Dans l’enceinte du palais royal de Phnom Penh, face à la pagode d’argent, s’élèvent de légères mélodies jouées par un ensemble de xylophones, de cymbales et de tambours tonneaux. Sous un pavillon aux tentures blanches et or, des bonzes défilent devant le roi Sihamoni du Cambodge et sa mère, la reine Monineath. Vêtus de leurs robes safran et bronze, les cent moines conviés pour rendre hommage au roi Sihanouk, dont on célèbre les dix ans de la disparition en ce 15 octobre 2022, sont les représentants des ordres monastiques Mohanikay et Thammayut, les plus importants du royaume. En remerciement de la bénédiction qu’ils viennent de prononcer pour le souverain défunt, ils reçoivent en offrande des corbeilles de fruits, de gâteaux secs et autres présents.

Une double commémoration
Vêtu du dolman et du Kben traditionnels, le roi Sihamoni s’incline face à chacun d’eux, les mains jointes. La reine mère se tient auprès de lui et accomplit inlassablement les mêmes gestes, les yeux brillant de gratitude envers ces bonzes qui ont prononcé les prières-hommages. La procession monacale se poursuit maintenant devant les plus hautes autorités du pays, le président du Sénat Say Chhum, le président de l’Assemblée nationale Heng Samrin, le Premier ministre Hun Sen, le ministre du Palais royal, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Défense, tous vêtus de blanc. Sans oublier plusieurs membres de la famille royale du Cambodge, dont la princesse Arunrasmy, fille du roi Sihanouk, et son frère le prince Chakrapong. La princesse Marie, ex-épouse du prince Ranariddh, et la princesse Moni Kossoma, fille aînée de la princesse Buppha Devi, sont également présentes. Les dernières offrandes que reçoivent les bonzes leur viennent des mains de la princesse Pongneary, cousine du roi Sihanouk, et du prince Preya Sophon, frère du souverain défunt.

Au fond du pavillon, de part et d’autre d’une statue du dieu Bouddha, trônent un portrait du monarque bien aimé et une statue plaquée or à son effigie. C’est par la prière silencieuse de la reine Monineath et du roi Sihamoni face à l’autel du roi père qu’a commencé la cérémonie. Juste après avoir été accueillis par les bakous, des brahmanes du palais soufflant dans des conques pour leur souhaiter la bienvenue, le roi du Cambodge et sa mère se sont signés devant le portrait du défunt Norodom Sihanouk, avant de déposer plusieurs couronnes de jasmin. Symbole de dévotion, la fleur embaume les lieux de son parfum puissant et sert ensuite aux bonzes qui en répandent les bourgeons retombant en fine pluie aux pieds du roi et de la reine en guise de bénédiction. Les prières prononcées rappellent aux invités présents toutes les gloires de "Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, père de la nation, père de l’indépendance, père de l’intégrité territoriale". Le matin même, le Premier ministre Hun Sen a justement adressé un message à la nation pour évoquer les "sacrifices du défunt souverain, sa dévotion, corps et âme à notre mère patrie".

Deux jours avant la cérémonie, ce jeudi 13 octobre, la reine Monineath rendait quant à elle un hommage appuyé à l’action de son époux, exhumant pour Point de Vue des photographies symboliques des plus grandes heures d’un règne exceptionnel. Dans l’un des salons du pavillon Kantha Bopha, au palais royal, les souvenirs affleurent ainsi au gré des images, suscitant le doux sourire de la reine mère ou une observation prononcée d’un ton calme. "Il restera le père de l’indépendance du pays, obtenue auprès des Français en 1953 et sans une goutte de sang versé".
Les souvenirs de la reine Monineath
À cette époque, Norodom Sihanouk a 30 ans. "J’étais à ses côtés. Mon fils, le roi Sihamoni, venait de naître, mais cela ne m’a pas empêchée de rejoindre mon époux dans les premières provinces autonomes du pays pour poursuivre une lutte active mais pacifique. Nous avions des fusils en bois !" À cette évocation, la princesse Arunrasmy, fille de Norodom Sihanouk, et Son Excellence Julio Jeldres, secrétaire privé du défunt roi, tous deux présents lors de cette audience accordée à Point de Vue, ne peuvent réprimer un sourire amusé.

De cliché en cliché, la reine mère poursuit son récit, rappelant les liens amicaux de son époux avec de grands chefs d’État, qu’il s’agisse du général de Gaulle, qui a appuyé le Cambodge en tant que pays non-aligné durant la guerre froide, ou encore du Premier ministre chinois Zhou Enlai, qui a offert à la famille royale un soutien sans faille après le coup d’État de Lon Nol, le 18 mars 1970.

C’est aussi à l’artiste inlassable que la reine Monineath choisit de rendre hommage. Le roi père était réalisateur de films à ses heures et chanter était une des choses qui le passionnaient le plus. "Entre 1940 et les années 1970, Il a écrit et composé plus de 48 chansons. Ses œuvres ont d’ailleurs été plusieurs fois rééditées par des orchestres internationaux et, puisque nous célébrons aussi le centenaire de sa naissance, le 31 octobre, la princesse Arunrasmy a organisé un grand concert au théâtre Chaktomuk, où seront jouées certaines de ses compositions". Cet événement inédit réunira les musiciens qui ont toujours accompagné Sihanouk. Pour la reine Monineath, permettre aux Cambodgiens de découvrir les chansons de son époux, c’est en quelque sorte rappeler combien il était populaire. Celui que tous appelaient "Monseigneur Papa" aimait communier avec son peuple, dans les heures sombres comme dans les moments heureux.

"Il aimait aller à la rencontre des gens simples. Après la restauration de la monarchie, en 1993, il a organisé le traditionnel petit-déjeuner dans les jardins du palais royal où tout le monde pouvait venir". Et bien avant, dès les années 1960, il n’était pas rare de le voir en short et tee-shirt, participant à des travaux dans les provinces du pays. "C’était sa façon d’inciter tous les Cambodgiens, même les ministres ou fonctionnaires du gouvernement, à œuvrer à la reconstruction du pays". Parmi tous les souvenirs étalés face à la reine mère, un portrait de son fils le roi Sihamoni, le jour de son...
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