Elle nous avait prévenus : il faut d’abord se perdre dans le hameau avant de trouver sa maison, le GPS ne sera d’aucun secours. La grande bâtisse est pourtant visible de loin, mais numérotée dans une logique qui échappe encore à sa propriétaire. Qu’importent les aléas – et qu’il ait finalement fallu que la romancière vienne nous chercher, à vélo, pour nous ouvrir la voie jusqu’à son Ermitage, d’après le nom enregistré dans les archives au XVIIIe siècle : car pour reprendre le titre du livre pour adultes qui l’a fait connaître en 1993*, quelques minutes suffisent pour éprouver une impression de bien-être absolu qui doit autant au charme de la bâtisse et de la végétation – cerisiers, cèdre bleu, magnolia persistant, hêtres, ormes, et des rosiers, seringas, hortensias, rhododendrons ainsi que des lys à foison –, qu’à la personnalité de ses propriétaires.
"La Normandie s’est imposée pour sa proximité avec Paris"
Un lieu habité par une famille – et une femme – qui est exactement là où elle devait être. C’est pour retrouver une forme de légèreté après les attentats de 2015 que l’auteure et traductrice Agnès Desarthe et son mari Dante (réalisateur, producteur, comédien et peintre à ses heures perdues) ont décidé de quitter Paris. Mais où aller quand on n’a pas de racines en France ? Fille du pédiatre Aldo Naouri, né en Libye italienne, et d’une mère aux origines russes, Agnès se souvient qu’enfant déjà, elle avait ce complexe – et ce désir – de maison de famille. "Quand j’étais invitée chez une amie qui en possédait une, je me disais que c’était merveilleux. Chez nous, il y avait un héritage historique et culturel conséquent, mais rien de matériel. La Normandie s’est imposée pour sa proximité avec Paris où vivent nos deux aînés et la présence de la mer."

Décision prise en 2016, maison trouvée en octobre. "Je voulais un jardin clos, un étage et des ouvertures partout. Pour moi l’image du bonheur, ce sont des enfants qui jouent en pyjama dans le jardin, après le dîner." Typique du pays de Caux, en brique et en silex, l’Ermitage est une grande maison toute en fenêtres – il y en a vingt, dont trois portes vitrées –, dont le fronton atteste d’une construction en 1750. On peut y entrer côté ouest ou côté est, et chaque pièce possède sa double ouverture sur le jardin.

Après la cuisine en tomettes au sol et carreaux de Desvres au-dessus de l’évier – "comme dans la cuisine de Claude Monet", précise la maîtresse des lieux –, son bureau, minuscule et encombré, comme une chambre à soi que ne renierait pas Virginia Woolf et qu’elle a placé là exprès, dit-elle, au cœur du rez-de-chaussée, afin que rien ne lui échappe, comme une gardienne dans sa loge ; ensuite la bibliothèque, puis le salon de musique, avec son piano Evrard à double échappement – chez les Desarthe, enfants et parents jouent tous d’un instrument.

C’est dans cette pièce que sont accrochés les reproductions de quelques œuvres de Paul Klee, Berthe Morisot et Cézanne, accessoires déco hérités du film Le Passe-Muraille réalisé par Dante, ainsi que plusieurs originaux contemporains. Aux extrémités de la maison, deux escaliers en bois mènent au premier étage et aux quatre chambres, que dessert un couloir bleu ciel tout en lumière naturelle, éclairé le soir par deux lustres en pâte de verre des années 1930. Au-dessus, le grenier fait office à la fois de salle de projection et de chambre d’amis avec salle de bains, le tout en bois de coffrage. D’autres figures qu’Agnès Desarthe auraient effacé les années qui écaillent certains murs. Pour elle au contraire, que la maison ait vécu et accueilli d’autres familles participe au charme du lieu. Quelques surfaces ont été refaites à la chaux, le plus souvent à l’identique par des artisans locaux.

Son premier geste le matin ? Ouvrir en grand les fenêtres de...
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