Elvis Presley, le King et le colonel

À l’occasion de la sortie du biopic Elvis*, réalisé par le cinéaste australien Baz Luhrmann, retour sur le parcours de l’imprésario décrié du King, le trouble colonel Parker, qui a autant contribué à sa gloire qu’à sa chute, avant d’emporter avec lui ses secrets.

Par Sylvie Dauvillier - 24 juin 2022, 07h46

 Le trouble colonel Parker, l’imprésario décrié du King.
Le trouble colonel Parker, l’imprésario décrié du King. © Michael Ochs Archives / Intermittent / Getty Images

Au crépuscule de sa vie, un vieil homme déchu à la corpulence massive convoque ses souvenirs. Appuyé sur une canne, il erre à travers les salles de jeux désertes de Las Vegas où, parieur impénitent, il a autrefois perdu des montagnes de dollars. Ex-imprésario du King, le colonel Tom Parker tente une ultime fois, avant de rendre les armes, de légitimer ses choix de carrière pour celui qui reste aujourd’hui encore l’une des plus grandes stars que le monde ait jamais connues. À travers son épopée aux côtés de l’icône planétaire, le cinéaste australien Baz Luhrmann (Moulin Rouge, Gatsby le Magnifique) revisite, dans son biopic Elvis* présenté au Festival de Cannes hors compétition, trois décennies de l’histoire de l’Amérique, ses rêves et ses cauchemars.

Un imprésario au mystérieux passé

Dans la peau de cet agent trouble, Tom Hanks campe, face à un Elvis Aaron Presley incarné par le vibrant Austin Butler, une sorte d’alien roublard et opaque, un manipulateur prêt à tout pour parvenir à ses fins en même temps que l’indissociable orchestrateur du triomphe de son protégé. Ombre omniprésente derrière le halo de lumière du rockeur, ce fumeur de havanes est habité par une ambition mâtinée d’une insatiable vénalité, à laquelle ses détracteurs attribueront la mort précoce, à 42 ans, du "phénomène" aux déhanchements légendaires. "Je n’ai pas tué Elvis, se défend-il, c’est moi qui l’ai créé !" D’où vient l’énigmatique colonel Parker, inconnu au bataillon ?

Tom Hanks incarne le mystérieux colonel Tom Parker dans Elvis de Baz Luhrmann.
Pour devenir Tom Parker, un autre Tom – Hanks – a effectué une métamorphose extraordinaire... © 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved.

De ses origines, on sait peu de choses, sinon que cet éternel apatride, Andreas Cornelis van Kuijk de son vrai nom, voit le jour en 1909 à Breda, aux Pays-Bas. Fils de militaire grandi dans une famille nombreuse, cet Hollandais volant aux poches vides embarque, entre 18 et 20 ans, pour le Nouveau Monde. S’est-il rendu coupable dans son pays, comme l’accusent certains, du meurtre d’une femme jamais élucidé ? Ses zones obscures et son passé sur lequel il gardera toujours le secret ne permettent pas de l’affirmer avec certitude. Mais le mystère de son exil entretient le doute sur les motifs réels de son entrée illégale aux États-Unis, où ce roi de la débrouillardise trace alors un chemin de traverse en exerçant plusieurs petits métiers, d’aide-cuisinier sur le navire qui l’emporte vers son destin à gardien d’un cimetière pour chiens.

Tom Hanks et Austin Butler dans Elvis de Baz Luhrmann.
Dans Elvis, Tom Hanks et Austin Butler sont le colonel Parker – un titre honorifique – et Elvis Presley. © 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved.

Mais c’est surtout le monde du spectacle, par sa magie de l’illusion, qui le fascine. Dans les fêtes foraines du Tennessee, ce bateleur-né peut déployer son vrai talent. Éphémère aboyeur chez Barnum, il lance bientôt sa propre entreprise, le Great Parker Pony Circus, sous le chapiteau duquel il présentera les fameux Dancing Chickens, des poulets qui se trémoussent en se brûlant les pattes sur des plaques chauffantes... Avant de convoiter les profits autrement plus juteux que peut lui offrir le showbiz. Dans une Amérique d’après-guerre bercée par la country music à l’aube de la culture de masse, Parker devient manager de tournées, du chanteur Jimmie Davis – futur gouverneur de Louisiane qui lui accordera ce titre honorifique de "colonel" –, puis du Canadien Hank Snow, jusqu’au jour où il découvre à Memphis en 1955 le boy from Tupelo (Mississippi).

