Pourquoi vous êtes-vous lancée dans cette folle quête de Richard III ?
En 1993, j’ai lu la biographie que lui a consacrée l’historien Paul Murray Kendall**. Je m’attendais à y trouver un tyran diabolique et un assassin, mais l’auteur, s’appuyant sur des sources contemporaines de Richard III, y dévoilait un tout autre visage du roi. De là est née ma fascination pour le personnage. Intriguée, je ne comprenais pas pourquoi on racontait toujours son histoire au travers de la sombre figure de la pièce de Shakespeare et non d’un point de vue historique. J’ai eu envie de me plonger dans sa vie et j’ai commencé des recherches. Atteinte du syndrome de fatigue chronique et en arrêt de travail, je disposais de temps. J’ai alors lu tout ce que j‘ai pu trouver sur lui, dont des documents publiés entre autres par la très ancienne Richard III Society, dont j’ai rejoint la section d’Édimbourg, où j’habitais.
Qu’avez-vous appris sur lui ?
J’ai découvert un homme d’une loyauté et d’un courage sans faille, dévoué et juste, à l’opposé du portrait qu’en avait brossé Shakespeare. Richard III, né en 1452, grandit durant la guerre des Deux-Roses, qui a opposé les maisons royales de Lancastre et d’York, deux branches de la dynastie Plantagenêt. Fils cadet de Richard, duc d’York, il accède au trône à la mort de son frère, Édouard IV, dont les héritiers, issus de son union avec Elizabeth Woodville, sont déclarés illégitimes, parce que celui-ci avait épousé en premières noces lady Eleanor Talbot. En 1483, les trois États du royaume d’Angleterre – l’Église et les Chambres des lords et des communes – élisent ainsi le duc de Gloucester sous le nom de Richard III, dernier des rois Plantagenêts.
Pourquoi, dès lors, ce roi a-t-il été considéré comme un usurpateur ?
C’est l’image qu’en ont donnée Shakespeare et les auteurs qui travaillaient pour les Tudors, les successeurs des Plantagenêts, dans l’objectif de légitimer la nouvelle dynastie, et notamment Henri VII. Ce dernier a été proclamé roi à la mort de Richard III, tombé à la bataille de Bosworth en 1485, alors qu’il commandait en première ligne du front. Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, et pour discréditer son prédécesseur, Henri VII a brûlé tous les documents attestant des droits légitimes de Richard III au trône. Étrangement, une copie a survécu, prouvant qu’il n’était pas un usurpateur. La tragédie de Shakespeare reste une œuvre immense, mais son premier éditeur l’a classée à tort dans la section Histoire. Je voulais contribuer à rétablir la vérité sur ce roi très respecté selon des sources et des témoignages concordants de son époque.

Vous avez rencontré beaucoup de résistance avant d’être prise au sérieux. Comment expliquez-vous votre ténacité ?
On me répétait que je perdais mon temps comme celui des autres et que je ferais mieux de rentrer chez moi, mais j’étais convaincue qu’il me fallait aller au bout. Je ne suis ni historienne ni professeure, juste une personne ordinaire passionnée par cette période, et je m’étonne que ces recherches n’aient pas été menées par d’autres plus compétentes, qui auraient pu parvenir aux mêmes conclusions. Les historiens reprenaient par exemple à leur compte une légende de Leicester selon laquelle le corps de Richard III avait été jeté dans la rivière Soar !
Comment avez-vous deviné son improbable localisation, sous un parking des services sociaux de la ville ?
Je dois dire que l’origine de cette conviction n’est pas très conventionnelle. Alors que j’effectuais des recherches à Leicester, j’ai soudain vécu cette expérience intuitive, en pénétrant sur ce parking, que je marchais tout simplement sur la tombe de Richard III. En poursuivant mes recherches, j’ai découvert que l’emplacement de l’église de Greyfriars où le roi était censé avoir été enterré se situait en face de l’église St Martin, l’emplacement actuel de la cathédrale. C’était la zone même du parking où j’avais eu mon intuition ! L’irrationnel et le rationnel se combinaient pour parvenir à cette déduction. Je pense que les vérités universelles conduisent à ce type de phénomènes, auxquels les scientifiques devraient, selon moi, s’intéresser davantage.

Vous lancez alors le "Looking for Richard Project"...
Entreprendre les fouilles nécessitait au préalable de collecter des fonds. Mais il m’a fallu encore surmonter bien des obstacles et attendre plusieurs années avant que cette entreprise n’aboutisse grâce, finalement, à un financement international. Le 25 août 2012, les fouilles pouvaient débuter sous le parking.
Qu’avez-vous ressenti en apercevant le squelette enfin exhumé ?
C’était bouleversant pour moi, d’autant qu’il a été retrouvé précisément à l’endroit où je l’avais pressenti. Je me souviens que j’ai dû m’asseoir sous le coup de l’émotion. Je me suis aussi demandé si j’avais fait le bon choix en recherchant Richard III. Car alors que je croyais m’être assurée qu’il serait enterré avec dignité et honneur, certaines personnes voulaient l’exposer dans un musée. J’ai dû me battre pour que mon vœu soit respecté. L’exhumation a aussi montré que Richard III n’était pas bossu comme on l’avait cru, mais sa colonne vertébrale présentait une scoliose, laquelle n’entraînait pas de difformité visible, ses contemporains ne mentionnant rien de cette sorte.

Comment a-t-on procédé pour l’identifier définitivement ?
Cela a été rendu possible grâce aux travaux antérieurs de l’historien et généalogiste John Ashdown-Hill que l’on voit dans le film. Ce membre-clef du "Looking for Richard Project" avait publié en 2005 des travaux sur la séquence mitochondriale d’ADN de Richard III, et sa découverte a permis de confirmer sans nul doute possible l’identité du squelette.
Au travers de cette extraordinaire aventure, diriez-vous que Richard III a changé votre vie ?
Certainement. Sans lui, je ne serais pas arrivée où j’en suis aujourd’hui. Quant à moi, j’ai contribué à changer sa mort, parce que les gens savent désormais qu’il existe un autre Richard III, un individu historique, bien différent de la légende. Cinq cent trente ans après sa mort, le 26 mars 2015, ses obsèques, en la cathédrale de Leicester, se sont ainsi déroulées en présence de membres de la famille royale – la comtesse de Wessex et les ducs de Gloucester – et de l’archevêque de Canterbury.

Avez-vous reçu un message de la famille royale ?
À la veille des fouilles, j’avais transmis au bureau de la reine tous les documents du "Looking for Richard Project", y compris ceux concernant les obsèques, et j’ai reçu un très gentil appel de son secrétaire privé. Il m’a informée qu’Élisabeth II donnait sa bénédiction au projet pour le respect avec lequel Richard III était traité. C’était important pour moi.
Que ressentez-vous aujourd’hui en voyant votre histoire portée à l’écran ?
C’est assez incroyable qu’un cinéaste de l’ampleur de Stephen Frears la juge assez intéressante pour s’en emparer, de la même manière que je me réjouis que Steve Coogan – acteur, scénariste et producteur –,...
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