Line Renaud: entretien exclusif à coeur ouvert

Ses yeux bleu clair sont les plus connus de France. Line Renaud a tout vécu: musique, théâtre, cinéma; succès, amours et drames. Au printemps 2019, victime d’un AVC, elle se retire un long moment pour une convalescence dont elle a tiré un livre, En toute confidence*. Pour Point de Vue, elle revient sur les rencontres qui ont fait de sa vie un destin français.

Par Anne-Cécile Huprelle - 16 décembre 2020, 07h45

 Star internationale, Line Renaud a toujours été entourée d’amours sincères.
Star internationale, Line Renaud a toujours été entourée d’amours sincères. © MEDALE Claude/Corbis via Getty Images

Le 2 juillet 2020, vous avez eu 92 ans. Plus jeune, comment imaginiez-vous ce bel âge?

Je ne me l’imaginais pas! Vous savez, rien ne me destinait à cette vie, et, pourtant, tout était écrit. Mon père travaillait à l’usine, ma mère était secrétaire. Personne n’était artiste dans ma famille et seuls le spectacle et le chant m’attiraient. Alors, non, je ne m’imaginais pas vivre plus de 90 ans et encore moins artiste. Mais j’assume totalement, l’âge n’a jamais été une cachotterie. Je n’ai jamais triché, j’ai toujours fêté mes anniversaires. Beaucoup d’amies se plaignent de la vieillesse; moi je pense qu’une année en plus, c’est du bonheur en prime.

Vous êtes une enfant de la guerre. Vous avez connu les bombardements, les restrictions. Les générations actuelles ne s’imaginent pas l’impact de tels souvenirs. À quel point ont-ils marqué votre vie?

Tous les gens de mon âge ont été marqués par quatre ans d’Occupation. Mon premier souvenir est situé dans la ferme d’Abbeville, dans laquelle nous nous étions réfugiés. À ce moment-là, nous n’avions pas d’essence. Ma mère partait à pied en chercher, je l’ai vue revenir, les bras en l’air dans la cour: un tank allemand la suivait avec des SS habillés de noir. Ils auraient pu lui tirer dessus. Ma mère pleurait. Ce sont des images que l’on n’oublie pas. Le bruit courait que les Allemands pouvaient nous empoisonner. Il faut dire que l’on n’avait rien à manger et que lorsque l’on nous a distribué du riz, une épidémie de gale s’est déclarée à l’école. Une autre fois, un soldat m’a prise sur ses genoux, et il m’a proposé un chocolat chaud. J’avais tellement peur que je n’ai pas ouvert la bouche, et j’ai laissé le lait dégouliner sur moi.

Line Renaud toute jeune adolescente, elle était scolarisée au cours préparatoire du collège d’Armentières, vers 1940. © Bridgeman ImagesLine Renaud toute jeune adolescente, elle était scolarisée au cours préparatoire du collège d’Armentières, vers 1940. © Bridgeman Images

Il y a toujours eu "deux Line": la petite fille qui aimait sa vie à Armentières et celle qui rêvait d’autre chose… Vous étiez une petite fille heureuse, comblée. Pourquoi avoir eu des envies d’ailleurs?

Je n’étais pas comblée, j’étais aimée. J’aurais été comblée si on avait pu m’acheter tout ce que je souhaitais. Nous étions pauvres. Je me souviens de ma première poupée, un jouet merveilleux qui baissait les yeux quand on la couchait et que j’avais vue dans une vitrine d’Armentières. Mes parents ne pouvaient pas me l’acheter, alors toute la famille s’est cotisée. J’ai eu une enfance heureuse grâce à cet amour et à celui de trois femmes.

"Mémère", votre arrière-grand-mère, "grand-mère" et "maman", dont vous dites qu’elles ont toutes trois souffert des hommes. En quoi cela a influencé la femme que vous êtes devenue?

Mon arrière-grand-père et mon grand-père étaient des hommes très durs. Et ma propre enfance a été marquée par la crainte que m’inspirait mon père. Surtout le vendredi. C’était le jour où il jouait dans l’orchestre local, il revenait tard, et il était saoul. Il n’était pas méchant avec nous, mais il était ombrageux. Mon père étant parti à la guerre, il avait été fait prisonnier durant quatre ans. De 12 à 15 ans, j’ai donc été élevée par ces trois femmes. Des femmes fortes, intelligentes, travailleuses. Ma mère partait à bicyclette toute la journée et revenait le soir pour coiffer des femmes, mon arrière-grand-mère faisait des lessives dans le froid, pour les gens du quartier. Cela comblait le manque et apportait la source d’argent de la maison. Sans nouvelle de son mari, ma mère dépérissait… Et puis, une vérité lui est parvenue, mon père avait une double vie, le petit garçon avec lequel je jouais, dans le village, était mon demi-frère… Je n’oublierai jamais les cris de ma mère quand on le lui a appris, je rentrais de l’école, j’avais 12 ans. À la Libération, ma mère a demandé le divorce. Elle n’a pas cédé à la pression sociale. C’était une femme extrêmement forte.

