Notre entretien avec Brigitte Bardot à La Madrague

Mythe mondial du cinéma français, incarnation sensuelle de la France des sixties, Brigitte Bardot a toujours choisi la liberté, parfois au prix d’une certaine incompréhension. La journaliste Anne-Cécile Huprelle, qui la connaît bien pour avoir écrit avec elle son dernier livre, Larmes de combat, a convaincu cette éternelle indomptée d’entrouvrir, en exclusivité pour Point de Vue, les portes de son refuge tropézien.

Par Anne-Cécile Huprelle - 05 août 2020, 07h48

 Découvrez les confidences libres et sensibles d’une femme de 85 ans que rien n’a jamais arrêtée.
Découvrez les confidences libres et sensibles d’une femme de 85 ans que rien n’a jamais arrêtée. © Bestimage

Brigitte Bardot reçoit rarement. Quand elle le fait, c’est à La Garrigue, sa petite ferme cachée sur les hauteurs de Saint-Tropez. Chaque après-midi, elle y travaille, concentrée. Elle converse, au téléphone, avec les membres de sa fondation, elle répond aux alertes et aux centaines de lettres hebdomadaires qu’elle reçoit. Une vie au service de la protection animale, un combat rigoureux et une réalité parfois difficile. Une fois sa journée de travail terminée, direction La Madrague. Lumière, vue imprenable sur la mer, photos et souvenirs amoncelés. C’est authentique, incroyable, presque une légende.

Le trait d’union entre ces deux vies? Brigitte, tout simplement, sans surnom ni nom, sans mythe ni controverse. Une enfant née en 1934, à Paris, dans un monde bourgeois où le vouvoiement avec les parents était de rigueur. Une jeune fille qui s’est ruée dans le monde du cinéma comme on prend le maquis. Une femme devenue une icône du cinéma mais qui, parce qu’elle ne se sentait pas aimée pour elle-même a, dans un élan de survie, embrassé la souffrance des plus fragiles. Confidences libres et sensibles d’une femme de 85 ans que rien n’a jamais arrêtée

Nous sommes au cœur de l’été. Il fait chaud, à Saint-Tropez. Et si on partait en Mini Moke, au large de la plage des Canoubiers? Je sais que vous adoreriez. Mais vous n’avez pas envie d’être regardée, sollicitée. Vous dites être lasse de tout cela… Depuis quand comparez-vous votre sort à celui d’un animal sauvage?

Depuis toujours. La célébrité possède un revers de la médaille trop lourd à porter. À partir de 1956, en un film (Et Dieu… créa la femme, de Roger Vadim), je suis devenue la fille la plus photographiée au monde. J’aimais cela au début, cela m’amusait, mais je ne me rendais pas bien compte de ce qu’il se passait. Et peu à peu, je ne me suis plus du tout sentie en sécurité face aux hommes. J’étais scrutée pour tout, poursuivie pour rien… À des périodes de ma vie, pour échapper à ce tourbillon insensé, j’avais même un tube de somnifères constamment à portée de main. Lors de mon histoire avec Sami Frey, nous étions contraints de nous terrer comme des lapins, de sortir la nuit, l’un après l’autre… Alors oui, je sais ce que cela veut dire, être traquée. Surtout que je ne comprenais pas tout ce fourbi autour de moi. Et puis j’étais très farouche. Peu de personnes connaissaient le fond de mon cœur. C’est toujours vrai aujourd’hui.

Brigitte Bardot dans les années 1950. Sa beauté, sa liberté la rendent célèbre dans le monde entier. © SuperStock/Leemage

Vous avez tout de même parfois baissé la garde. Vous avez été une grande amoureuse, avec des hommes qui ont su vous apprivoiser…

Parce qu’eux-mêmes étaient des animaux sauvages. C’est pour cela que ces histoires ont été si essentielles dans ma vie. Je me retrouvais avec la même crainte de l’homme, la même timidité vis-à-vis de l’existence. Avec Jean-Louis Trintignant ou Sami Frey, nous étions très semblables, et du reste, nous le sommes restés. Mais quand je les ai connus, j’étais très jeune, je n’avais pas encore compris l’importance qu’ils auraient par rapport aux personnes que j’ai rencontrées ensuite.

