Florence Nightingale, infirmière pionnière au service de l’humanité

Dans les années 1850, Florence Nightingale invente les soins infirmiers modernes et offre aux femmes un métier respectable. Pionnière et déterminée, elle sacrifie sa vie personnelle au service de l’humanité. Un beau documentaire, réalisé par Aurine Crémieu, rend hommage à cette figure exceptionnelle dont l’héritage perdure.

Par Isabelle Pia - 17 février 2022, 07h00

 Florence Nightingale, une femme remarquable qui mit sa vie au service des autres.
Florence Nightingale, une femme remarquable qui mit sa vie au service des autres. © Universal History Archive / Contributeur / Getty Images

"La première idée dont je me souvienne, quand j’étais enfant, était ce désir de soigner les malades autour de moi. Mes rêves éveillés portaient sur les hôpitaux et je les visitais dès que je le pouvais. Je n’en ai jamais parlé à personne car on se serait moqué de moi, mais j’ai toujours pensé que Dieu m’avait appelée à Le servir de cette manière." Ainsi Florence Nightingale témoigne-t-elle simultanément de sa foi et d’une vocation aussi forte qu’incompatible avec son milieu social.

Le choix de carrière de la jeune Florence choque sa famille

C’est en Italie, à Florence qui lui vaut son prénom, que naît le 12 mai 1820 la seconde fille de William Edward et Frances Nightingale, couple fortuné en voyage de noces. De retour en Angleterre, les Nightingale se partagent entre Lea Hurst, magnifique demeure dans le Derbyshire, et Embley Park dans le Hampshire. Florence et sa sœur Parthenope y connaissent une enfance privilégiée et sont instruites par leur père : latin, grec, histoire, philosophie et ces mathématiques qui passionnent Florence et dont elle poursuivra l’étude.

L'actrice Naïs el Fassi campe une Florence Nightingale plus vraie que nature dans le documentaire d'Aurine Crémieu consacré à l'infirmière britannique.
Dans le documentaire d’Aurine Crémieu, l’actrice Naïs el Fassi incarne la jeune Florence rêvant à sa vocation dans la propriété familiale de Lea Hurst. © TOHUBOHU

Pour la jeune fille qui parle couramment l’italien, le français et l’allemand, la voie d’un beau mariage semble tracée. Aussi l’annonce, en 1844, de sa volonté de devenir infirmière et d’ouvrir un hôpital fait-elle l’effet d’une bombe ! Impossible d’exercer cette activité infamante, réservée aux classes populaires et ignorantes, ni d’évoluer dans un milieu aussi délétère ! Pour tordre le cou à ce funeste projet, on l’expédie en voyage. En compagnie d’un couple d’amis, Florence se rend en Italie, où elle fait la rencontre déterminante d’Elizabeth et Sidney Herbert — qui a été secrétaire d’État à la Guerre, en 1845, et le sera de nouveau, de 1852 à 1855. Puis elle visite l’Égypte et la Grèce.

Florence Nightingale et et sa sœur, Parthenope, lady Verney, dans les années 1830.
Florence et sa sœur, Parthenope, lady Verney, peintes par William White, vers 1836. Ce tableau est exposé aujourd’hui à la National Portrait Gallery de Londres. © Bridgeman Images

Mais sa vocation ne faiblit pas. À Kaiserswerth, en Allemagne, elle rend visite au pasteur Theodor Fliedner, fondateur de l’ordre des diaconesses et d’un hôpital pour indigents. Elle y retourne, en 1851, pour s’initier aux soins et aux préparations médicamenteuses et cette formation la conforte dans sa décision de se dévouer à la souffrance humaine. En 1853, alors qu’à 33 ans miss Nightingale a éconduit tous ses prétendants, se présente, enfin, une occasion, grâce aux Herbert : devenir la super intendante d’un petit hôpital pour femmes sur Harley Street. Refusant tout salaire, elle y met en pratique son sens de la discipline, sa vision novatrice des soins, sa rigueur administrative et son amour des statistiques.

Florence Nightingale prodigue soins et réconfort aux blessés de la guerre de Crimée

Mais c’est la guerre de Crimée, qui oppose en mer Noire la France et le Royaume-Uni aux Russes, qui va lui permettre d’embrasser son destin, un an plus tard. Alors que le correspondant de guerre du Times, William Howard Russell, rend compte des détestables conditions d’accueil des blessés britanniques, l’opinion s’indigne et le scandale grandit, éclaboussant la reine Victoria, chef des armées. Pour en finir, Sidney Herbert décide d’envoyer une délégation de nurses dans le plus grand hôpital militaire situé dans les faubourgs de Constantinople, à Scutari, avec Florence Nightingale à sa tête.

