Sous les arcs gothiques du XIIIe siècle, seuls montent les fumées d’encens dispensées par le thuriféraire et les chants grégoriens qui émanent des stalles où a pris place la communauté bénédictine de Pannonhalma. L’abbé général de cette abbaye territoriale créée en 996, monseigneur Cirill Hortobágyi, s’avance vers le premier rang de l’assemblée, occupé par l’archiduc Georg d’Autriche-Hongrie et le vice-Premier ministre de Hongrie, Zsolt Semjén. Au fils cadet du dernier prince héritier de l’empire austro-hongrois, il dit qu’Otto de Habsbourg "aura été une sorte de prophète de son temps et un chrétien engagé pour la paix". Georg s’incline. En ce 4 juillet 2021, dix ans jour pour jour après la disparition de son père, la messe célébrée en sa mémoire vient de commencer.

Le choix de Pannonhalma ne doit rien au hasard. "Mon père me parlait beaucoup de l’abbaye", confie Georg de Habsbourg, dont le frère aîné, Karl, chef de la Maison impériale, vit en Autriche. "Ce sont des professeurs bénédictins d’ici qui sont allés l’enseigner pendant l’exil, à la demande de ma grand-mère, l’impératrice Zita. Il a créé avec eux une relation très proche, très métaphysique, qui n’a jamais été rompue. Il n’avait pas 10 ans lorsque son propre père, le bienheureux Charles Ier, s’est éteint. Moi-même, je me souviens lorsqu’il m’a accompagné à Pannonhalma, à l’été 1991. Le lycée de l’abbaye était fermé. J’y ai passé deux mois à apprendre la langue magyare. Mon père voulait montrer combien il était proche de la Hongrie. Le seul vœu qu’il a exprimé était que son cœur soit enterré ici, dans la crypte de la basilique." Il y a rejoint la princesse Stéphanie de Belgique, veuve de l’archiduc Rodolphe, et son second époux, le prince hongrois Elemér Lónyay.
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Rien ne pouvait mieux répondre aux circonstances du jour que l’Évangile de Marc, chapitre VI, versets 1 à 6. "Jésus partit de là, et se rendit dans sa patrie. Ses disciples le suivirent. Quand le sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue. Beaucoup de gens qui l’entendirent étaient étonnés et disaient : D’où lui viennent ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et comment de tels miracles se font-ils par ses mains ? N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? Et il était pour eux une occasion de chute. Mais Jésus leur dit : Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents, et dans sa maison. Il ne put faire là aucun miracle, si ce n’est qu’il imposa les mains à quelques malades et les guérit. Et il s’étonnait de leur incrédulité. Jésus parcourait les villages d’alentour, en enseignant."
"Mon père a toujours été convaincu qu’on pouvait avancer ensemble"
À l’instant de l’homélie, sans qu’il soit nécessaire de faire allusion à Otto de Habsbourg, monseigneur Cirill Hortobágyi, parle de la vocation du prophète, de son âpreté, de la foi qui donne la force de poursuivre, dans et hors de son pays, dans et hors de sa propre religion. Au deuxième rang de l’assemblée, derrière l’archiduchesse Eilika, née duchesse d’Oldenbourg, et ses trois enfants, Charles Constantin, Ildiko et Sophie, se tient justement Husein Kavazović, grand mufti de Bosnie-Herzégovine, le plus haut dignitaire musulman d’Europe. Et, à quelques rangées à peine, le grand rabbin Istvan Darvas, l’un des chefs de la communauté juive de Hongrie.

"Il est très rare que toutes les religions abrahamiques prennent part ensemble à une célébration et puissent ensuite dialoguer, sourit Georg de Habsbourg. C’est ce qui m’a le plus ému dans cette messe. Trop souvent, l’on met davantage l’accent sur les conflits que sur les buts communs à chaque religion. L’empire austro-hongrois est un espace où elles ont toutes coexisté de façon harmonieuse. Durant la Première Guerre, c’était la seule armée avec des évêques militaires, des rabbins militaires et des imams militaires qui ont prié côte à côte pour la victoire et la famille impériale. C’était la tradition du territoire. Mon père a toujours été convaincu qu’on pouvait avancer ensemble, qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de la foi. La force de son nom a permis de réunir ici les trois religions du Livre autour de sa mémoire."
Après communion et bénédiction finale, les moines se retirent en procession au son des orgues, tandis que l’assistance reste en place. Jusqu’au retour de monseigneur Cirill Hortobágyi et de son prédécesseur à la tête de Pannonhalma, monseigneur Asztrik Varszegi. "Il a très bien connu mon père, dont il était proche. C’est un ami de notre famille." Ensemble, les deux abbés généraux invitent Georg, son épouse, ses enfants, le vice-Premier ministre, le grand mufti de Bosnie-Herzégovine, le grand rabbin de Budapest et les membres éminents de la jeune Fondation Otto de Habsbourg à les suivre dans la crypte pour un ultime hommage à l’archiduc défunt, devant la plaque où a été déposé son cœur.
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