Diriez-vous la même chose de la relation avec votre fils? Vous êtes-vous rendu compte de l’importance de la maternité plus tard?

Je n’ai jamais eu d’instinct maternel. Vous en avez un, vous?

La naissance d’un enfant, c’est une rencontre. Et on apprend à s’aimer, à vivre ensemble…

Moi, je n’ai pas eu le temps pour cela. Quand Nicolas est né, en 1960, l’hystérie autour de moi… C’était de la folie. La chambre d’accouchement installée dans ma maison, les photographes derrière les fenêtres, ceux qui se déguisaient en médecins pour me surprendre. Il n’y avait aucune intimité. C’était terrible. J’ai associé la naissance de mon fils à ce traumatisme. Et c’est Nicolas qui en a porté les conséquences.

L’actrice adulée n’en est pas moins restée un animal sauvage.​ © SuperStock/Leemage

Avez-vous parfois l’impression d’avoir manqué des choses, de vous être trompée de chemin?

Pas du tout. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. La célébrité, c’est pesant, mais c’est un énorme atout. Sans elle, je ne pourrais pas faire grand-chose aujourd’hui pour les animaux. Déjà qu’avec la notoriété que j’ai, ce n’est pas simple, alors si j’étais une illustre inconnue, ce ne serait même pas envisageable. Moi, on me connaît. Si je dénonce le sort des animaux d’abattoirs ou la cruauté de la chasse, tout le monde me tombe sur le poil, mais au moins, ça donne l’exemple. Donc, je ne me suis pas trompée de chemin, vu qu’il m’a conduite ici. Vous savez, je n’ai pas détesté faire du cinéma, au contraire: cela m’amusait. Mais je ne jouais pas: j’étais moi. Dans chaque rôle, je riais, je pleurais, je dansais, comme dans ma vraie vie. Mais à la longue, je ne me sentais pas épanouie. Il me manquait beaucoup de choses, c’était trop superficiel.

À l’époque, votre passion, c’était plutôt la danse?

Alors ça, oui! Qu’est-ce que j’ai aimé ça, danser! Quand j’étais petite, je ne me sentais pas très belle, j’étais renfermée sur moi-même. Mijanou, ma sœur, était plus jolie que moi. Je n’étais pas bonne élève et mes parents n’étaient pas très fiers de moi. La danse classique m’a décomplexée. C’était gracieux, aérien et rigoureux. Cette discipline-là a forgé mon caractère, ma façon de me tenir, ma façon d’être aussi, jusqu’à aujourd’hui. Je ne sors jamais sans maquiller mes yeux, ni sans mon chignon ébouriffé mais mignon, avec des petites fleurs.

Brigitte Bardot, icône mondiale de la beauté s’est libérée de ses complexes d’enfant grâce à la danse. © PA Photos/ABACAPRESS.COM

Ah! ça, vos cheveux, c’est une grande histoire! Cela pourrait être l’unique sujet de notre entretien tant ils sont importants dans votre vie!

Les cheveux sont un symbole de puissance. C’est pour cela que l’on rasait les bagnards autrefois. Et dans les Écritures, le fils du roi David, Absalom, est connu pour avoir perdu la vie à cause de sa longue chevelure. Vous n’aimez pas vos cheveux, vous?

