fin plus heureuse."