Sa tenue n’a pas varié depuis le VIIIe siècle. Il porte le korozen nogoho, un vêtement de la couleur la plus profonde du soleil à son lever et réservée au seul souverain. Dans sa dextre, le sceptre de bois onshaku, symbole de dignité. Sur sa tête, une coiffe impériale, la ryuei-no-onkanmuri.
Tandis qu’il finit de remonter le corridor du hall d’État Seiden, il est précédé d’un chambellan tendant devant lui la Kusanagi-notsurugi, l’épée sacrée, et suivi d’un autre chargé des Yasakani-no-Magatama, les perles de jade du Trésor, les deux emblèmes qui tiennent lieu au Japon de couronne.
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Les plus hauts représentants de 191 pays des cinq continents ne quittent pas Naruhito du regard alors qu’il est désormais de plein droit le 126e tenno du pays du Soleil-Levant. Le temps d’une incroyable journée, Tokyo est le nombril du monde.
Maintenant, voici Masako. Comme un souffle de soie, elle avance suivant l’épais tapis. En cette cérémonie d’intronisation, ni l’impératrice ni l’empereur ne doivent toucher le sol. Sa lourde robe de cérémonie, l’on-itsutsuginu, composée de cinq épaisseurs, ne laisse pas voir les pieds.
Elle avance, présence immatérielle, le corps annihilé par la carapace de tissus précieux, le visage indéchiffrable, encadré par l’osuberakashi, altière coiffure de Cour qui lui fait une étrange et haute couronne de cheveux. Elle avance, les mains serrées sur l’on-hiogi, l’éventail de cérémonie, et laisse derrière elle la salle d’État Matsu-no-Ma, littéralement la salle de pin, où tout vient de se jouer en trente minutes.
Les Japonnais ont vibré au rythme de l'avènement de leur empereur
Depuis des mois, le pays du Soleil-Levant vit au rythme des annonces et des préparatifs, démontage et remontage des monumentaux trônes impériaux, transportés le temps de la cérémonie suprême du palais de Kyoto à celui de Tokyo, nombre sans précédent de pays invités, mobilisation de 26.000 policiers…
Jusqu’à ce 12 octobre et la tragédie meurtrière causée sur l’archipel nippon par le typhon Hagibis, à dix jours de l’intronisation de l’empereur Naruhito. Aussitôt, le couple souverain fait part aux victimes et à leurs familles de ses prières et de sa profonde compassion. Mieux, il repousse au 10 novembre la parade qui devait permettre à la population de communier à l’avènement de son 126e tenno, l’après-midi du 22 octobre. Le temps de panser les plaies les plus béantes.

Cependant, en ce matin de l’intronisation, malgré la pluie qui tombe dru, malgré le vent, n’écoutant que leur ferveur, des Japonais se sont rassemblés sur le parcours menant les voitures de Naruhito et de Masako de la résidence Akasaka au palais impérial pour la partie la plus religieuse des cérémonies. Petite foule émouvante, serrée au long des carrefours et au plus près de la porte Nijubashi.
Le simple fait d’apercevoir l’empereur ou l’impératrice déclenche chez certains des larmes de joie. Un témoignage de leur attachement à ce couple très uni, à cette souveraine dont ils ont partagé les années de tristesse et d’incertitude. Ils sont la partie émergée de l’iceberg quand la plupart de leurs concitoyens ont décidé de tout regarder depuis leur poste de télévision.
Tokyo la paradoxale, entre tradition millénaire et haute technologie, entre douves féodales et architecture dernier cri, est étonnamment calme. Apparence trompeuse puisqu’un sondage réalisé en septembre pour la chaîne de télévision NHK indique que 72% des Japonais se disent intéressés par la famille impériale et 69% trouvent qu’elle est devenue plus proche d’eux.
Naruhito est monté sur le trône du Chrysanthème devant 2.000 invités
Il est 9h lorsque Naruhito apparaît, au long des corridors menant aux trois sanctuaires du palais impérial. Depuis une salle en contrebas, s’inclinent le prince Akishino, son épouse et ses filles, la princesse Tomohito de Mikasa et ses filles, le gouvernement et les dignitaires. L’empereur a revêtu le ohikinohshi blanc, qui le désigne comme le grand prêtre du shinto.
Déjà escorté du grand chambellan de la cour, des porteurs de l’épée sacrée et des perles du Trésor, il entre dans les sanctuaires, tour à tour, annoncer à la déesse du Soleil Amaterasu, puis à tous ses ancêtres qu’il monte aujourd’hui sur le trône du Chrysanthème. Quand il s’est retiré, vient le tour de Masako, elle aussi drapée de blanc, précédée d’un chambellan et suivie de deux dames d’honneur, qui portent sa traîne.