Si, bien sûr, mais ce n’est pas pour moi que Gainsbourg a écrit: "Elle ne porte rien / D’autre qu’un peu / D’essence de Guerlain / Dans les cheveux" (Initials B.B., 1968). Votre parfum, L'Heure bleue, est le même depuis soixante ans. Et c’est vrai, vous en déposez, chaque jour, quelques gouttes sur vos cheveux…

C’est ce que j’aime le plus chez moi. Ils n’ont quasiment pas changé. J’ai toujours ma couleur naturelle. Mes cheveux sont très longs, ils m’arrivent au niveau des reins. C’est pour cela que je les attache en chignon. Ce que j’aime d’autre chez moi? Mes pieds! (rires) Je chausse du 36,5. Et j’aime bien avoir un beau petit vernis dessus…

Pourtant, vous ne voyez jamais personne.

C’est ça, la discipline, ma minouchette…

À quoi rêviez-vous quand vous étiez enfant?

Je rêvais d’être une danseuse étoile ou une bergère. J’habitais à Paris, je rêvais de campagne, d’animaux dans des forêts, d’éléphants dans les savanes. Je suis toujours très rêveuse aujourd’hui. Je pense à de jolies choses, le vol des oiseaux, une biche dans une clairière, des chats qui ronronnent… Mes rêves sont simples.

C’est une nature pure et des animaux vivant à l’état naturel, en harmonie avec l’homme?

C’est pour cela que ce sont des rêves.

L’Amour selon Brigitte… C’est celui qu’elle porte aux animaux depuis toujours. En mars 1977, B.B. câline spontanément un blanchon sur la banquise canadienne. Le cliché fera le tour du monde et jettera une lumière crue sur le massacre des bébés phoques. © Amelie Da Costa / KCS PRESSE

L’image finale de votre dernier film, L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot troussechemise, en 1973, vous montre avec une colombe à la main. Et dans presque tous vos films, un animal est présent: croyez-vous aux signes?

Oui, je "crois" à beaucoup de choses "incroyables". Je crois surtout que mon destin était écrit et que je ne suis pas venue sur terre par hasard. J’ai eu une vie artificielle, puis une existence complètement terre à terre. Presque d’un seul coup. Il faut le faire, ça… J’étais traitée comme une princesse: équipe aux petits soins, voitures, chauffeurs, tapis rouges, premières, hôtels magnifiques… Et d’un coup, plus rien, si ce n’est la misère, la crasse, l’infamie. Celles que l’on imposait et que l’on fait toujours subir aux animaux. Je sais que j’ai été appelée pour lutter contre cela. Sans le sentiment de devoir remplir une mission, changer de vie à ce point-là n’aurait pas été possible.

Lors des premières émissions que vous avez enregistrées pour la défense des animaux, les journalistes qui vous recevaient étaient ironiques. On ne vous prenait pas au sérieux?

Tout le monde pensait que je faisais un caprice, que je devais passer ma crise et que je reviendrais sur les plateaux après. Cela n’a pas été le cas, malgré les propositions faramineuses que j’ai reçues! Les gens imaginaient que s’ils m’offraient des sommes fabuleuses pour tourner avec Steve McQueen ou Marlon Brando, j’allais céder. C’était mal me connaître. Je ne reviens jamais en arrière.

On parle beaucoup de B.B., le symbole de l’émancipation des femmes. Mais sur la protection animale, vous étiez aussi à l’avant-garde. Hier, le sujet était ignoré, même moqué. Aujourd’hui, il est débattu par les plus grands intellectuels…

Les femmes n’avaient pas besoin de moi pour se libérer. C’était déjà en cours. En revanche, les animaux, si! Et malheureusement, aujourd’hui, la maltraitance à leur égard est pire qu’avant. La période que nous vivons résulte directement du massacre de la nature. Le nombre des êtres humains ne cesse de croître. Ces milliards d’individus ravagent la nature, prennent sa place, polluent, créent ou diffusent des virus. Ce qui me désole, c’est l’équilibre perdu, entre l’écologie animale, naturelle et humaine. Ça me fait beaucoup souffrir. Le massacre quotidien des animaux, les forêts ravagées, l’atmosphère totalement polluée: cela m’empêche de respirer. Quand la nature souffre, je souffre aussi. Je vis...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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