Emanuele Filiberto de Savoie, prince des Tifosi

Passione Popolare, "passion populaire" en VF. L’accroche au fronton du club de tifosi dit tout de cette fièvre qui étreint le peuple italien en général et la petite ville de Torre Annunziata en particulier. Au sud de Naples, la cité jadis célèbre pour ses fabriques de pâtes artisanales s’enorgueillit de soutenir l’une des équipes les plus anciennes du pays, l’AC Savoia 1908. Et peu importe que la formation évolue aujourd’hui en série Eccellenza, l’équivalent chez nous d’un classement en National 3. Depuis l’annonce de sa reprise par le prince Emanuele Filiberto, l’avenir semble radieux. Lorsque sa voiture se gare devant le petit local du 6 via Vesuvio, le prince, en veste noire ornée du fameux blason de gueules à la croix d’argent, est accueilli comme un roi. La rue ponctuée de ballons blancs est en fête. Les supporters déchaînés scandent un "Alle Savoia !" retentissant qui préfigure le répertoire local de la liturgie sportive. 

"Avanti Savoia !"

À peine arrivé, ce petit monde s’engouffre dans la pièce unique entièrement recouverte des images de l’histoire du club. En bonne place, les coupures de presse montrant le prince Victor-Emmanuel de Savoie, son épouse Marina et leur fils le prince Emanuele Filiberto se voyant offrir le maillot du club en 2003, lors de leur première visite de Naples, à leur retour d’exil. "Après l’adoption de la République, en 1946, beaucoup de choses ont changé en Italie, nous glisse le prince. Des lieux au nom de la maison de Savoie ont été débaptisés. J’ai été très impressionné que ce club, fondé en 1908 par trois producteurs de pâtes, ait conservé ce nom. Ayant servi dans le régiment Savoia Cavalleria, dont le ralliement lors des charges se faisait au son d’'Avanti Savoia !'' ils ont souhaité que ce cri devienne celui de leur équipe, raison pour laquelle elle est ainsi baptisée. Quant à la couleur blanche du maillot, elle symbolise la farine servant à la fabrication des pâtes."

Durant sa longue histoire, l’AC Savoia 1908 connaît des hauts et des bas, avec un meilleur classement dans l’élite de la série A remontant à 1924. Puis, il y a six mois, tout bascule. "Lors d’une vague d’arrestations de membres de la Camorra, il a été établi une connexion entre ces gens et l’équipe, poursuit Emanuele Filiberto. La présidence de l’époque a dû lâcher le club, qui a ensuite été repris par quatre tifosi sans moyens. Sans savoir où j’allais, je suis venu à Torre Annunziata à la rencontre de Nazario Matachione, qui en est depuis devenu le nouveau président. En peu de temps, nous avons décidé de reprendre ce club à l’abandon, dont la réputation avait été salie par la malavita. Mon objectif est de redonner vie et espoir, et de le développer afin de le faire monter le plus haut possible."

Sur les tables, entre deux gobelets de prosecco, les nouvelles écharpes aux couleurs du club font sensation. Chacun écoute religieusement les mots de remerciements du prince et le discours enflammé du président Matachione. Le Passione Popolare est l’une des quatre associations de tifosi soutenant l’équipe. Outre cette flamme inextinguible, l’autre trésor du club est ce vaste stade Alfredo Giraud, en travaux, qui peut accueillir 12.000 spectateurs. Le prince de Savoie entend faire de cette enceinte, avec vue imprenable sur le Vésuve, une académie sportive pour les jeunes.

"Elle pourrait être la première d’un programme que j’aimerais étendre à toute l’Italie afin de les soustraire à l’influence de la rue. Nous allons essayer de nous occuper des enfants dès leur sortie de l’école ou de chez eux. Des bus viendront les chercher pour éviter le danger de se voir tenté par un petit boss leur proposant un peu d’argent en échange d’activités criminelles. Ils iront directement au stade où ils seront pris en charge afin de s’intéresser au sport et à ses valeurs. L’espoir est que, petit à petit, les mentalités changent." 

Un projet fou pour ses filles

Après ces instants festifs, une caravane de voitures se forme dans les rues de Torre Annunziata pour gagner la ville voisine de Pompéi. La rencontre du jour oppose les deux cités de Campanie évoluant dans la même série. "Sur le papier, on devrait perdre, reconnaît le prince. Nous jouons contre la deuxième équipe du championnat alors que nous sommes quinzièmes. Mais si jamais on gagne, je peux vous assurer que vous aurez de belles images." Le pronostic s’avère hélas juste, car après avoir opposé une belle résistance lors de la première mi-temps, l’équipe s’incline par quatre buts à zéro dans la deuxième période.

En revanche, côté images, l’AC Savoia 1908 remporte haut la main le match des tribunes. Face aux supporters de Pompéi qui n’occupent qu’un petit côté du stade, ceux de Torre Annunziata ont investi toute la longueur du terrain dans une ambiance indescriptible de mégaphone, grosse caisse et fumigènes, chauffés à blanc par la présence d’Emanuele Filiberto de Savoie. Chacun veut son moment auprès du prince, pour grappiller un selfie et surtout lui témoigner sa gratitude pour son action en faveur du club. 

Avec ce projet fou, Emanuele Filiberto de Savoie ajoute une corde à son arc déjà bien fourni. Car en parallèle, le prince continue de développer sa chaîne de restauration Prince of Venice aux États-Unis et mène un ambitieux projet dans le métaverse intitulé TheRoyaland. Ce soir encore, il a rendez-vous dans un hôtel de Pompéi avec un cercle d’investisseurs pour présenter sa nouvelle société, Casa Reale Holding, qui permettra de financer l’académie sportive et propose, grâce à un contrat avec Mastercard, les premières cartes de crédit à l’emblème de la maison de Savoie. Y aurait-il une "méthode" Emanuele Filiberto de Savoie, consistant à porter l’histoire et le nom de sa famille dans des projets variés ?

"J’ai parfois l’impression que c’est de l’irrationalité complète !,...