Cléopâtre VII, la patriote
La propagande romaine va peindre la reine d’Égypte sous les traits, grossiers, d’une prostituée. Malheur aux vaincus! Pour son peuple en revanche, Cléopâtre VII, la dernière des Lagides, est Philopatris "celle qui aime sa patrie". Après trois siècles de domination, la dynastie d’origine grecque donne enfin au pays un souverain qui parle l’égyptien. Cléopâtre maîtrise d’ailleurs toutes les langues des peuples de son empire: grec, araméen, éthiopien, mède, arabe, hébreu et même le dialecte des Troglodytes, une tribu du désert libyen.
Quand la princesse pousse ses premiers cris, durant l’hiver de 68 avant J.-C., au palais d’Alexandrie, sa famille s’est pourtant totalement discréditée aux yeux de la population. Pères, filles, frères, soeurs et cousins se déchirent dans une lutte sans merci pour le pouvoir. Cléopâtre VII et son frère Ptolémée XIII n’échappent pas à la règle quand ils coiffent conjointement la double couronne, en 51 avant J.-C. Après trois ans de règne seulement, les époux royaux règlent leurs différends par armées interposées.
La reine, cependant, est plus fine politique que son cadet. Quand Jules César débarque à Alexandrie, en 48 avant J.-C., elle a compris que l’Égypte n’est plus en mesure de résister à Rome. Et elle voit tout le bénéfice d’une alliance. Quand Ptolémée XIII se perd en essayant de s’emparer du conquérant, Cléopâtre choisit d’en faire un allié.
Dès la première rencontre, le général quinquagénaire succombe aux charmes de la reine de 20 ans. Et elle n’en est pas dépourvue: "Beauté divine, voix ensorcelante, esprit brillant et cultivé." L’année suivante Cléopâtre/Isis donne un fils, Césarion/Horus, à César/Amon. Les rites pharaoniques sont revivifiés par la déesse reine pour mieux célébrer cette promesse d’avenir offerte aux peuples des Deux Royaumes.
L’Égypte paraît sauvée. C’est compter sans la lame de Brutus, qui abat comme château de cartes le bel échafaudage dynastico-politique. César disparu, l’empire est dépecé. Octave obtient l’Occident, Lépide, l’Afrique et Marc Antoine, l’Orient. Cléopâtre, pragmatique, fait de ce dernier, géographiquement le mieux placé, son nouveau champion. Une nuit à bord de sa galère amirale –poupe de bois doré et voiles pourpres– lui suffit à le convaincre. Et cette fois, la passion est partagée.
Dans les bras d’Antoine, Cléopâtre se rêve impératrice d’Orient. Comme Alexandre le Grand, le fondateur d’Alexandrie. La victoire d’Octave à Actium anéantit cet espoir. Quand le Romain débarque en Égypte, quelques mois plus tard, Antoine se suicide. Cléopâtre, qui a éclaboussé Rome du faste de son règne, refuse d’y retourner en prisonnière.
Retranchée dans son mausolée, la reine, parée comme une déesse, se fait porter un panier de figues. Le serpent protecteur d’Amon-Rê, lové sous les fruits, lui offre sa morsure d’éternité. Quand Octave force les portes du temple, il est trop tard. Cléopâtre se retire comme elle a vécu, en pharaon.
Didon, le mythe fondateur
Vers 814 avant J.-C., Didon, fille aînée de Bélos, roi de Tyr, est contrainte de fuir la tyrannie de son frère, Pygmalion. Accompagnée d’une troupe de soldats fidèles, la princesse phénicienne vogue vers l’Afrique, où elle accoste au pays de Hiarbas, roi de Gétulie, dans l’actuelle Tunisie. Comme ce dernier s’oppose à l’établissement de la petite colonie sur son domaine, Didon promet d’occuper "une terre qui se pourrait contenir dans une peau de boeuf". Hiarbas finit par céder.
La princesse fait alors découper le cuir de l’animal en lanières si fines qu’elles délimitent aisément toute la presqu’île de la future Carthage. Bientôt se dressent, baignés par la Méditerranée, les murs de la grande cité, future rivale de Rome, dont Didon devient reine. Son royal voisin, dupé mais séduit, demande Didon en mariage. Et Hiarbas la convainc en menaçant d’exterminer tous les Phéniciens si jamais elle refuse. Pour épargner son peuple, la reine consent et, la cérémonie achevée, elle se jette dans un bûcher. Les Carthaginois, reconnaissants, vont diviniser Didon, leur reine, pour l’assimiler à Tanit, déesse protectrice.
Boadicée, la Vercingétorix anglaise
À Londres, près du quai de Westminster, la reine guerrière mène son char de bronze d’une main ferme, tandis que de l’autre elle brandit l’épée. Le sculpteur Thomas Thornycroft a figé dans le bronze l’image d’une femme redoutable, fidèle au témoignage laissé, près de vingt siècles auparavant, par l’historien romain Dion Cassius: "Grande, terrible à voir, dotée d’une voix puissante. Ses cheveux roux flamboyants lui tombaient jusqu’aux genoux. Elle était armée d’une longue lance et inspirait la terreur à tous ceux qui l’apercevaient…" Boadicée –ou Boudicca–, reine de la tribu celte des Icènes, dans le Norfolk, est le pendant breton, et féminin, de notre grand chef arverne Vercingétorix.
