Jean-Louis Trintignant, une folle allure

De Roger Vadim à Michael Haneke en passant par Claude Lelouch, son beau visage grave a inspiré les plus grands cinéastes. Passionné de théâtre, amoureux de poésie, celui qui s’enivrait de vitesse sur les circuits automobiles a aussi connu les plus grands chagrins, dont la perte de ses deux filles. À l’écran, l’acteur n’a pas le charme solaire d’un Delon ou d’un Belmondo. Plus ambigu, son talent se niche dans sa part d’ombre et de mystère. Accablé par le souvenir des épreuves, malade depuis des années, il s’est éteint la semaine dernière à l’âge de 91 ans.

Par Emmanuel Cirodde - 23 juin 2022, 06h42

 L'acteur français Jean-Louis Trintignant est décédé à l'âge de 91 ans, le 17 juin 2022.
L'acteur français Jean-Louis Trintignant est décédé à l'âge de 91 ans, le 17 juin 2022. © Jean-Louis Atlan / Contributeur / Getty Images

Un mambo endiablé dans la nuit de Saint-Tropez. Au milieu des musiciens, une Bardot incandescente ensorcelle deux hommes dont le timide Michel Tardieu. À l’étroit dans son costume gris, l’homme se fait violence pour capter l’attention de la jeune fille... Voilà donc le jeune premier dont tout le monde parle en 1956. Jean-Louis Trintignant, celui qui a volé BB à son époux Roger Vadim et dont l’idylle avec l’ingénue ravit les paparazzi. Premier fait d’armes d’une carrière exceptionnelle commencée dès 1954 et qui s’est achevée le 17 juin 2022 avec sa disparition.

Une vocation trouvée à l'âge de 19 ans

De son enfance dans le Vaucluse et le Gard, il garde le souvenir des deux passions familiales, la viticulture et la course automobile. En effet, si son père est un industriel respecté et établi à Pont-Saint-Esprit, trois de ses oncles vont donner leur vie à la vitesse, au point de la perdre parfois comme lorsque l’aîné de la famille, Louis, meurt au volant de sa Bugatti en 1933. Malgré ce drame, Maurice, le cadet, persévère et remporte les 24 Heures du Mans en 1954 puis deux fois le mythique Grand Prix de Monaco.

La guerre prive Jean-Louis de l’adolescence tranquille à laquelle sa génération aspirait. Le jeune homme rangé s’imagine déjà paisible notable, coulant une douce vie en province pour oublier le climat familial qui s’est envenimé avec les années et les mauvaises affaires. Étudiant en droit à Aix-En-Provence, il voit sa vie basculer un soir de novembre 1949, lors d’une représentation de L’Avare interprété par le célèbre Charles Dullin alors au crépuscule de sa vie. Dans le passionnant ouvrage consacré à l’acteur, Jean-Louis Trintignant – L’inconformiste, Vincent Quivy rapporte les propos du jeune homme : "Je m’étais vu à sa place. Je trouvais ça tellement beau qu’un homme puisse comme ça se dévoiler, même avec ce qu’il y avait de mauvais en lui."

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À 19 ans, Jean-Louis Trintignant a trouvé sa vocation. Il quitte son Sud natal pour Paris où il lui faut se faire violence pour vaincre une timidité maladive peu compatible avec ses rêves de carrière sur les planches. Il trouve cependant le courage de s’inscrire à l’IDHEC et aux cours Dullin. Entre deux petits boulots, le garçon fait ses premières figurations et tombe sous le charme puissant de Gérard Philipe qui triomphe au TNP de Jean Vilar. À 23 ans, il épouse une jeune actrice qui se fera bientôt connaître sous le nom de Stéphane Audran. Au théâtre, ses rôles s’étoffent et sa prestation dans une pièce de Robert Hossein, Responsabilité limitée, montée au Théâtre Fontaine, le fait accéder à la notoriété. 

Il rencontre Claude Lelouch grâce à sa femme Nadine

Le cinéma ne tarde pas à faire appel à lui, le succès est foudroyant. Le fameux Et Dieu... créa la femme de Roger Vadim qui sort dans un délicieux climat de scandale propulse l’acteur au firmament. Voilà le jeune homme sensible et réservé – divorcé de Stéphane Audran – nimbé d’une aura de séducteur, réputation que son succès auprès de Bardot rend impossible à démentir. Lorsqu’il évoque des années plus tard ses souvenirs de Et Dieu... créa la femme, l’acteur confie ne pas se trouver bon dans le film. Tout juste se félicite-t-il que la romance ultra-médiatisée avec l’actrice n’ait pas mis en péril sa carrière. L’appel sous les drapeaux coupe court à toutes les divagations et Trintignant disparaît subitement des écrans. "Cela a finalement résolu beaucoup de choses, confesse l’acteur à la télévision en 1971. Pendant trois ans, je n’ai pas travaillé..."

