L’intronisation du nouvel empereur du Japon et de son épouse, le 22 octobre 2019 est un événement majeur, comme il n’en est pas survenu au pays du Soleil-Levant depuis 1817. Et devant cette ère qui s’ouvre, alors que le couple souverain a célébré ses noces d’argent le 9 juin 2018, l’ambition qu’affiche officiellement l'impératrice Masako est de poursuivre la culture du ver à soie telle que la pratique sa belle-mère dans les jardins du palais impérial.
Le Kunaicho, l’omnipuissante agence de la maison impériale, va jusqu’à mettre en scène les détails de ce passage de relais. Et fait savoir à la presse que, le dimanche 13 mai dernier, le prince héritier Naruhito et la princesse Aiko ont accompagné leur épouse et mère au palais impérial où ils ont pu visiter les installations de sériculture en compagnie de Leurs Majestés.

Pourquoi ce tapage autour d’un événement mineur, sinon pour condamner Masako à l’insignifiance, lui faire bien entendre, et aussi à ses concitoyens, qu’elle sera d’abord l’impératrice des vers à soie. Amère dérision, torture subtile quand on sait les espoirs nés de son entrée au sein de la famille impériale, voici déjà 25 ans.
Fille d'un diplomate, Masako suit un parcours universitaire prestigieux
Le 19 janvier 1993, aussitôt annoncées par le palais les fiançailles de Mlle Masako Owada avec le prince héritier du Japon, la jeune femme de 29 ans devient la coqueluche de la nation entière. Les brasseurs préparent des cuvées commémoratives, des poupées à son image s’arrachent comme des petits pains, les maternités regorgent soudain de petites Masako ou de Masaji –pour les garçons.
La jeune femme apparaît-elle à la télévision avec un collier de perles? Les ventes d’articles équivalents s’envolent. Les bonnetiers britanniques sont submergés de commandes depuis qu’un reportage a montré Masako jouant avec son écharpe lors de son séjour à Oxford. Car la fiancée du prince héritier du Japon a suivi de prestigieuses études.

Née à Tokyo le 9 décembre 1963, elle est la fille de Hisashi Owada, juriste international et diplomate de haut vol, un temps ambassadeur à Washington et Moscou, vice-ministre des Affaires étrangères jusqu’au mariage de sa fille.
Elle passe le plus clair de son enfance et de son adolescence à l’étranger, entre URSS et États-Unis. Elle parle russe et anglais, mais aussi français et allemand. Diplômée de Harvard en économie, elle regagne le Japon pour étudier le droit avant d’être reçue au concours des Affaires étrangères. Chargée des négociations avec l’OCDE pour les questions environnementales, ses talents de polyglotte font merveille.
La jeune femme n'a pas les faveurs de la toute puissante agence de la maison impériale
En 1988, elle est sélectionnée par son ministère pour passer un master à Oxford. Outre ses réelles qualités, peut-être s’agit-il aussi de l’éloigner. Car elle connaît déjà, depuis deux ans, le prince héritier Naruhito.
Leur rencontre date d’octobre 1986, lors d’une réception donnée au palais Togu en l’honneur de l’infante Elena d’Espagne. Le nom de Masako aurait été ajouté au dernier moment, laissant le Kunaicho et le protocole dans l’impossibilité de vérifier le parcours et les antécédents de la jeune femme. Sinon, elle eût été écartée.
"Étrangère", c’est-à-dire pas assez japonaise avec tant d’années passées en Occident, trop intellectuelle, vouée à une carrière de premier plan et dotée d’une forte personnalité. Aux antipodes des possibles épouses, soumises et insipides, sélectionnées par l’agence de la maison impériale à l’intention d’un héritier du trône qui s’obstine à rester célibataire. Nul cependant n’aurait pu prévoir la suite.
Éperdument amoureux, Naruhito s’obstine pourtant à vouloir épouser Masako
Quelques instants de conversation entre Naruhito et Masako, au moment des présentations, allaient décider de leur destin. Le prince est amoureux. Il fait tout pour revoir Mlle Owada. Demande même au père de la brillante diplomate s’il serait prêt à penser de façon positive au mariage de sa fille.
Le vice-ministre des Affaires étrangères se retranche justement derrière le départ de Masako à Oxford. Une fin de non-recevoir polie mais sans ambiguïté. Naruhito s’obstine, le Kunaicho entre alors en scène et souligne l’implication du grand-père maternel de Mlle Owada dans le scandale écologique et sanitaire de Minamata. Une telle union souillerait la dynastie impériale.