Florence Nightingale, la première des infirmières.
Photographie non datée de Florence Nightingale. © Look and Learn / Peter Jackson Collection / Bridgeman Images

"Vos qualités personnelles, votre savoir, vos aptitudes de gestionnaire et, parmi tant d’autres belles choses, votre rang social vous donnent des avantages pour cette tâche qu’aucune autre personne ne possède", lui écrit-il. Éditrice des œuvres complètes de Florence Nightingale, Lynn MacDonald, interviewée dans le documentaire, commente : "Elizabeth Herbert, l’épouse de Sidney, avait compris que Nightingale avait eu un appel au devoir et que c’était un appel à sauver des vies. Elle lui a donc dit : 'C’est ta chance, c’est maintenant !' Et Nightingale n’a pas hésité une seconde. Elle n’attendait que ça."

Embarquées le 27 octobre 1854 sur un cargo, Florence Nightingale et 38 infirmières volontaires, laïques, anglicanes et catholiques, arrivent le 4 novembre à Scutari et découvrent, effarées, la réalité du Barrack Hospital, ancienne caserne turque où affluent les centaines de blessés de la bataille de Balaklava : vermine, rats, malades entassés sur des paillasses, latrines bouchées, manque de vivres, opérations réalisées à même le sol... Passé l’effroi et la colère, Florence, dont le rêve se réalise enfin, organise les tâches.

Les soldats britanniques blessés arrivent à Scutari où travaille Florence Nightingale.
Arrivée de soldats britanniques blessés à l’hôpital de Scutari où officiait miss Nightingale (peinture de 1857 de Jerry Barrett) pendant la guerre de Crimée. © Stefano Baldini / Bridgeman Images

Comprenant que les épidémies et infections tuent dix fois plus que les combats, elle impose des mesures sanitaires simples mais inédites : lavage des mains, linge et pansements propres, ménage en grand, désinfection à l’eau bouillie... Grâce à une souscription lancée par le Times et à ses fonds personnels, elle achète du matériel, veille à son acheminement, entame une comptabilité. Se dépensant sans relâche, elle ne néglige pas la dimension empathique du métier d’infirmière moderne qu’elle est en train d’inventer.

Florence Nightingale, à l'hôpital de Scutari, pendant la guerre de Crimée.
Surnommée la Dame à la lampe, Florence Nightingale se dévoue corps et âme pour soigner les soldats britanniques, blessés lors de la guerre de Crimée. © akg-images / UIG / Universal History Archive

Lanterne à la main, qui lui vaudra son surnom de Dame à la lampe, elle effectue des rondes nocturnes dans la caserne, passe une main fraîche sur un front brûlant ou réchauffe des pieds glacés, murmure des paroles de réconfort à un mourant, fait la lecture à un soldat, écrit une lettre pour un autre... Agissant comme une mère envers ses enfants, elle tisse sa légende en Angleterre d’ange bienfaiteur. Les efforts de Miss Nightingale et de ses nurses sont récompensés : au cours des 22 mois passés à Scutari, la mortalité baisse de manière spectaculaire. Le 30 mars 1856, le traité de Paris met fin à la guerre de Crimée. 

"Soigner est le plus beau des arts"

Florence attend le départ du dernier blessé pour rentrer en Angleterre, sous le nom de jeune fille de sa mère, Smith, afin d’éviter les effets de sa célébrité. Rien ne doit la distraire de la double mission qu’elle s’est fixée : rendre compte de l’administration médicale militaire à Scutari puis appliquer à l’hôpital public anglais les méthodes expérimentées en Crimée, en adéquation avec les théories hygiénistes naissantes. En septembre 1858, la reine l’invite à Balmoral. "Il semble qu’elles aient noué une relation très positive", commente Anne Marie Rafferty, professeur à King’s College interrogée par Aurine Crémieu. "La reine Victoria était une femme de poigne et de courage. Je crois qu’elles se sont reconnues l’une l’autre." En découle la création d’une Commission royale pour la santé dans l’armée, dont Florence Nightingale est chargée d’écrire le rapport préliminaire.

Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers modernes.
Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers modernes, écrivain et statisticienne. Elle porte un châle et tient une lettre, envoyés par la reine Victoria. © Lebrecht History / Bridgeman Images

Au terme de plusieurs mois de labeur, elle remet 853 pages accablantes, illustrées de tableaux et de diagrammes, dont le retentissement est tel que qu’elle est la première femme élue à la prestigieuse Société royale de statistiques. Dès lors, Florence peut s’intéresser à la réforme de la santé publique en commençant...

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Directrice de la rédaction

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