Siméon II de Bulgarie, les mémoires d'un roi

Tsar des Bulgares à 6 ans, il a connu l’exil à l’âge de 9 ans avant de revenir triomphalement dans un pays à peine libéré du joug communiste. Devenu Premier ministre, le roi Siméon a passé huit ans à servir la politique de son pays. Un destin romanesque que le souverain, qui fête ce 16 juin ses 81 ans, racontait à notre reporter en 2014 à l'occasion de la sortie de ses Mémoires*.

Par Pauline Sommelet - 15 juin 2018, 10h29

 Siméon de Bulgarie
Siméon de Bulgarie Carlos Alvarez/Getty Images

D’une élégance irréprochable, d’une politesse d’un autre temps, le roi Siméon promène sa haute silhouette dans les rues de Paris. En cheminant jusqu’au jardin du Luxembourg, il ne cache pas son plaisir de pouvoir arpenter la capitale française pour quelques jours consacrés à la promotion de son ouvrage.

Depuis l’âge de 6 ans, il n’a jamais eu le temps de flâner. Couronné roi après la mort mystérieuse de son père, le roi Boris III, il a incarné, même en exil, les aspirations et les espoirs des Bulgares opprimés par le régime communiste. Tout en construisant une vie de famille solide avec son épouse, Margarita Gómez-Acebo, dont il a eu cinq enfants, et en bâtissant une carrière internationale dans l’industrie. Il porte aujourd'hui un regard nuancé sur ce "destin singulier" qui l’a conduit à diriger le pays dont il était le roi.

Le roi Siméon II de Bulgarie posait en 2014 dans le jardin du Luxembourg à l’occasion de la sortie de son autobiographie, "Siméon II de Bulgarie, un destin singulier". Courtesy of Luc Castel

Grand-père comblé de 11 petits-enfants, son regard se voile quand il évoque son fils aîné Kardam, le prince héritier, victime d’un grave accident de voiture en 2008 -ce dernier est décédé le 7 avril 2015 des suites d'une infection pulmonaire, ndlr. Derrière la fontaine Médicis, les arbres aux feuilles d’or lui rappellent un instant les forêts de Bulgarie et leur odeur puissante, qui, un certain jour de mai 1991, lui sauta au visage et lui confirma qu’il était bien de retour dans son pays natal.

Sire, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre maintenant?

J’avais envie de fournir un témoignage le plus objectif possible, d’abord parce que c’est dans mon tempérament et ensuite parce qu’il est important historiquement. J’ai retrouvé bon nombre des carnets que je tiens par écrit depuis l’âge de 18 ans, ce qui constitue un bon matériau de départ. Le journaliste Sébastien de Courtois m’a aidé à faire le tri dans cette montagne de documents.

Comment avez-vous vécu votre départ de la Bulgarie avec votre mère et votre sœur, après l’assassinat de votre oncle Kyril par les communistes?

Je réalisais que nous quittions le pays contre notre volonté, qu’on ne reviendrait jamais, mais en même temps, c’était la grande aventure, car on n’avait jamais voyagé. Après le coup d’État de 1944, tout le monde a été arrêté, puis exécuté le 1er février 1945. C’était un choc terrible. Les bombardements américains et anglais étaient déjà effrayants, mais ces disparitions brutales, du jour au lendemain, c’était dur.

Vous dites, entre les lignes, que vous avez été privé d’une forme d’insouciance propre à l’enfance?

J’ai été projeté très tôt dans un monde d’adultes. Je dis même en riant que j’ai 12 ans de plus que l’âge de mon passeport. Quand mon père est mort, tout le monde s’est mis à me parler comme on lui parlait à lui. J’ai vieilli prématurément.

Siméon II à l'âge de neuf ans aux côtés de sa mère, la reine Giovanna, sur le chemin de l'Egypte en 1946. Toronto Star Archives/Toronto Star via Getty Images

Dans ce contexte, votre départ de Bulgarie marque le début d’une époque plus insouciante?

Le fait d’aller en Égypte, un pays mythique, semblait extrêmement exotique, c’était même passionnant ou en tout cas teinté d’un peu de mystère. J’ai commencé l’école, ce qui était totalement nouveau pour moi. L’Alexandrie des années 1950, tellement cosmopolite, c’était la belle époque.

Dans quel état d’esprit était votre mère, la reine Giovanna?

La pauvre a supporté tout cela avec un stoïcisme exemplaire. Elle n’a jamais eu une parole d’aigreur contre qui que ce soit. Je retrouve aujourd’hui la même grandeur d’âme chez l’impératrice Farah.

Conservez-vous des souvenirs de votre père?

Je le voyais de temps en temps. Quand il finissait son travail assez tôt, il venait nous trouver dans la chambre des enfants. Il s’asseyait, nous posait des questions et dessinait pour nous amuser. Mais le contact était très relatif. C’était une génération où l’on disait "Children are seen but not heard" -On voit les enfants, mais on ne les entend pas, ndlr-

Quant à votre grand-père, le roi Ferdinand, il était surnommé le Monarque…

C’était un nom de code entre nous, pour ne pas dire le roi-père ou le roi qui a l’air pompeux. Malheureusement, je ne l’ai pas connu car il est mort en 1948. Nous étions déjà en Égypte et quand nous sommes revenus en Europe durant l’été, ma mère avait peur de m’amener à Cobourg où il vivait depuis son abdication en 1918 car c’était à dix minutes seulement de la RDA. La pauvre craignait qu’on puisse me kidnapper.

