En 1883, Pierre de Coubertin a 20 ans, la France est en guerre contre la Chine, Maupassant publie Une Vie, l’Orient-Express glisse sur les rails, la IIIe République est coloniale, paternaliste et éducatrice. Le jeune homme – né le 1er janvier 1863 – aime le vin, les filles, la boxe, l’escrime et l’aviron. Comme ses parents, Charles-Louis et Marie-Marcelle, il est monarchiste, catholique et un peu snob.
Il deviendra républicain, progressiste et internationaliste. Au sortir de l’adolescence, il aurait pu s’orienter vers l’armée, la diplomatie, la politique. Il n’en fait rien. Marqué, comme toute sa génération, par le désastre de 1870-1871, cet esprit original et singulier choisit très tôt une autre voie : la pédagogie.

C’est en Angleterre, en visitant les austères public schools de l’élite britannique que Pierre de Coubertin découvre sa vocation, sa mission, sa religion : le sport ! Pas la gymnastique que l’on pratique à l’école de Jules Ferry. Non ! Le sport supérieur, l’art de rendre forts et beaux les corps et les esprits : une vision romantique, quasi chevaleresque, où l’on fabrique des hommes valeureux. Une théorie, hélas, qui exclut les chétifs... et surtout les femmes ! La discipline n’en est alors qu’à ses balbutiements.
Les Jeux, "une grande leçon de philosophie"
Pour redonner à la jeunesse l’ardeur, le dynamisme, l’espoir, elle prend un chemin jusque-là inusité : introduire l’athlétisme au sein des établissements du cycle secondaire. Il rejoint, en mai 1888, les rares pionniers du mouvement sportif et devient le très actif secrétaire général de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques. Les chefs d’établissement sont plus que prudents et les parents souvent hostiles à cette perte de temps qu’ils jugent s’exercer aux dépens "des études sérieuses".
Pour convaincre, et emporter l’adhésion, lui vient l’idée d’internationaliser le sport, d’instituer un rendez-vous d’une périodicité et d’un prestige indiscutables. Cette fin de XIXe siècle, il est vrai, est celle des découvertes archéologiques en Grèce. Le pédagogue profite de cet engouement helléniste pour ressusciter les jeux Olympiques dont plus personne, ou presque, ne parlait plus depuis qu’un empereur romain les avait supprimés un peu avant l’an 500.

Le 23 juin 1894, Pierre de Coubertin fonde le Comité international olympique (CIO), au cours d’une cérémonie à l’université de la Sorbonne. D’emblée, les principes sont posés : ouverture à tous sans aucune distinction, périodicité quadriennale, itinérance à travers les grandes villes du monde. Les premiers Jeux se déroulent à Athènes, du 6 au 15 avril 1896. Grisés par leur succès, beaucoup en revendiquent l’exclusivité future.
Mais seul contre tous, Coubertin s’en tient à sa vision internationaliste. L’histoire lui donnera raison ! Il ne cessera de se battre pour le développement de l’olympisme, présidant activement le Comité international olympique, de 1896 à 1925, sans faire preuve toutefois de beaucoup plus d’ouverture d’esprit.

Colonialiste et pas vraiment féministe, il imagine ses Jeux comme : "Une grande leçon de philosophie que l’humanité se donne à elle-même (...), le reflet de la conception du bonheur, de l’homme, de la perfection." Imprégné des idées de son époque, il lui était impossible d’imaginer une femme y participant.
Un personnage incompris par ses pairs
Quand Coubertin s’éloigne de l’olympisme actif, c’est pour fonder l’Union pédagogique universelle. En 1928, apparaît le Bureau international de pédagogie sportive, qui permet au baron de proposer deux années plus tard une Charte de la réforme sportive. Simultanément, se déploient ses publications, 30 livres et quelque 1 400 articles parus dans 70 périodiques. Il s’y dévoile aussi bien pédagogue que journaliste, voire romancier et poète. Il est surtout historien : son étonnante Histoire universelle en quatre tomes (1926-1927) témoigne de son savoir encyclopédique.
Jusque-là, Pierre de Coubertin a tout du fils prodigue. Vis-à-vis des siens qu’il révère, mais dont il n’épouse pas la cause monarchiste ; de la République qu’il soutient, mais dont il se méfie ; de la France qu’il place au-dessus de tout, mais au-dessus de laquelle, il crée une organisation internationale, une "Société des Nations" avant la lettre.

Pourtant, au motif de l’universalité de l’olympisme qu’il prône, il se voit écarté du paysage national. Élevé au rang d’icône, certes, mais exilée sur son mont Olympe. La France ne revendique pas Pierre de Coubertin... Le rétablissement des jeux Olympiques ne se fait-il pas sans le concours de la France, pire même, malgré elle, contre elle ?
Il apparaît clairement, dès les origines de l’aventure olympique et bien au-delà, que le pays se heurte à une incompréhension absolue à l’égard de Pierre de Coubertin. Comme si cet aristocrate ne présentait pas un profil suffisamment fiable. Beaucoup trop insaisissable au regard des catégories dans lesquelles on aime à ranger les grands noms. Par une sorte de fatalité qui perdure, il est perçu avec toute la réserve qui se manifeste à l’endroit des personnages qui revendiquent la liberté, non sans arrogance.
Entre le baron et sa terre natale, un désamour s’installe, qui ne finit pas de se dissiper, voire qui se cultive en dépit des lycées, des stades et autres établissements baptisés de son nom. L’exil à Lausanne à partir de 1915, et le choix d’être inhumé en 1937, non pas en France comme ses parents, mais...
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