Le prince "comprend" mais n’accepte pas. Et revient à la charge dès que sa belle rentre de ses deux années en Grande-Bretagne. Nouvelle demande, nouveau refus. Bientôt l’impératrice elle-même plaide la cause de son fils. Première roturière à avoir souffert du carcan glacé du palais, elle promet son appui inconditionnel à sa future belle-fille.
Naruhito, lui, fait serment de la protéger face aux tenants d’une cour impériale immuable. Et il tiendra parole. Il veut que Masako l’aide à faire entrer la monarchie nipponne dans le XXIe siècle. À ses côtés, elle continuera d’exercer ses talents de diplomate par d’autres moyens.
Dès l'annonce de ses fiançailles, elle subit une vague de reproches du Kunaicho
Le 9 décembre 1992, jour de son anniversaire, Mlle Owada accepte d’épouser le prince héritier du Japon. Le Kunaicho et le gouvernement feignent d’approuver ce qu’ils n’ont pu empêcher. D’autant que le Japon est sous le charme de Masako. Aux yeux de la nouvelle génération, elle est celle qui va faire évoluer la dynastie du Yamato, figée dans une tradition sur laquelle est chargé de veiller… le Kunaicho.
Pour les 1.139 fonctionnaires de l’agence chargés de régenter l’étiquette du palais, la vie, jusqu’aux moindres gestes, au moindre mot de chaque membre de la famille impériale, c’est un casus belli. Dès la conférence de presse du 19 janvier 1993, au moment même où Naruhito et Masako annoncent leurs fiançailles, les reproches du Kunaicho pleuvent sur la future princesse.

Elle a osé parler durant 9 minutes et 37 secondes, soit 28 secondes de plus que Naruhito. Crime de lèse-majesté! Comme par un fait exprès, la fiancée impériale dépasse le mètre soixante-trois de Naruhito. N’importe, la voilà condamnée aux talons plats et à la vérité officielle. La presse nipponne est invitée à affirmer que Masako mesure un pouce de moins –2,54 cm– que le prince héritier. Et ce n’est là qu’un début.
Bien sûr, Masako a dû renoncer à son poste de diplomate chargé des relations économiques avec les États-Unis. Une semaine avant son mariage, le 9 juin 1993, son nom disparaît du registre d’état civil japonais. Elle n’existe plus face à la loi. Ainsi l’exige la tradition: l’empereur, l’impératrice et leurs descendants directs demeurent des dieux vivants dans le coeur de leurs sujets, en dépit de la constitution de 1947. En témoigne la cérémonie nuptiale elle-même.
"En ce jour chanceux, j’épouse Masako Owada que je chérirai pour l’Éternité…"
Arrivés séparément, les futurs époux ont accompli le premier rite: un bain purificateur, magnifiant l’aspect sacrificiel de l’union. Suit l’interminable habillage. À 10 heures du matin apparaît une silhouette enveloppée dans une robe de cour composée de 12 kimonos superposés, le junihitoe, vêtement des épouses impériales. La coiffure de Masako à elle seule pèse dix kilos.
Depuis deux jours, elle n’a pas mangé et presque pas bu. Majestueuse, à petits pas, elle gagne le sanctuaire dédié à la déesse du soleil, Amaterasu, où l’attend Naruhito. Accompagnés du seul officiant shinto, les deux futurs époux franchissent le seuil du temple Kashikodokoro.
Offrandes, libations sacrées, le rite se déroule, nimbé de mystère. Le prince présente à la déesse sa femme. "En ce jour chanceux, j’épouse Masako Owada que je chérirai pour l’Éternité…"

Dès le premier mot, les 800 invités se lèvent et s’inclinent. Ils ne se trouvent pourtant pas dans le temple, mais suivent la cérémonie depuis le pavillon Nishi Akusha, distant de 50 mètres. Suivant les règles du protocole, l’empereur et l’impératrice sont absents. Il aura suffi de 14 minutes pour métamorphoser une diplomate en princesse. Une fois retirés les 12 kimonos, Masako arbore diadème et robe blanche à l’occidentale.
Au côté de son époux en habit, elle se rend auprès de l’empereur et de l’impératrice. Il est 15 heures. Naruhito annonce solennellement à ses parents que la princesse est sa femme. Akihito lui répond par ses voeux. Seule manifestation publique de la journée, la parade.
Devant 200.000 Japonais enthousiastes mais pleins de retenue, le couple parcourt en Rolls découverte les quatre kilomètres qui le sépare du palais Togu, résidence du prince héritier. Après quoi, les portes se referment.
Cernée par un entourage hostile, la princesse s’enfonce rapidement dans la dépression
"Je lui souhaite de devenir une bonne ambassadrice impériale auprès des chefs d’État et hommes politiques qu’elle va être amenée à rencontrer", confiait à Point de Vue Akemi Inaoka, une amie intime de Masako, peu avant le mariage.
Le 10 juillet 1993, tout indique qu’elle est exaucée. Tokyo accueille la réunion des sept pays les plus industrialisés de la planète. Un banquet a lieu au palais en l’honneur des chefs d’État étrangers. Et la presse internationale ne parle que de la princesse Masako, maîtrisant parfaitement l’anglais, le français, l’allemand et le russe, s’entretenant avec les présidents Clinton et Eltsine. C’en est trop! Le Kunaicho rappelle que "toute idée de vouloir établir une diplomatie impériale est hors de question. La famille impériale n’a qu’une mission: prier pour le bonheur des Japonais".

Dès lors, le sort de Masako est scellé. Elle se trouve mise sous le boisseau et tout est entrepris pour affaiblir le lien qui l’unit à la jeunesse nipponne. Au contraire de sa belle-mère qui, lorsqu’elle était elle-même princesse, s’adressait à la presse à l’occasion de son anniversaire, l’épouse de Naruhito doit répondre par écrit aux questions...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.