Enquête. Opération transparence sur le train de vie des rois

Pour convaincre de leur usage raisonné des deniers publics, les cours dévoilent chaque année un peu plus de détails sur leurs dépenses. Quitte à prêter le flanc à la critique. Salaires des monarques, frais de déplacement ou encore logements de fonction dans les palais : plongée dans ces comptes, tout à fait publics.

Par Angélique d'Erceville - 26 février 2021, 07h20

 Aux Pays-Bas, la lisibilité des comptes ne fait pas taire les critiques au sujet du coût de la famille royale...
Aux Pays-Bas, la lisibilité des comptes ne fait pas taire les critiques au sujet du coût de la famille royale... © Agence Abaca

Combien les études de Leonor d’Espagne au pays de Galles vont-elles coûter au contribuable ? La question agite le pays depuis l’annonce de l’inscription de la princesse héritière à l’UWC Atlantic College. Son père, le roi Felipe VI, avait pourtant pris soin de déminer le terrain en précisant dès le départ qu’il payerait les quelque 67.000 livres sterling (77.000 euros) de frais de scolarité sur son allocation personnelle.

Il n’empêche. Cette expatriation scolaire a relancé la polémique autour du coût de la famille royale, de la subvention annuelle qui lui est accordée et du rôle de chacun de ses membres.

Felipe VI a réduit les dépenses de la monarchie espagnole

Pourtant, depuis son accession au trône en 2014, Felipe VI travaille à redorer le blason familial, écorné par les écarts de conduite de son père, le souverain émérite Juan Carlos Ier. Ainsi, pour la troisième année consécutive, le monarque a gelé le salaire du "comité de direction" de la Casa Real pour 2021, c’est-à-dire le sien, ainsi que ceux de son épouse, la reine Letizia, et de sa mère, la reine Sophie.

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Felipe a par ailleurs réduit significativement les dépenses de sa maison, en supprimant l’allocation payée jusqu’ici à Juan Carlos. La mesure devait être gage d’exemplarité. Mais le coût facial de la monarchie espagnole a beau être le plus bas de toutes les couronnes européennes – 8,4 millions d’euros pour 2021, contre 13,4 millions par exemple pour la couronne suédoise – et les efforts mis en œuvre pour le contenir réels et louables, le système continue de prêter le flanc aux critiques par manque de transparence.

Certes, le salaire du roi est public, comme le prix du contrat passé pour renouveler les logiciels de la Casa Real, mais aucun compte n’est fait des dépenses engendrées par l’entretien des treize palais et châteaux dont la famille conserve l’usufruit, ni des voyages officiels.

Les services publics du patrimoine s’acquittent des charges de personnel et de la réfection des résidences, tandis que le ministère des Affaires étrangères inclut dans ses comptes les montants dépensés pour les déplacements du chef de l’État. Cette opacité laisse les détracteurs de la monarchie jouer les comptables et publier des estimations plus ou moins farfelues du coût réel de la maison royale espagnole.

Le Royaume-Uni parmi les meilleurs élèves 

Afin de conserver l’adhésion de leurs compatriotes, la plupart des familles royales misent donc sur la transparence. Les plus réticentes sont accompagnées sur ce chemin par des parlementaires, pressés de faire taire les polémiques incessantes et d’assurer la stabilité des institutions.

De l’avis de tous, la Grande-Bretagne fait la course en tête. "Le système budgétaire utilisé en Norvège et au Royaume-Uni est le plus transparent, suivi par la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Les deux monarchies restantes – le Luxembourg et l’Espagne – sont les moins transparentes", analyse Herman Matthijs, professeur à l’université de Bruxelles et auteur du livre Quel est le coût des principales monarchies et républiques du monde occidental ? (en anglais, chez Lambert Academic Publishing).

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Outre-Manche, la notion de liste civile a disparu au profit de la Subvention royale – Sovereign Grant –, instituée par la loi du 1er avril 2012. Versée annuellement aux Windsor, cette enveloppe est calculée au prorata du revenu des actifs de la Couronne – les domaines des Crown Estates.