La reine Margarita et le roi Siméon entourés de leurs enfnats et petits-enfants dans le palais royal de Tsarska Bistritsa en janvier 2018. Courtesy of Plamen Trifonov

Vous pouviez lui écrire?

Il m’écrivait dans votre langue et au crayon, avec une calligraphie merveilleuse. Je commençais ces missives par "Majesté, cher grand-père" et lui répondait par "Sire, cher petit-fils" ou "petit-fils bien-aimé", ce genre de courtoisies qui semblent d’une autre planète de nos jours…

Vous voulez dire que vos 11 petits-enfants ne vous envoient pas de telles lettres?

Il y en a même qui m’appellent par mon prénom! Cela choque certaines personnes mais moi ça m’amuse tellement, ces petits gamins qui m’appellent Siméon…

Pourquoi avoir choisi d’ouvrir votre livre sur votre retour en Bulgarie, en mai 1996?

Je trouve la chronologie assommante. Dire que quand j’étais bébé, j’étais tout petit, ça endort tout le monde. Mon retour a sans conteste été un des moments forts de ma vie, sans compter ce qui a suivi. Dans un moment aussi imprévisible, il valait mieux ne pas faire de vagues. J’ai écouté Otto de Habsbourg qui m’avait conseillé de revenir de temps en temps pour de courtes périodes, jusqu’à ce que cela semble naturel.

"De l’aéroport à la ville, en ce mémorable 25 mai 1996, nous avons traversé une vaste foule. Je me souviens d’un horizon noir de monde. Alors que le parcours ne fait qu’une dizaine de kilomètres, notre convoi mit plus de deux heures pour rejoindre le centre. Ma femme croyait que je délirais car je lui indiquais au fur et à mesure le chemin que nous allions prendre. Elle ne comprenait pas comment je savais tout cela. Parce que rien n’avait changé ! Un demi-siècle après, je reconnaissais les mêmes immeubles, les mêmes avenues, les mêmes parcs. Je me suis souvenu du chemin que nous empruntions pour nous rendre à la mairie quand j’avais 9 ans. Tous mes souvenirs revenaient peu à peu." Antoine GYORI/Sygma via Getty Images

À quel moment avez-vous éprouvé le besoin de vous engager en politique?

Cela m’est pour ainsi dire tombé dessus. Mon retour avait suscité une attente. On a songé à la présidence, mais les autorités ont trouvé des prétextes discutables pour m’en dissuader. Après la victoire de mon mouvement aux élections, j’ai passé deux semaines d’angoisse à me demander si je devais y aller ou pas. Je trouvais peu élégant de me défiler en nommant quelqu’un d’autre. Mais ce n’était certainement pas une partie de plaisir, d’autant que j’avais été élevé toute ma vie pour le rôle de roi, c’est-à-dire l’inverse: ne pas prendre parti.

Quel bilan dressez-vous de cet exercice du pouvoir?

Un défi formidable, et un effort surhumain. Je devais en plus m’initier à tous les arcanes de l’administration d’État. L’adhésion à l’Union européenne était ma priorité. Nous avons essayé aussi de modérer l’atmosphère au sein du Parlement, d’atténuer les polémiques.

Vous consacrez aussi de longs chapitres à vos décennies espagnoles et à des amitiés déterminantes dont celle du roi Juan Carlos?

Nous avons le même âge, nous sommes apparentés, nous nous sommes mariés au même moment et nous habitions dans le même pays, il y avait donc mille et une raisons pour que nous soyons très amis. Nos enfants étaient très proches, l’un de mes fils a même passé quelques mois au palais car la reine souhaitait qu’il y ait un homme de plus dans l’entourage du roi actuel, Felipe VI, qui n’avait que des sœurs.

Vous parlez aussi du roi Hassan II?

C’était quelqu’un d’un niveau intellectuel extraordinaire. Je rêve de retourner au Maroc, notamment pour voir ma fille Kalina, qui vit à Rabat après avoir passé quelque temps en Bulgarie. Son fils, Siméon-Hassan, est le premier de la famille à être né là-bas. Celui-ci va être un sacré polyglotte. L’autre jour au téléphone, il m’a dit très naturellement: "Tu sais grand-père, j’ai commencé l’arabe classique." À 7 ans, il parle déjà l’arabe dialectal. Je lui ai répondu: "Mais enfin, cela doit être terriblement difficile!" Moment de silence: "Pas tellement." Il est à l’école américaine et parle donc l’anglais, le français et l’espagnol avec ses parents, le bulgare avec la nanny et ses copains, et maintenant l’arabe… J’espère qu’il pourra venir à Noël ou que je pourrai faire un saut. Tous ces jeunes me manquent. C’est difficile pour eux de venir me voir, ça me désole mais je comprends. Le ski est une des façons pour les attirer en Bulgarie. Et cette année, on nous promet beaucoup de neige.

Le roi avec son épouse, la reine Margarita, le 19 octobre 2012 au dîner de gala organisé pour le mariage du prince Guillaume de Luxembourg et Stéphanie Lannoy. Stephane Cardinale/Corbis via Getty Images

Vous êtes le seul souverain...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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