Quand le roi Prasutagus, par testament, soumet son royaume à la suzeraineté de l’Empire romain, en 60 après J.-C., il pense assurer un avenir paisible à son peuple et l’autonomie souveraine à sa veuve, Boadicée. Mais Néron, s’il accepte le legs, abandonne aussitôt la reine et ses sujets à la rapacité de ses légionnaires. Le trésor royal est pillé et les villages sont mis à sac. Pis, les villageois, comme leurs femmes, sont "soumis aux plus indignes traitements". Boadicée et ses deux filles, qui protestent avec véhémence, partagent le sort de leurs sujets. La reine est flagellée en public et les princesses sont livrées à la concupiscence des centurions.
Ivre de colère, Boadicée soulève les Icènes et les peuples voisins. Armée, casquée et montée sur son char, elle conduit ses troupes à la bataille. En moins d’une journée, la population de la colonie romaine de Camulodunum –Colchester– est exterminée. Les garnisons de la province, venues en renfort, sont anéanties. Même les plus aguerris des généraux romains reculent face à la détermination de la terrible reine. Quand elle se présente devant Londinium –Londres–, le gouverneur de Bretagne, Gaius Suetonius Paulinus, juge prudent d’abandonner la cité. Les temples et les édifices publics sont rasés et la ville réduite en cendres. Verulanium, alors le centre urbain le plus important du pays, près de St Albans, est rayé de la carte.
Le général Paulinus devra attendre le secours de la IXe légion pour mettre un terme aux progrès des guerriers bretons, qui sont finalement vaincus, en 61, à la bataille de Watling Street. Boadicée, comme le rapporte Tacite dans ses Annales, ne se résout pas à la reddition: "Vaincre ou mourir. C’est la résolution d’une femme. Quant aux hommes, ils peuvent préférer vivre et être esclaves." La reine aurait alors tendu à ses filles la coupe qu’elle venait de porter à ses lèvres: "Buvez, le poison est moins cruel que la tyrannie."
Zénobie, impératrice d’Orient
En 267, la sénateur romain Odénat, prince de Palmyre –dans l’actuelle Syrie–, et son héritier Herodes sont assassinés par leur cousin Maeonius. À qui profite le double crime? Les Romains soupçonnent Zénobie, épouse d’Odénat et mère de son deuxième fils, Wahballat. Après avoir incité son parent et "complice" au meurtre, elle s’en serait débarrassée en le faisant condamner pour s’emparer, seule, de la couronne. Coupable ou pas, Zénobie ne cache pas son ambition de régner, en associant son fils au trône.
Pour signifier son indépendance à l’"envahisseur romain", elle prend le titre de reine. Premier degré d’une fulgurante ascension vers la dignité impériale. Zénobie fait élever un mausolée grandiose en mémoire de son mari et, s’étant acquittée de cette tâche, elle prend la tête de son armée. Avant que Rome n’ait eu le temps de réagir, la reine a déjà envahi toutes les provinces de l’Empire, de l’Euphrate à la Méditerranée et des déserts d’Arabie jusqu’au coeur de l’Asie mineure. Et elle profite de l’anarchie qui sape le pouvoir des césars pour se parer de la pourpre.
Zénobie, qui revendique la grande reine Cléopâtre pour ancêtre, prend le titre d’augusta et frappe monnaie à son effigie. À l’heure où pâlit l’étoile de Rome, l’impératrice fait de sa capitale, Palmyre, le plus important centre artistique et culturel de son temps. Une cité majestueuse dont les voyageurs admirent encore les vestiges.
L’impératrice règne sans partage sur l’Orient, sans réaction de Gallien ni de Claude II. Quand elle envahit l’Égypte, en revanche, Aurélien, le nouvel auguste romain, décide de sauver ce "grenier à blé" de l’Empire. Les frontières de Gaule pacifiées, il se tourne vers le sud et part à la reconquête des territoires arrachés par l’"usurpatrice".
Zénobie, défaite à Antioche en 273, est capturée pendant sa retraite vers Palmyre. Aurélien se réjouit d’en faire, dans les rues de Rome, l’attraction majeure de son triomphe. L’augusta ne subira pas cet outrage. En chemin, elle se laisse mourir de faim…
Sémiramis, reine ou déesse?
Fille de Dercéto, la sirène du lac d’Ascalon, et de Caÿstros, un dieu fluvial d’Asie mineure, Sémiramis ou Schamiram –"Celle qui vient des colombes"– serait née en 1936 avant J.-C. Mariée à Onnès, un officier assyrien dont elle a deux fils, elle est remarquée par le roi Ninos lors d’un séjour à la cour de Ninive. Pour en faire sa reine, le souverain contraint le malheureux Onnès au suicide.
Malgré ce crime, Sémiramis accepte de l’épouser et lui donne un fils: Ninyais. Puis elle tue le roi, demeurant seule maîtresse de l’Empire assyrien. Son règne brillant,...
Connectez-vous pour lire la suite
Profitez gratuitement d'un nombre limité d'articles premium et d'une sélection de newsletters
Continuer
Un journalisme d’excellence, des contenus exclusifs, telle est la mission de Point de Vue. Chaque article que nous produisons est le fruit d’un travail méticuleux, d’une passion pour l’investigation et d’une volonté de vous apporter des perspectives uniques sur le monde et ses personnalités influentes. Source d’inspiration, notre magazine vous permet de rêver, de vous évader, de vous cultiver grâce à une équipe d’experts et de passionnés, soucieux de porter haut les couleurs de ce magazine qui a fêté ses 80 ans. Votre abonnement, votre confiance, nous permet de continuer cette quête d’excellence, d’envoyer nos journalistes sur le terrain, à la recherche des reportages et des exclusivités qui font la différence tout en garantissant l’indépendance et la qualité de nos écrits. En choisissant de nous rejoindre, vous entrez dans le cercle des amis de Point de Vue et nous vous en remercions. Plus que jamais nous avons à cœur de vous informer avec élégance et rigueur.