Elvis Presley enchaîne les concerts à travers les États-Unis

À 20 ans à peine, le jeune Blanc pauvre élevé dans un quartier noir, qui vacillait enfant à l’écoute des fervents negro-spirituals de l’église voisine, électrise déjà la scène, suscitant la transe de légions d’adolescentes hystérisées. Pressentant l’immense potentiel du prodige à la voix enveloppante, pour l’heure chauffeur de camion, le colonel Parker lui propose un pacte quasi faustien : contre la promesse de fortune et de gloire, il exige de lui qu’il lui confie la gestion exclusive de sa carrière, et accessoirement le quart de ses gains – un pourcentage qui doublera douze ans plus tard. Délaissant sa maison de disques Sun Records, Elvis Presley signe chez le prestigieux label RCA.

Tom Hanks et Austin Butler dans Elvis de Baz Luhrmann.
En novembre 1955, Tom Parker fait signer à Elvis un contrat qui va lier leurs deux parcours. Le futur King a 20 ans et est mineur pour l’époque. Ses parents, Gladys et Vernon (ici joués par Helen Thomson et Richard Roxburgh), signent aussi le document. © 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved.

Propulsé au sommet après une fulgurante ascension, le rebelle à la sensualité transgressive emmène dans son sillage, au son de sa guitare et de titres qui s’imposent comme autant de tubes, de Blue Suede Shoes à Hound Dog, une génération pressée de rompre avec les valeurs prudes de la précédente. Couronné premier disque d’or du jeune prodige, Heartbreak Hotel sera suivi par d’autres. À grand renfort de campagnes promotionnelles portées par l’essor de la télévision, l’artiste, flanqué de son manager, quadrille le pays à un rythme effréné, le mentor ne ménageant pas son poulain pour encaisser des bénéfices aussitôt absorbés par sa dévorante passion du jeu. L’argent et l’alcool coulent à flots.

Le colonel Parker et Elvis Presley en 1969, sur le tournage de Change of habit.
Tom Parker et Elvis Presley en 1969, sur le tournage de Change of habit (en français : L’habit ne fait pas la femme). © Michael Ochs Archives / Intermittent / Getty Images

Ivre de son succès, l’idole des jeunes installe sa famille dans une somptueuse propriété baptisée Graceland, qu’assaillent des grappes d’admirateurs pour l’entrevoir sortir au volant de l’une de ses Cadillac. C’est ce marionnettiste hors pair encore qui suggère au scandaleux Elvis de se racheter une respectabilité en jouant, le temps de son service, les bons petits soldats dans une base américaine en Allemagne. Mais à Bad Nauheim, la star en uniforme rencontre l’amour, happé par le regard de biche d’une fan à peine sortie de l’enfance, Priscilla Beaulieu, 14 ans, laquelle est bien déterminée à le conquérir. L’idylle, bien sûr, ne manque pas d’inquiéter le colonel qui perçoit l’élue comme une rivale dont l’influence pourrait entraver la sienne auprès du célèbre rockeur. 

Accusé d'être lié à la mort d'Elvis

Devenu pour Elvis, dévasté par la perte de sa mère en 1958, une sorte de père de substitution, l’imprésario a dressé autour de lui un cordon loin d’être sanitaire. Surtout, obsédé par les seuls enjeux de rentabilité commerciale, comme en témoigne le déluge de produits à l’effigie d’Elvis, le businessman néglige la dimension artistique. Quand, venus d’Angleterre, quatre garçons dans le vent commencent à menacer la suprématie musicale de l’extraordinaire bête de scène, Parker s’empresse de lui ouvrir grand les portes du paradis d’Hollywood vers un nouveau firmament.

Mais si l’acteur de Love Me Tender peut se targuer des plus gros cachets de l’époque, la consécration précipite sa chute, les navets de série B qu’il enchaîne conduisant à le réduire à sa caricature. Piégé par le contrat avec son agent, en panne d’inspiration, le King connaît dès lors une douloureuse traversée du désert, avant son grand retour en 1968, grâce à l’émission de télévision de Steve Binder sur NBC.

Elvis Presley dans Comeback Special sur NBC, en 1968.
Cuir noir et guitare en bandoulière, l’historique Comeback Special d’Elvis sur NBC, en 1968. © NBC / Contributeur / Getty Images

Se produisant quelques mois plus tard sur la scène du flambant neuf International Hotel de Las Vegas, conformément au désir de son manager, qui peut parier sans compter sur les tapis verts de l’établissement, Elvis renoue avec sa fougue originelle, dans une Amérique endeuillée par l’assassinat d’un autre King, le charismatique pasteur,...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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