À son retour, sa carrière redémarre aussitôt. Il joue pour Abel Gance (Austerlitz), Robert Hossein (Le Jeu de la vérité), donne la réplique à Laurent Terzieff dans le court-métrage La Luxure de Jacques Demy, puis au volubile Vittorio Gassman dans Le Fanfaron de Dino Risi. Une jeune réalisatrice entre alors dans sa vie. Il épouse en effet Nadine Marquand fin 1961. Le couple, qui s’installe rue de Beaune, non loin de Saint-Germain, aura trois enfants, Marie, née en 1962, Pauline en 1969, et Vincent en 1973. Entre le théâtre et le cinéma, les projets abondent et Jean-Louis Trintignant fait la part belle aux premiers films. Il est de ceux de Costa-Gavras (Compartiment tueurs), d’Alain Cavalier (Le Combat dans l’île, dans lequel il croise Romy Schneider) ou Alain Robbe-Grillet (Trans-Europ-Express), tout en trouvant le temps d’incarner un étrange poète dans Merveilleuse Angélique... 

Jean-Louis, Nadine, Marie et Pauline Trintignant (bébé) à leur domicile en 1969.
Jean-Louis et Nadine Trintignant avec Marie, sept ans, et Pauline, en 1969. Le couple perdra tragiquement ses deux filles : Pauline à l’âge de dix mois et Marie, en 2003, morte sous les coups du chanteur Bertrand Cantat. © Alain Dejean / Contributeur / Getty Images

Nadine Trintignant suggère alors à son époux de rencontrer un jeune cinéaste en qui elle croit. Le tourbillon à venir s’écrit sur la partition de Francis Lai et sa célèbre mélodie "Cha ba da ba da". Claude Lelouch propose ainsi à l’acteur le scénario d’Un homme et une femme, une histoire d’amour toute simple entre deux veufs inconsolables. L’alchimie entre l’auteur et son interprète fonctionne à plein. Il faut dire que les deux hommes ont en commun la passion des bolides. Trintignant conseille à Lelouch de faire de son personnage de médecin un pilote de course. L’idée séduit aussitôt le réalisateur. Le film acquiert ainsi ce rythme singulier où les séquences de course alternent avec ces plans d’anthologie sur la plage de Deauville, lorsque dans un mouvement tourbillonnant de caméra, Anouk Aimée étreint Jean-Louis Trintignant... Palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario original, le film appartient désormais à la légende... 

Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans Un homme et une femme : Vingt ans déjà, en 1986.
Vingt ans après la cultissime romance Un homme et une femme de Claude Lelouch, avec Anouk Aimée, les amants se retrouveront en 1986 dans la suite, Un homme et une femme : Vingt ans déjà. © Jean Pierre Fizet / Contributeur / Getty Images

Jean-Louis Trintignant n’est plus ce jeune premier hésitant. Il met sa voix grave et sa beauté sombre au service de films politiques comme Z de Costa-Gavras qui triomphe à Cannes. À l’abri de ses lunettes aux verres fumés, il est ce juge d’instruction qui lutte contre tous pour faire éclater la vérité. En cette fin des années 1960 qui bruisse des révolutions politiques et idéologiques, l’acteur, lauréat du prix d’interprétation sur La Croisette, aime plus que tout ce cinéma chambre d’écho de ce monde. "Je suis ravi de m’engager, lance-t-il à la télévision. Le drame, c’est qu’on ne fait pas assez de films politiques." Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, d’après le roman d’Alberto Moravia, lui offre en 1970 un autre rôle à la hauteur de ses vœux d’engagement.

La perte de ses filles Pauline et Marie, un deuil impossible

Mais s’il est remarquable dans la peau de ce quidam adhérant au parti fasciste, l’acteur plonge dans le malheur. En effet, un matin lors du tournage à Rome, Pauline, la fille de Jean-Louis et Nadine Trintignant, est prise de malaises. Malgré une traversée à fond de train de la capitale italienne, la petite décède avant d’atteindre l’hôpital. Malgré la peine immense, l’acteur est contraint de continuer à tourner... Dans le livre Un homme à sa fenêtre, cité par Vincent Quivy, Jean-Louis Trintignant a ces mots terribles : "Perdre un enfant est une chose inacceptable. À partir de là, il y a eu quelque chose de cassé... J’ai toujours eu tendance à vivre sans illusions." Malgré les nombreux succès à venir, Le Train de Pierre Granier-Deferre, La Terrasse d’Ettore Scola, Rendez-vous d’André Téchiné ou encore Vivement dimanche !, le dernier film de François Truffaut, l’acteur vit désormais hanté par ce...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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