C’est un fil, souvent tendu, parfois délicat, entre deux personnages au même destin tragique mais que tout oppose. Paris, juillet 1794. Françoise-Thérèse de Choiseul-Stainville, jeune aristocrate française, nièce du ministre du roi Louis XV, devenue princesse de Monaco après avoir épousé Joseph Grimaldi, est détenue depuis plusieurs mois. Elle attend sa condamnation devant le Tribunal révolutionnaire. Et peut-être l’échafaud. Une arrivée inopportune rompt un moment sa grande solitude : Louis-Sébastien Mercier est écrivain. Le dramaturge, témoin privilégié de cette époque, auteur d’un étonnant roman d’anticipation, L’An 2440, rêvait jusqu’ici d’une révolution "pacifique et heureuse". Toutes les circonstances lui prouvent le contraire. Un gouvernement révolutionnaire, centré sur le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale, a été mis en place. Issu de la Convention nationale, il se donne pour mission de mater les révoltes et insurrections.
Un dialogue romancé entre deux personnages historiques
Dans Le Rêve de Mercier, l’auteur monégasque Alain Pastor met en lumière le ressort psychologique de cette époque : "J’ai lu quantité d’ouvrages sur la Révolution. J’avais besoin de connaître ces années-là. Et au-delà du déroulé chronologique, il était nécessaire que je comprenne les causes psychiques de ce que l’on appelle aujourd’hui la Terreur." En découlent une rencontre et un dialogue romancés entre deux personnages historiques.

"Cela faisait quelques années déjà que je souhaitais travailler autour de Françoise-Thérèse de Choiseul- Stainville, il fallait que je trouve un autre personnage pour créer une confrontation théâtrale." Louis-Sébastien Mercier sera ce pivot permettant de créer une dramaturgie toute particulière à cette pièce. Alain Pastor lit ses écrits durant des mois, s’imprégnant de son univers, de sa façon de composer les mots et de décomposer les certitudes : "Mercier est intéressant car il est acquis aux idéaux révolutionnaires, mais il est lui-même victime des contradictions et excès de son époque. Cet aspect m’intéressait pour montrer qu’à un moment donné, une folie générale s’est emparée de la France."
Ce duel théâtral, qui tourne parfois au duo, inspire une certaine empathie. Alain Pastor assume la bienveillance qu’il a conférée à ces personnages : "Mercier est profondément humain, il est impétueux et plein de contradictions, parfois ridicule... par exemple, il estimait que Racine et Corneille étaient des auteurs mineurs."Cette humanité, l’auteur de théâtre voulait qu’elle fasse écho à celle de Françoise-Thérèse de Choiseul-Stainville "J’ai souhaité faire réagir cette femme dans toute sa sincérité, en sa qualité de femme, de mère et de princesse, elle ne renie pas son appartenance à l’aristocratie. Elle est même digne de son rang."

Avant les représentations parisiennes, la pièce Le Rêve de Mercier a été proposée pour la première fois à Monaco, le 30 novembre dernier, devant la princesse Caroline de Hanovre et les descendants de Françoise-Thérèse de Choiseul- Stainville : "Ce fut très émouvant, se souvient Alain Pastor, d’autant plus que le sort de cette princesse moderne est doublement tragique. Victime malheureuse de la Révolution, elle a fait partie de la dernière charrette des guillotinés." À vingt-quatre heures près, la princesse, qui n’avait pas 28 ans, aurait pu être sauvée.
Le Rêve de Mercier- La rencontre d'un révolutionnaire et d'une princesse de Monaco, théâtre de la Contrescarpe, 75005, Paris, les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 31 mars 2022.

Le Rêve de Mercier nous rappelle que la Principauté était un État bien plus vaste au XVIIIe siècle. Étendu entre Menton et Roquebrune, Monaco bénéficiait de la protection de la France jusqu’à l’époque de Louis XIV. Le prince Honoré III avait déclaré la neutralité de la Principauté pour se tenir à l’écart des conflits entre les puissances européennes. La Révolution française va précipiter la disparition temporaire de l’État monégasque. Début 1793, ce dernier est rattaché à la France sous le nom de Fort-Hercule, sous- préfecture du département des Alpes-Maritimes. De 1793 jusqu’au traité de Paris du 30 mai 1814, Monaco n’existera plus en tant que principauté. C’est après la chute de Napoléon Ier que les Grimaldi retrouveront la pleine possession de leur État.
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