Line lors d’une réception donnée pour elle au Society Restaurant de Londres, le 2 janvier 1951. © Keystone/Hulton Archive/Getty ImagesLine lors d’une réception donnée pour elle au Society Restaurant de Londres, le 2 janvier 1951. © Keystone/Hulton Archive/Getty Images

La rencontre de votre vie, c’est évidemment Loulou Gasté. Croyez-vous au destin?

Loulou Gasté était ma plus grande idole lorsque j’étais enfant, j’écoutais ses chansons et musiques qui étaient rythmées. À l’époque, quand on habitait le Nord, que l’on ne connaissait ni Paris ni même Lille, rencontrer Loulou c’était comme rencontrer le bon Dieu! D’autant plus qu’au départ, ma mère ne voulait pas que je chante, elle voulait que je fasse des études. Là où le destin s’en est mêlé, c’est quand Fernande, une petite fille qui avait mon âge, a écrit une lettre pour moi au Conservatoire de Lille. On y faisait passer des auditions. À force de ténacité, nous nous sommes présentées, avec ma mère… Et là, nous nous apercevons que c’était une audition de chanteuse classique. Je regarde ma mère qui me dit, décidée: "Tu y es, tu y restes!" On me donne un numéro, le 8, qui est resté mon chiffre fétiche, et j’arrive sur la grande scène du théâtre Sébastopol de Lille. Je tremble, la salle est noire, je suis aveuglée par les lumières qui m’éclairent. Une voix me demande: "Quel répertoire ?" Je réponds: "Loulou Gasté." Et la voix ajoute: "Voyons toujours." Je donne à la pianiste, qui s’attendait à une composition classique, la partition blues de la chanson Sainte-Madeleine. Et à ma grande surprise, après cette reprise, on m’en réclame une autre. Cette fois, c’est sur un rythme fox-trot que j’enchaîne avec J’ai vendu mon âme au diable. On me demande ensuite d’attendre la fin des auditions. La voix qui me parlait était en fait celle du directeur de Radio Lille, qui cherchait justement une chanteuse pour entrer dans l’orchestre de jazz. Voilà comment j’ai commencé. Il fallait me trouver un nom d’artiste, j’ai choisi Jacqueline Ray. Et toutes les semaines, je chantais à Radio Lille. Ma mère ne m’a plus jamais refusé cette passion. Elle avait compris que c’était mon destin.

Loulou devient votre pygmalion. Il vous fait signer un contrat d’exclusivité, écrit vos chansons, vous impose des cours de danse, des entraînements, vous dit comment vous habiller, vous coiffer et vous maquiller. Il va jusqu’à vous faire perdre 10 kg, vous faire limer les dents et vous rebaptise Line Renaud. La rencontre avec lui, c’était au-delà de l’amour ?

Bien au-delà. J’avais 17 ans quand je l’ai rencontré, il avait vingt ans de plus que moi… Nous nous sommes charmés mutuellement. Et cela a duré toute la vie. Les dernières années de son existence, nous ne nous sommes jamais autant aimés. Avec Loulou, j’avais à la fois une relation de passion, d’amitié, un lien paternel. Il était mon premier amour, c’était tendre, gentil, mais je n’ai pas de grands souvenirs de sensualité avec lui. En vérité, je ne savais pas vraiment ce que c’était que d’être une femme…

Line en 1958 avec son amour, son pygmalion, son "tout": le compositeur Loulou Gasté. © AGIP / Bridgeman ImagesLine en 1958 avec son amour, son pygmalion, son "tout": le compositeur Loulou Gasté. © AGIP / Bridgeman Images

Jusqu’à Nate Jacobson. Vous avez 37 ans, vous êtes la star française de Las Vegas et là, vous découvrez "ce qu’est l’amour physique avec un homme ", dites-vous…

Nate était le grand patron du Caesars Palace. Nous avons vécu une folle passion. Il me subjuguait. C’était formidable, destructeur aussi. Plusieurs fois, j’ai voulu mettre un terme à cette relation, et, plusieurs fois, il revenait, et je succombais. Pourtant, je savais que je ne resterais jamais avec lui –je savais que je ne quitterais jamais Loulou. Il était mon équilibre, une forme de protection. En 1970, je...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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