Comment avez-vous eu l’idée d’un tel ouvrage ?
J’avais sollicité le président de la République pendant l’écriture de mon livre précédent consacré aux cheminots pendant la crise sanitaire. Je voulais qu’il les nomme ces autres "invisibles", qui constituaient une "deuxième ligne de front" après les soignants. Après la parution, j’ai rencontré le directeur de la communication de l’Élysée pour lui remettre des exemplaires. J’ai alors émis le souhait de portraiturer ces gens qui travaillent à l’Élysée.
Comment s’est articulé le travail avec le photographe Sacha Goldberger ?
Je voulais des images dépouillées, du simple, du clair-obscur, de l’intime travaillé au boîtier. Après mes entretiens avec les personnalités de l’Élysée, j’ai communiqué à Sacha ma vision de la lumière en fonction de ce qui m’avait été dit. Par exemple, pour Lun-Yi Hsing, le pâtissier, je souhaitais que l’on voie son auriculaire gauche, dont l’ongle est plus long.
Pourquoi ?
Parce que ce détail contient tout le portrait. Ce Taïwanais de naissance, devenu développeur informatique par nécessité, a bataillé pour atterrir en France. La pâtisserie est sa plus grande passion depuis l’enfance et il a tout fait pour entrer au service du "Château". Après avoir dégusté deux fois de suite ses poires Belle-Hélène, Brigitte Macron s’est rendue en cuisine pour le féliciter. Pendant notre entretien, j’ai remarqué son ongle, plus long que les autres. Chez lui, c’est un signe de longévité mais sa profession ne lui permet pas de l’entretenir vraiment. Il le regrette mais, selon sa grand-mère, un centimètre suffit. J’ai trouvé son histoire fondante. Cet homme porte des valeurs superbes : l’ambition, le dépassement de soi, le respect des traditions.

Beaucoup de ces employés préfèrent rester dans l’ombre…
Deux ont même tenu à poser de dos pour des questions de sécurité. Il s’agit de Marie-Christine, membre du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), qui aspire à diriger l’ensemble de la sécurité du palais si Emmanuel Macron est réélu, et de Mike, "épaule" du président. L’"épaule" est un garde du corps qui suit le président même au sein de l’Élysée. Mais effectivement, d’une manière générale, toutes ces personnes aiment la discrétion. Le photographe, entré sous la mandature Chirac, explique qu’il faisait jadis des portraits de pools. Puis, avec François Hollande, il a assisté à la tristement célèbre nuit du Bataclan. À 3 heures du matin, il shootait encore le président de la République, seul au palais de l’Élysée. Il raconte son impression d’avoir vu l’Histoire de France s’écrire sous ses yeux. Alors oui, cela donne envie de s’effacer.
Se sentent-ils chez eux à l’Élysée ?
C’est parfois plus que cela. Certains sont le lieu lui-même ! Jean-Marc, l’huissier en poste depuis 2016, vit la maison, il l’écoute. Il reconnaît le moindre de ses bruits. Il faut comprendre que tous travaillent depuis un moment à l’Élysée alors que les présidents ne font qu’y passer. Cela va changer petit à petit car, depuis Nicolas Sarkozy, l’Élysée ne propose que des contrats à durée déterminée renouvelables une fois. Les plus anciens, comme Yannick, jardinier au palais depuis 1990, vont disparaître peu à peu…