Déjà, les premiers des 1.999 invités à l’intronisation proprement dite, la Sokuirei-Seiden-no-gi, commencent d’arriver dans les salles perpendiculaires et parallèles au grand hall d’État. Membres du gouvernement japonais, des corps constitués ou de la Diète, mais aussi diplomates étrangers, présidents, Premiers ministres, rois, sultans, cheikhs, princes souverains et princes héritiers… Pour les seules monarchies, 24 couronnes sont représentées.
Aux premiers rangs, le prince de Galles bavarde avec Frederik et Mary de Danemark sous le regard de Haakon de Norvège. Discret, Alois de Liechtenstein est assis un peu en retrait. À quelques sièges de là, voici Philippe et Mathilde de Belgique, non loin de Willem-Alexander et Maxima des Pays-Bas, du prince Albert II de Monaco et du grand-duc de Luxembourg. Felipe et Letizia d’Espagne voisinent avec l’émir du Qatar, tandis que Carl XVI Gustaf de Suède se souvient d’une autre cérémonie d’accession au trône du Chrysanthème, celle d’Akihito, en 1990, la première à se tenir à Tokyo.

Il y avait assisté avec la reine Silvia, quand aujourd’hui la princesse héritière Victoria l’accompagne. Le prince Charles, à l’époque, était venu avec Diana. Les royaumes d’Afrique sont au rendez-vous avec le prince Moulay Rachid, frère du roi du Maroc, le roi et la reine de Lesotho, et Mswati III de Swaziland, devenu l’an dernier l’Eswatini. Il faut y ajouter sept monarchies du Moyen-Orient et une présence naturellement remarquée des souverains d’Asie, entre le sultan de Brunéi, le roi et la reine du Bhoutan, Norodom Sihamoni du Cambodge et le roi de Malaisie. Sans oublier, pour
La princesse Aiko et le prince Hisahito étaient absents de la cérémonie
Il est 12h50 lorsque le Premier ministre Shinzo Abe, les présidents de la Diète, de la chambre des conseillers et de la cour suprême, tous en habit, suivant le protocole, entrent dans la salle Matsu-no-Ma où ont été dressés le Takamikura, haut de six mètres et demi, et le Michodai, plus petit de près d’un mètre. Il s’agit là respectivement du trône impérial et du "siège auguste" réservé à l’épouse du souverain. En réalité deux kiosques monumentaux surmontés de phénix, symboles solaires et de résurrection éternelle, et pour l’instant fermés de rideaux de soie violette. Car ce qui va s’y accomplir reste nimbé d’un mystère sacré.
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Voici le prince Akishino. Il longe le corridor du hall d’État pour rejoindre à son tour la salle Matsu-no-Ma. Et arbore un gosokutai orange vif, couleur réservée à l’héritier du trône qu’il deviendra officiellement le mois prochain. Suivent en procession les autres membres adultes de la famille impériale. Son épouse, la princesse Kiko, et ses filles, les princesses Mako et Kako. Ensemble, ils se placent auprès du Takamikura.
En face, le prince Hitachi et son épouse, puis la princesse Tomohito de Mikasa et ses filles, Akiko et Yohko, la princesse Takamado et sa fille Tsuguko se rangent côté Michodai. Toutes les princesses ont revêtu la robe de cour et sont coiffées de l’osuberakashi.

Chacun, en cet instant, pense aux absents, le jeune prince Hisahito, deuxième et dernier successible au trône, et la princesse Aiko, unique enfant de l’empereur et de l’impératrice. Elle aura 18 ans le 1er décembre 2019. Et les Japonais s’inquiètent de la loi de la maison impériale interdisant aux femmes de régner et les excluant de facto de tout rôle officiel quand elles se marient.
Si les choses restent en l’état, la dynastie du Yamato, la plus ancienne au monde, est menacée d’extinction à brève échéance. 74% des citoyens de l’archipel se prononcent d’ailleurs en faveur de l’accession des femmes au trône du Chrysanthème. Reste à espérer que ce soit assez pour enfin faire fléchir le gouvernement de Shinzo Abe et l’inciter à changer la loi qui prive Aiko de son destin.
Naruhito proclame son intronisation et fait entrer le Japon dans l’ère Reiwa
Dans la salle Matsu-no-Ma, nul n’a pu voir Naruhito et Masako, entrés par l’arrière, gagner le Takamikura et le Michodai. Il est 13h10, la cérémonie commence, sans un mot, rythmée seulement par les commandements du gong et du tambour. L’assemblée s’est levée. Chambellans d’un côté, dames d’honneur de l’autre écartent les rideaux qui dissimulaient les souverains à la vue de tous. L’effet est saisissant. Deux statues au sourire ineffable qui puisent leur légitimité dans la nuit des temps, deux souverains qui conjuguent en cet instant une tradition millénaire et les défis d’aujourd’hui. Devant eux, l’assemblée s’incline.

Dans le secret du Takamikura, se distinguent des formes emmaillotées de tissus précieux et posées sur des présentoirs de part et d’autre du trône proprement dit, ou koishi, devant quoi se tient Naruhito sans jamais s’y asseoir. Ce sont les perles de jade et l’épée sacrée du Trésor, paquets inestimables et jamais ouverts, dont l’empereur, lui-même, ne contemplera pas le contenu d’essence divine. À côté de l’épée, ont aussi été disposés le sceau impérial d’État et le sceau...
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