L’utilisation de cette subvention par la famille fait ensuite l’objet d’un rapport annuel, détaillant comment les deniers publics ont été utilisés. Le sérieux du modèle britannique tient dans la volonté qu’aucun autre coût imputable à la famille royale ne vienne grever les budgets de l’État – exception faite de la sécurité dont le montant ne peut être dévoilé... justement pour raisons de sécurité.

Auditer les comptes des maisons royales

Quelques années avant le Royaume-Uni, les Pays-Bas ont institué un modèle consistant à réunir dans le Budget du roi l’ensemble des frais inhérents à sa vie personnelle et ses fonctions. Depuis 2008, ce montant global est publié chaque année et divisé en deux composantes : les salaires des membres de la famille et les dépenses de personnel ou annexes.

Pour 2021, le coût global de la famille d’Orange-Nassau revient à 45,7 millions d’euros. Le roi Willem-Alexander percevra six millions d’euros, dont un million de revenu direct – ce qui en fait le monarque le mieux rémunéré des cours occidentales. En 2013, sous la pression du Parlement, la Belgique a modifié ses lois pour s’inspirer du modèle néerlandais.

En parallèle, toutes les institutions se dotent de garde-fous. En Espagne, un poste de contrôleur de la Casa Real a été créé dès 2007 et les comptes sont épluchés par un haut fonctionnaire de l’État depuis 2015. Au Danemark, c’est l’entreprise Deloitte, le leader mondial dans le domaine, qui audite les comptes de la maison royale.

La transparence ne fait pas taire les critiques

Mais la transparence appelle la transparence. Et partout, les trains de vie sont scrutés à la loupe. Si l’on reconnaît à Élisabeth II une certaine frugalité, sa fortune personnelle fait l’objet de polémiques récurrentes. Avec un trésor estimé à 405 millions d’euros par le quotidien The Times, la reine se classait 356e fortune du pays en 2020. Les Windsor ne sont pas seuls à être attaqués.

Aux Pays-Bas, la clarté n’éteint pas tous les feux. "Notre modèle est plutôt bon et assez lisible, mais la transparence n’est pas totale. Pendant des années, nous avons payé sans le savoir pour l’entretien du bateau privé de la princesse Beatrix (le Dragon vert), car il était pris en charge par le ministère de la Défense", rappelle Rick Evers, journaliste néerlandais.

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L’expert royal, qui publiera en avril 2021 une biographie autorisée de la reine Maxima, souligne également la question du mobilier des palais mis à disposition de la famille régnante. Vendus à l’État par l’ancienne reine Juliana, leur entretien est désormais à sa charge. Problème : le souverain reçoit toujours une solde pour s’en occuper...

Ces jours-ci, c’est le salaire envisagé pour Catharina-Amalia des Pays-Bas, qui fêtera ses 18 ans le 7 décembre 2021, qui oppose les candidats aux prochaines législatives. Pour le seul mois de décembre, elle percevra 20.000 euros...

Avec la crise sanitaire, un seul mot d’ordre  : sobriété

La cote de popularité des familles royales est intimement liée à leur coût et inversement. La question sous-jacente de ces polémiques est celle de l’enrichissement personnel. Pourtant, nombreux sont les monarques à donner des gages en réduisant leur train de vie, ou celui de leur cour.

En 2019, le roi Carl XVI Gustaf de Suède a fait baisser les coûts pour le contribuable en rayant cinq de ses petits-enfants de la maison royale. Avec la crise sanitaire qui ébranle les économies, le mot d’ordre est plus que jamais à la sobriété.

À Monaco, le prince Albert a ainsi baissé de 40 % le budget de fonctionnement du Palais. Plusieurs familles royales – Luxembourg, Pays-Bas – ont aussi annulé leurs vacances au ski.

Si, partout, la crise fragilise les équilibres installés, la reine Élisabeth II semble au contraire en sortir renforcée. Son discours prononcé lors du premier confinement a été suivi par 24 millions de Britanniques. Elle a endossé son rôle de solide chef de la nation et de l’unité du royaume. Ce qui, en ces temps troublés, n’a pas de prix.

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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