Pour les femmes, travailler à l’Élysée paraît plus compliqué…
Elles disent toutes qu’il est par exemple impossible d’avoir des enfants en bas âge et de travailler dans cet endroit. Les 35 h sont en vigueur, il y a des congés payés, mais les missions sont intenses, car tout est fonction du Président. La moindre crise (gilets jaunes, covid, attentats) bouleverse l’agenda. En tout, ce sont huit cents personnes qui doivent s’y adapter. L’Élysée fait en sorte que le président de la République n’ait pas de questions à se poser pour se consacrer pleinement à sa mission qui est de servir la France. C’est une fierté mais ça use ; c’est d’autant plus dur pour les femmes.
Pourquoi la devise "Force et honneur" revient-elle si souvent parmi les employés de l’Élysée ?
Elle exprime cette volonté d’être toujours en capacité de servir des intérêts qui dépassent les hommes, à savoir la république ou la France. C’est une devise martiale. À l’Élysée, vous trouvez, à parts égales, des militaires, des fonctionnaires et des contractuels. Les militaires intègrent leur fonction dans l’idée de défendre le symbole le plus important de notre pays : le Président, chef des armées. Servir le Président, c’est mieux que de servir un amiral. Mais d’une manière générale, la politesse est le premier diplôme de l’Élysée détenu par tous. Les militaires doivent apprendre à travailler avec des civils. Ne pas donner d’ordres.

Quelles fonctions vous ont surpris ?
Conservateur des cadeaux présidentiels est un job hallucinant ! Il faut référencer, mettre en valeur, stocker, nettoyer les cadeaux qui arrivent quotidiennement pour le couple présidentiel. Sinon, le transmetteur, qui mesure 1m90 pour 120 kg et ferait un magnifique numéro 8 au rugby, est un rouage incroyable dans toute cette machinerie humaine. Il détient tous les éléments qui permettent d’échanger avec le président qui n’a aucun téléphone sur lui. Si Emmanuel Macron veut contacter Xi Jinping en descendant d’un avion à Mulhouse, le transmetteur doit installer la communication dans un espace sécurisé. Quand le Président décide de déambuler sept heures durant dans Jérusalem, le transmetteur doit imprimer tous les documents qui parviennent au cabinet de l’Élysée et les donner à l’aide de camp. Qui décide ensuite de transmettre ou non au Président en fonction de l’importance du dossier. Si le document est paraphé, il doit immédiatement être scanné et envoyé à Paris, au secrétariat, car il finira aux Archives nationales. Quelle promenade ! Vous avez aussi la régulatrice, une conductrice de convoi qui suit la voiture présidentielle. C’est une gendarme d’élite avec un pistolet à la ceinture capable de tirer à vue si besoin. Enfin, la responsable de la correspondance, Christine Lahollande, a un nom de président de la République et une allure de première dame ! Mais cette femme suit avant tout le pouls des Français. Elle gère entre 800 et 1.000 courriers par jour. Son regard vaut mieux qu’un sondage. C’est sous la présidence Macron que son travail a finalement été considéré comme un élément essentiel de politique.
Comment sont perçues les premières dames par ces travailleurs de l’ombre ?
Comme partout, ils éprouvent de la sympathie ou de l’amour pour celles-ci quand elles reconnaissent leur travail. Bernadette Chirac considérait l’Élysée comme sa maison. Elle éteignait les lumières du palais le soir, descendait à la cave pour choisir le vin de son mari. Le chef argentier se souvient de l’invitation qu’elle a souhaité rendre à la reine Élisabeth et de son désir "que ça pète!". Elle tenait cette maison comme une aristocrate son château. Rien n’est plus agréable que des gens qui ne sont pas uniquement de passage. Bernadette tenait son rang, son rôle. Quand son mari est mort, une immense tristesse s’est fait sentir plusieurs jours au palais.
Brigitte Macron est-elle aussi appréciée ?
Avec Bernadette Chirac, elle remporte la palme de la première dame. Elle s’investit dans les lieux, a transformé la salle des fêtes. Cela n’est pas qu’une question d’amabilité, mais aussi de politesse. Quand Brigitte Macron tient à féliciter elle-même le pâtissier, le geste est naturellement bienveillant. Tout le monde l’apprécie à sa juste valeur.
Qu’en a-t-il été pendant les deux quinquennats précédant celui d’Emmanuel Macron ?
Carla Bruni n’était pas chez elle à l’Élysée. Elle vivait ailleurs. Quant à Valérie Trierweiler, elle restera à jamais dans l’esprit des gens celle qui a "pris François...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.